Développement économique
RAPPORT
70 min

Innover en construction

Des pistes pour accroître la productivité de l’industrie et la qualité des emplois

Rapport
Communiqué de presse
27 mai 2025
Sujets

En bref

Un moment charnière pour l’industrie de la construction

  • Les besoins en construction vont s'intensifier dans la prochaine décennie, portés par les grands projets d'infrastructures publiques, le plan de transition énergétique d'Hydro-Québec, et la demande en logements. Cette pression pourrait encore s'accentuer si le secteur est sollicité comme outil de relance économique en réponse aux défis tarifaires.

  • Ces grands projets se disputeront les mêmes ressources, particulièrement la main-d'œuvre. Malgré son attractivité auprès des jeunes (40 % des travailleurs et travailleuses ont moins de 35 ans, contre 27 % dans le secteur manufacturier), l'industrie de la construction fait face à des défis de recrutement importants. Près de la moitié des entreprises (48 %) prévoyaient des difficultés de recrutement fin 2024.

  • Pour mener à bien ces projets, il faudra agir sur plusieurs fronts : mieux prévoir et étaler la demande dans le temps, accroître et retenir la main-d'œuvre qualifiée, et optimiser l'utilisation des talents disponibles pour hausser la productivité. C'est sur ce dernier enjeu que se concentre ce rapport.

Hausser la productivité dans la construction : un défi mondial, pas uniquement québécois

  • Les enjeux de productivité dans la construction dépassent les frontières du Québec. La plupart des pays occidentaux ont vu leur productivité en construction décliner alors qu'elle augmentait dans d'autres industries. Les chiffres sont révélateurs : entre 1997 et 2023, la productivité de la construction a stagné au Canada (-3%) et au Québec (+3%), et chuté aux États-Unis et en France (-20%). Seuls quelques pays, comme le Danemark et les Pays-Bas, font figure d'exceptions.

  • Pourquoi ce déclin? Les projets de construction sont devenus plus complexes et plus longs, en raison de l’accroissement des règles et des normes visant à protéger les travailleurs et travailleuses, l’environnement et le patrimoine, ainsi que de l’élévation des exigences de qualité. Parallèlement, les avancées technologiques et organisationnelles n’ont pas suivi le rythme de ces nouvelles exigences, ce qui n’a pas permis de compenser ces critères plus stricts. À l’inverse, le secteur manufacturier – qui produit lui aussi des biens matériels, c’est-à-dire des objets physiques plutôt que des services – a su mieux tirer son épingle du jeu.

  • C’est que la construction se distingue du manufacturier à bien des égards. Les projets de construction sont généralement uniques, ce qui limite la possibilité de standardiser les processus et d’appliquer des technologies à grande échelle. Chaque chantier exige la mobilisation de nombreuses expertises spécialisées pour des réalisations sur mesure, rendant difficile l’automatisation complète des tâches. De plus, la construction demeure hautement dépendante de la main-d’œuvre : la rémunération du travail y représente 75 % de la valeur ajoutée, comparativement à 62  % dans le secteur manufacturier. Enfin, le secteur est composé en grande partie de petites entreprises, ce qui réduit encore davantage les possibilités de réaliser des économies d’échelle.

Hausser la productivité ne se fera pas que sur les chantiers

  • La productivité ne mesure pas la performance individuelle d'une entreprise ou d'un travailleur, mais plutôt la capacité d'une industrie à créer de la valeur ajoutée et à rester compétitive, même en situation de pénurie de main-d'œuvre. Elle dépend de plusieurs facteurs : des équipements utilisés, de la main-d’oeuvre, mais aussi de l'efficacité globale de l'industrie.

  • Dans ce contexte, l’efficacité désigne la façon dont une industrie utilise et combine ses ressources — comme le travail, les machines et les matériaux — pour produire plus avec moins. Cela peut vouloir dire mieux organiser le travail, réduire les pertes, simplifier les processus ou adopter de nouvelles technologies. Plus une industrie arrive à utiliser ses ressources de façon intelligente, plus sa productivité multifactorielle augmente, même sans ajouter de nouveaux travailleurs ou équipements.

