Développement économique
NOTE D'ANALYSE
9 min

Guerre commerciale avec les États-Unis

Quels pourraient être les impacts des contre-tarifs sur le Québec?

Rapport
Communiqué de presse
3 mars 2025

En bref

Face aux menaces répétées de Washington d’imposer des tarifs sur les exportations canadiennes, Ottawa a dévoilé, le 2 février dernier, sa stratégie de riposte. Le plan se déploierait en deux temps : d’abord des tarifs de 25 % sur 30 milliards de dollars d’importations de produits américains, suivis d’une deuxième vague touchant 125 milliards de dollars supplémentaires.

La première liste, qui entrerait en vigueur dès le 4 mars, si les États-Unis mettent leurs menaces à exécution, cible stratégiquement des produits comme les boissons, les cosmétiques et les produits du papier. Cette sélection est présentée comme stratégique : elle viserait des secteurs d’exportation cruciaux pour des États américains politiquement sensibles, tout en cherchant à minimiser l’impact sur les entreprises et consommateurs canadiens.

Mais ne nous leurrons pas : ces contre-tarifs, bien que nécessaires, entraîneront des répercussions au Québec. Les entreprises qui dépendent des importations de produits américains verront leurs coûts de production augmenter. Elles devront alors faire un choix difficile : réduire leurs marges ou augmenter leurs prix. Les chaînes d’approvisionnement, fruit de décennies d’intégration économique nord-américaine, seront perturbées.

Ironiquement, ces mesures pourraient aussi créer des opportunités – les mêmes que Trump cherche à générer aux États-Unis. Les producteurs locaux pourraient gagner en compétitivité face aux produits américains devenus plus chers, certains secteurs pourraient conquérir de nouvelles parts de marché, et la production locale pourrait se développer pour répondre à la demande.

L’ampleur réelle de ces impacts dépendra de plusieurs facteurs : combien de temps dureront ces tarifs ? Les entreprises pourront-elles absorber ces coûts ? Existe-t-il des options d’approvisionnement viables hors des États-Unis ? Les réponses varieront selon les secteurs et les régions du Québec.

CONTRE-TARIFS CANADIENS : LES MATÉRIAUX ET ÉQUIPEMENTS UTILISÉS DANS LES ENTREPRISES CANADIENNES LARGEMENT ÉPARGNÉS

Les importations québécoises sont principalement des matériaux et des équipements servant à fabriquer d’autres produits – qui seront dans bien des cas exportés à leur tour – plutôt que des biens de consommation. En 2024, plus de 80 % des importations de produits des États-Unis vers le Québec faisaient partie de cette catégorie. On trouve notamment :

  • Les huiles minérales et matières bitumineuses qui alimentent les raffineries de pétrole dans la grande région de Montréal et de Québec ;

  • Les machines et composants mécaniques (comme les turboréacteurs) essentiels à l’industrie aéronautique ;

  • Des pièces détachées qui approvisionnent l’industrie du matériel de transport terrestre ;

  • Les équipements électriques qui modernisent les chaînes de production industrielle ;

  • Les véhicules de transport et de manutention utilisés dans plusieurs secteurs.

Or, ces importations industrielles évitent largement les contre-tarifs prévus dans la première phase du plan canadien. Sont exemptés notamment la majorité des composants automobiles (sauf les pneus), les combustibles minéraux, divers équipements industriels ainsi que les instruments spécialisés, comme le matériel médical et optique.

La deuxième phase des contre-tarifs, qui devrait inclure les automobiles et leurs pièces détachées, aurait un impact majeur sur les consommateurs, les voitures étant l’une des principales importations américaines au Québec. Cela dit, elle perturberait aussi des entreprises québécoises. Contrairement aux idées reçues, les tarifs sur les pièces automobiles ne toucheraient pas uniquement l’importante industrie automobile ontarienne : le Québec importe également des composants automobiles (pour une valeur de 947 millions de dollars en 2024) pour différents secteurs, dont les producteurs de véhicules de transport récréatifs (motoneiges, motocycles), des concessionnaires automobiles, des entreprises de transport de marchandises et des entreprises du secteur minier.