  • Entre 2014 et 2019 au Québec, la productivité a progressé en moyenne de 0,3 % par an, principalement grâce à des gains d’efficacité organisationnelle (+0,4 %) et à une amélioration de la qualité de la main-d’œuvre (+0,1 %). Les juridictions qui ont connu un bon rattrapage récemment ont elles aussi misé sur ces deux leviers. C’est donc sur la qualité de la main-d’œuvre et l’efficacité que reposent aujourd’hui les principaux efforts d’amélioration.

  • Améliorer la productivité dépasse donc largement le seul travail sur les chantiers. C’est un défi qui concerne toute la chaîne de valeur, du financement à la planification, jusqu’à la fin de vie des projets.

Rehausser les compétences des travailleurs…et des gestionnaires

  • La formation est un pilier du développement de l'industrie. Au-delà du recrutement, elle améliore les conditions de travail, favorise l'innovation et ultimement, stimule la productivité.

  • Cependant, les pénuries de main-d'œuvre ont conduit à un assouplissement des conditions d'accès à l'industrie. La proportion de nouveaux travailleurs autorisés à exercer sur les chantiers assujettis à la Loi R-20 sans le diplôme d’études professionnelles normalement requis est passée de 43% en 2014 à 75% en 2023.

  • Cette dynamique crée un cercle vicieux qui réduit l'incitation à se former et nuit à la rétention de la main-d'œuvre. Les inscriptions aux DEP en construction ont diminué de 8% entre 2013 et 2022, tandis que le taux de départ après 5 ans atteint 40% chez les travailleurs non diplômés, contre 24% pour les diplômés.

  • L'industrie doit maintenant redoubler d'efforts pour attirer et former les jeunes, tout en mettant à niveau les travailleurs actuels — de l'apprentissage au perfectionnement.

  • Au-delà des compétences techniques sur le chantier, les efforts de formation doivent préparer les gestionnaires à piloter l'innovation organisationnelle et technologique, former le personnel administratif aux nouveaux processus, et intégrer l'expertise des professionnels d'autres secteurs, notamment en technologies de l'information, qui sont essentielles à la transformation du secteur.

Utiliser plus efficacement et durablement les ressources

Notre analyse de pratiques inspirantes à l'international révèle plusieurs leviers d'action prometteurs pour améliorer l’efficacité de l’industrie dans son ensemble.

Accélérer l'adoption d'innovations existantes

  • Dans une industrie où 62% des entreprises comptent moins de 4 employés (32 % dans le manufacturier), la priorité est d'accélérer l'adoption d'innovations plutôt que d'en développer de nouvelles par le biais de la R-D.

  • Cette accélération peut passer par la concertation dans l’industrie, la réglementation (p. ex., rendre obligatoire l’utilisation de certaines technologies dans les appels d’offres) et un meilleur arrimage entre l’écosystème de R-D et l’industrie. Le développement des compétences et davantage de diversité (femmes, personnes issues de l’immigration) pourraient également être des vecteurs d’adoption de l’innovation.

Intégrer plus de nouvelles technologies

  • Le potentiel le plus prometteur pour introduire de nouvelles technologies dans la construction se situe davantage dans les phases de planification et de gestion logistique que sur les chantiers eux-mêmes.

  • La modélisation des informations de la construction (BIM) gagnerait à être plus largement adoptée. Comme l'a fait le Royaume-Uni, l'exiger dans les appels d'offres publics peut accélérer son adoption, tout en accompagnant les petites entreprises dans cette transition.

  • Le préfabriqué offre aussi des opportunités importantes, notamment en optimisant les délais grâce à la construction parallèle. Les Pays-Bas l'utilisent dans près de la moitié de leurs projets. Cependant, cette approche fait face à des défis : standardisation complexe, coûts de transport, et nécessité de volumes suffisants pour rentabiliser les investissements dans les usines.

Favoriser les économies d'échelle par la collaboration

  • Dans un secteur dominé par les petites entreprises et les projets sur mesure, la collaboration représente un levier important de productivité. Les structures de collaboaration tels que les partenariats, consortiums et grappes industrielles permettent de mutualiser les ressources (équipements, technologies), sous-traiter stratégiquement (planification, logistique), et partager les bonnes pratiques entre entreprises.

  • Le Construction Innovation Hub au Royaume-Uni illustre ce potentiel : en rassemblant chercheurs, gouvernements et entreprises, il accélère l'adoption d'innovations et influence même l'évolution réglementaire, notamment par le biais des appels d'offres.

Optimiser l'administration réglementaire

  • Les normes et règlements procurent de nombreux bénéfices – ils protègent les travailleurs et travailleuses, l'environnement et le patrimoine – mais peuvent aussi freiner la productivité. Selon la Banque mondiale, le Canada obtient un score de 73/100 pour la facilité d'obtention des permis de construire, sous la moyenne de l'OCDE, mais surtout des délais moyens de 249 jours soit parmi les plus longs.

  • Si la simplification des règles peut aider, améliorer la manière dont on administre la réglementation – tant du côté des organismes régulateurs que des acteurs de l'industrie – représente un levier majeur pour accélérer les processus et accroître l'efficacité du secteur sans compromettre les objectifs de protection.

  • Des solutions concrètes existent : formulaires intelligents et bases de données intégrées pour les organismes régulateurs, technologies de contrôle comme les drones pour les entrepreneurs (déjà utilisées en Australie).

Pourquoi cette étude ?

Au Québec comme ailleurs dans le monde, l’industrie de la construction se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, elle fait face à une demande croissante et pressante, avec des logements à construire pour pallier la pénurie, des infrastructures vieillissantes à rénover et une transition énergétique à réussir, le tout en intégrant les principes de durabilité. La volonté affichée de faire de l’industrie un levier de relance, dans le contexte d’une guerre tarifaire, exacerberait encore davantage la demande. De l’autre, elle doit composer avec une main-d’œuvre qualifiée plus rare, conséquence du vieillissement démographique qui touche l’ensemble de notre société.

Ces défis, loin d’être insurmontables, nous invitent à repenser en profondeur nos façons de faire. Comment peut-on construire plus ? Mais aussi, comment nos travaux peuvent-ils être construits de manière plus efficace et durable ? Ces questions, au cœur des débats publics récents, ont motivé l’adoption de lois visant à assouplir et à optimiser les pratiques du secteur. Cette transition n’est pas simple − l’ensemble des économies industrialisées y font face − et les solutions ne peuvent l’être non plus.

La conversation entourant les enjeux de productivité dans la construction a été amorcée au Québec au cours des dernières années, notamment avec la publication de différentes analyses et une modernisation des lois entourant l’industrie.

La transformation de l’industrie dépendra de l’action coordonnée de nombreux acteurs − gouvernements, entreprises, syndicats – qui ont chacun leur zone de responsabilité.

C’est dans ce contexte que la Commission de la construction du Québec (CCQ), qui joue un rôle central au sein de cette industrie, a approché l’Institut du Québec (IDQ) pour brosser un portrait des enjeux de productivité dans l’industrie. Ce rapport est le fruit de cette démarche. Il explore les multiples dimensions d’une problématique complexe. Bien que la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (loi R-20) soit un pilier important de ce secteur, notre analyse va au-delà de ce cadre législatif particulier. Nous examinons l’industrie dans son ensemble, en considérant les multiples facteurs qui influencent sa productivité et son évolution, des technologies émergentes aux pratiques de gestion, en passant par la formation de la main-d’œuvre.

Notre ambition est claire : fournir aux décideurs, à l’industrie et à l’ensemble de la société québécoise les outils nécessaires pour comprendre les défis actuels et futurs du secteur de la construction. Mais au-delà de la compréhension, ce rapport se veut un tremplin vers l’action. Il présente des pratiques inspirantes que l’on retrouve au Québec comme ailleurs. Il propose surtout des pistes de réflexion pour transformer l’industrie, la rendre plus productive, plus innovante, plus durable et mieux adaptée aux besoins de notre époque.

Pourquoi se pencher sur l’industrie de la construction aujourd’hui ?

Ce qu'il faut retenir

  • Les besoins en construction vont s'intensifier dans la prochaine décennie, portés par les grands projets d'infrastructures publiques, le plan de transition énergétique d'Hydro-Québec, et la demande en logements et bâtiments industriels. Cette pression pourrait encore s'accentuer si le secteur est sollicité comme outil de relance économique en réponse aux défis tarifaires.