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Produits ou groupe de produits les plus importés par le Québec en provenance des États-Unis en 2024

NOTE : *Indique une catégorie constituée principalement de matériaux ou équipements utilisés par les entreprises. SOURCE : Statistique du Canada, données sur le commerce en direct

LE SECTEUR DU BOIS : ENTRE IMPACT DES CONTRE-TARIFS ET OPPORTUNITÉS POUR LES PRODUCTEURS LOCAUX

Le bois d’œuvre fait face à une situation particulière face aux contre-tarifs. La première phase touchera de nombreux produits du bois utilisés dans la construction et le secteur industriel, comme les panneaux, le bois contre-plaqué et les ouvrages de menuiserie pour les meubles. Sur 186 millions de dollars d’importations de bois d’œuvre américain vers le Québec (2024), environ 70 % seraient affectées par ces mesures.

Les impacts ne seront pas les mêmes partout au Québec. En utilisant les données de CIVISION, nous avons pu identifier et visualiser la concentration d’entreprises importatrices de tels produits au Québec (voir la carte). Les MRC qui abritent de nombreuses entreprises qui importent du bois d’œuvre américain, comme celles du Roussillon, de Thérèse-de-Blainville, et de La Rivière-du-Nord pourraient être particulièrement vulnérables.

Cependant, dans cette guerre de tarifs sur le bois, le Québec serait bien plus touché par les tarifs américains sur ses exportations que par des contre-tarifs sur ses importations. Rappelons que le Québec exporte bien plus de bois d'œuvre vers les États-Unis (3,8 milliards de dollars en 2024) qu'il n'en importe.

Le fait que les entreprises qui importent du bois d'œuvre des États-Unis devront se tourner vers des alternatives locales pourrait toutefois créer des occasions d'affaires pour les producteurs québécois et compenser une petite partie des pertes de ventes vers les États-Unis. S’adapter pourrait cependant prendre du temps : les produits ne seront pas exactement les mêmes et les prix pourraient varier.

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Importation de bois d'oeuvre en provenance des États-Unis par MRC du Québec

NOTE : Estimation de la distribution par MRC du Québec de la valeur totale des importations des grands importateurs de bois d'oeuvre (incluant planches, panneaux, contreplaqués, etc.) en provenance des États-Unis. SOURCE : CIVISION

LES MÉNAGES FACE AUX CONTRE-TARIFS : IMPACTS SUR L'ÉPICERIE ET LES BIENS DURABLES

Bien que les biens de consommation représentent une part plus modeste (moins de 20 %) de nos importations américaines que les matériaux et équipements destinés aux entreprises, l’impact des contre-tarifs sur ces produits touchera directement le portefeuille des ménages québécois. De plus, cet impact touchera les consommateurs de l’ensemble du Québec, contrairement aux matériaux et équipements qui sont affectés différemment selon les régions. Les hausses de prix se feront sentir à deux niveaux : dans les achats courants à l’épicerie et lors de l’acquisition de biens durables plus coûteux.

La première liste de contre-tarifs cible déjà plusieurs produits du quotidien. Les électroménagers (réfrigérateurs, lave-linge, lave-vaisselle) sont concernés, tout comme certains meubles, vêtements et accessoires. Le secteur alimentaire n’est pas épargné, avec des tarifs touchant divers produits de consommation quotidienne, dont les œufs, les fruits et légumes frais ou congelés, la viande et des aliments transformés (pains et pâtisseries, produits à base de céréales).

La possibilité de se tourner vers des solutions de rechange varie grandement selon les catégories. Pour le vin, par exemple, le Québec dispose déjà d’un réseau diversifié d’importations, avec des achats bien plus importants (1 milliard de dollars en 2024) provenant d’autres pays que les États-Unis (89 millions). Pour d’autres produits tarifés, comme les tomates, dont les États-Unis sont actuellement notre principal fournisseur, les importateurs devront faire preuve de créativité pour développer de nouvelles sources d’approvisionnement, que ce soit auprès de producteurs québécois, canadiens ou internationaux.

En conclusion, la stratégie canadienne se veut équilibrée : assez musclée pour envoyer un message, mais suffisamment ciblée pour limiter les dégâts chez nous. Si cette approche prudente risque de n’avoir qu’un effet modeste sur les calculs de Washington, elle nous garde des cartes en main pour la suite − ce qui n’est pas négligeable dans le climat actuel. Mais le vrai enjeu dépasse la simple question des tarifs : les entreprises reçoivent le message que l’accès au marché américain n’est plus acquis. Pour certains manufacturiers québécois qui exercent leurs activités des deux côtés de la frontière, le calcul devient simple : pourquoi agrandir au Québec quand investir aux États-Unis offre plus de certitudes ? Les tarifs sont plutôt un symptôme d’une transformation plus profonde des relations commerciales, dont les effets se feront sentir bien au-delà de la crise actuelle.

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