  • Ces grands projets se disputeront les mêmes ressources, particulièrement la main-d'œuvre. Malgré son attractivité auprès des jeunes (40 % des travailleurs ont moins de 35 ans, contre 27 % dans le secteur manufacturier), l'industrie de la construction fait face à des défis de recrutement importants. Près de la moitié des entreprises X(48 %) prévoyaient des difficultés de recrutement à la fin 2024.

  • Pour mener à bien ces projets, il faudra agir sur plusieurs fronts : mieux prévoir et étaler la demande dans le temps, accroître et retenir la main-d'œuvre qualifiée, et optimiser l'utilisation des talents disponibles pour hausser la productivité. C'est sur ce dernier enjeu que se concentre ce rapport.

  • La productivité ne mesure pas la performance individuelle d'une entreprise ou d'un travailleur, mais plutôt la capacité d'une industrie à créer de la valeur ajoutée et à maintenir sa compétitivité malgré les défis de main-d'œuvre. Elle dépend de plusieurs facteurs : les compétences de la main-d’œuvre, les équipements utilisés, mais aussi de l'efficacité globale de l'industrie.

  • Entre 2014 et 2019 au Québec, c'est justement l'efficacité organisationnelle qui a été le principal moteur de croissance. La productivité a augmenté en moyenne de 0,3 % par année, portée surtout par des gains d'efficacité (+0,4 %), tandis que l'évolution de la main-d'œuvre (+0,1 %) et la baisse des investissements en équipement (-0,2 %) ont eu des effets plus modestes.

  • Améliorer la productivité dépasse donc largement le travail sur les chantiers. C'est un défi qui concerne toute la chaîne de valeur, du financement jusqu'à la fin de vie des projets en passant par la conception et la planification.

La construction au cœur des ambitions du Québec de la prochaine décennie

  • L’ensemble de l’industrie de la construction – soit les travaux assujettis et non-assujettis à la loi R-20 (encadré 1) – occupe une part importante de l’économie québécoise, avec 7,0 % de l’emploi et 6,8 % du PIB en 2023. Le rôle joué par l’industrie est appelé à augmenter, car elle est au cœur des objectifs sociaux et économiques du Québec : pallier la pénurie de logements, mettre à niveau les infrastructures, attirer des investissements, réussir la transition.

  • En conséquence, l’industrie sera interpellée par une multitude de demandes qui se feront concurrence au courant de la prochaine décennie (figure 1). Ces différentes demandes convoiteront toutes les mêmes ressources de l’industrie, en particulier ses travailleurs et travailleuses, mais aussi ses ressources financières et matérielles.

  • Ces demandes pourraient même être exacerbées par la volonté affichée de faire de la construction un levier de relance économique dans le cas d’une guerre tarifaire.

  • Enfin, la nécessité d’adapter les ouvrages pour plus de résilience face aux changements climatiques pourrait augmenter la pression sur l’industrie.

  • La performance de l’industrie ne sera pas uniquement garante du succès des entreprises et des travailleurs et travailleuses qui y œuvrent, mais également de celui de l’économie québécoise dans son ensemble.

Encadré 1 : Qu’est-ce que la loi R-20?

La Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (loi R-20) constitue le cadre légal qui régit les relations de travail dans l’industrie de la construction au Québec. Adoptée en 1968, elle établit notamment :

  • Le mandat de la CCQ comme organisme responsable de l’application de la loi ;

  • Les règles de négociation des conventions collectives sectorielles qui déterminent les conditions de travail ;

  • L’obligation de détenir un certificat de compétences pour travailler dans l’industrie ;

  • Les mécanismes de formation professionnelle et de qualification de la main-d’œuvre ;

  • Les balises concernant la sécurité syndicale et le référencement des travailleurs et travailleuses.

Entre 55 % et 60 % des travaux de construction au Québec sont assujettis à la loi R-20, dont ceux touchant les routes, les ouvrages de génie civil, les usines, l’installation de machinerie de production, les bâtiments commerciaux et institutionnels, ainsi que les habitations. Certains travaux en sont exclus, notamment la rénovation résidentielle effectuée par le propriétaire occupant, les travaux d’entretien et de réparation par le personnel municipal ou dans les offices municipaux d'habitation. Bien que le Québec se démarque au Canada par son cadre réglementaire unique, la qualification et l’accès aux métiers font l’objet d’une réglementation rigoureuse dans l’ensemble des provinces.

Figure 1
Les principales sources de demande pour l’industrie de la construction du Québec

Une industrie qui parvient à attirer de la main-d’œuvre, mais qui est aussi confrontée aux difficultés de recrutement

  • Parallèlement à l’accroissement de la demande, l’offre de main-d’œuvre se fait plus rare. Le vieillissement de la population s’est fait sentir au cours des dernières années dans l’ensemble de l’économie québécoise où l’offre de main-d’œuvre ne semblait plus suffire à la demande des employeurs.

  • L’industrie de la construction compte toutefois un atout de taille par rapport à d’autres secteurs en mal de travailleurs et travailleuses : elle parvient encore à attirer de la main-d’œuvre, entre autres des jeunes. La proportion de jeunes de moins de 35 ans y est de 40 % tandis qu’elle n’est que de 27 % dans le secteur manufacturier (graphique 1).

  • Cette capacité d’attraction s’explique notamment par une rémunération attractive pour le niveau de diplôme requis. À titre d’exemple, en 2019, le salaire horaire moyen des travailleurs et travailleuses de la construction possédant un diplôme d’études professionnelles (31,43 $) était supérieur de 30 % à celui des diplômés de la formation professionnelle dans l’ensemble des industries (24,24 $), et de 23 % supérieur à ceux du secteur manufacturier (25,51 $).

  • Cependant, ces salaires attrayants doivent être nuancés par l'instabilité inhérente au secteur : travail saisonnier, projets d'investissement variables et heures de travail fluctuantes. L'absence d'emplois permanents pour de nombreux travailleurs peut également réduire l'attrait de ces professions.

  • Alors que plusieurs secteurs d'activité ont réussi à combler leurs besoins de main-d'œuvre grâce à l'immigration temporaire, l'industrie de la construction n’a pas intégré cette source de talents. Cette situation est particulièrement frappante quand on examine l'évolution des effectifs : entre 2023 et 2024, le nombre de travailleurs temporaires a augmenté de 9 700 personnes dans le secteur manufacturier, tandis que l'industrie de la construction n'a enregistré qu'une hausse de 500 personnes, malgré ses besoins criants.

  • L’industrie de la construction est ainsi confrontée aux difficultés de recrutement observées au Québec : 48 % des entreprises du secteur anticipaient des obstacles liés à la main-d’œuvre au quatrième trimestre de 2024 (graphique 2). Ce taux est plus élevé que celui de l’ensemble des entreprises québécoises (43 %) et dépasse largement celui des entreprises de construction ontariennes (29 %), bien qu’il soit équivalent à celui du secteur de la fabrication du Québec (49 %).

  • L’enjeu de rareté de main-d’œuvre risque de perdurer, comme le souligne un rapport de la CCQ qui fait le point sur la disponibilité et les besoins de main-d’œuvre en construction, et qui indique que la plupart des professions de la construction seront sous pression au cours des prochaines années.

Graphique 1
Graphique 2

Augmenter la productivité pour s’assurer que les projets se réalisent...

  • Pour mener à bien l’ensemble des projets prévus pour le Québec dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, il faudra nécessairement s’assurer de travailler sur plusieurs fronts : étaler la demande dans le temps pour réduire la pression sur l’industrie, augmenter le nombre de travailleurs et travailleuses qualifiés disponibles et s’assurer d’utiliser de manière optimale les talents disponibles.

  • Dans l’industrie de la construction, les conséquences de la rareté de main-d’œuvre se manifestent autrement que dans les autres secteurs d’activité économique où des employeurs affichent des postes à pourvoir et peuvent souvent continuer à opérer, même en sous-effectif. En effet, lorsque la main-d’œuvre en construction se fait trop rare ou trop coûteuse, ce sont des projets entiers qui peuvent être repoussés dans le temps ou complètement abandonnés. Il existe alors un risque de voir moins de logements, d’usine ou d’écoles être construits.

  • S’il est possible de réduire cette pression en augmentant le bassin de travailleurs disponibles (diplômés, immigration), l’amélioration de la productivité du travail reste incontournable. Mais aussi essentiel que soit ce défi, il ne constitue pas pour autant une finalité, puisque celle-ci demeure de subvenir aux besoins en logements et en infrastructures de la société québécoise. « Accroître la productivité, c’est trouver des moyens pour que les gens créent plus de valeur pendant leurs heures de travail. Ce doit être une aspiration, et non une chose à craindre », expliquait Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada, en lançant en mars 2024 un cri d’alarme sur le faible niveau de productivité de l’économie canadienne.

  • Loin de n’être qu’un concept théorique, la productivité s’avère un indicateur très concret et très opérationnel, tant pour les employeurs que pour les travailleurs et travailleuses, car elle est intimement liée à la capacité de mettre en branle des projets de construction, à la qualité des emplois et ultimement à la capacité d’attirer et de retenir des travailleurs et travailleuses dans l’industrie.

  • Augmenter la productivité dans l’industrie s’avère donc aussi une façon de rehausser la résilience du secteur dans un contexte de transition démographique et de rareté de la main-d’œuvre.

... et pour optimiser la qualité des emplois

  • Des emplois de qualité – bien rémunérés, peu pénibles et sécuritaires – permettent d’attirer et de retenir des travailleurs et travailleuses, ce qui permet de mettre en branle et de réaliser des projets. Cette qualité dépend évidemment de la capacité à négocier les conditions de travail entre employeurs et syndicats, mais aussi des moyens de l’industrie pour investir dans la machinerie et les technologies.

  • Pour disposer de ces moyens, elle doit générer des résultats avantageux. Cela implique de dégager une marge entre la valeur ajoutée produite et ses coûts de production, principalement les salaires dans l’industrie de la construction. En d’autres termes, cela revient à augmenter sa productivité.

  • À l’inverse, faillir à offrir des emplois de qualité engendre des coûts supplémentaires, notamment avec moins de rétention du personnel.

  • Améliorer la qualité des emplois en les rendant moins pénibles pourrait également être un levier pour améliorer la santé et sécurité au travail.

  • Le défi – pour la construction comme pour les autres industries – consiste donc à placer les entreprises dans un cercle vertueux où la hausse de productivité permet de dégager les marges nécessaires pour investir dans le capital et le personnel, améliorer la qualité des emplois et faciliter le recrutement, ce qui permet à son tour de réduire les coûts de main-d’œuvre (figure 2).

Figure 2
Un cercle vertueux pour hausser la productivité et améliorer la qualité des emplois

La productivité dépend de nombreux facteurs

  • La productivité, dans la construction comme dans toutes les industries, dépend de nombreux facteurs. Selon les comptes économiques compilés par les agences statistiques, la croissance de la productivité découle de trois éléments : la main-d’œuvre, l’intensité du capital – soit la machinerie et la technologie disponible – et l’efficacité de l’industrie dans son ensemble, aussi nommée productivité multifactorielle (figure 3).

  • L'efficacité d'une économie dépend de facteurs qui touchent l'ensemble des entreprises et des travailleurs, notamment dans la façon dont ils utilisent les ressources et les équipements. Ces facteurs incluent les avancées technologiques, la façon dont les industries sont organisées, leur capacité à produire en plus grand volume, ainsi que les règles et normes en place.

Figure 3
Facteurs de croissance de la productivité : une approche systémique

En construction, ce sont les gains d’efficacité qui ont contribué le plus à la croissance de la productivité

  • L’examen de l’évolution de la productivité, ainsi que chacune de ses trois composantes, révèle qu’autant au Québec qu’en Ontario et en Colombie-Britannique, les gains en efficacité ont le plus contribué à la croissance de la productivité (graphique 3). En fait, dans les trois provinces, ces gains en efficacité expliquent pratiquement toute la croissance de la productivité dans l’industrie de la construction.

  • Entre 2014 et 2019 (dernières données prépandémiques disponibles pour l’analyse), la productivité du secteur de la construction au Québec a connu une croissance modeste, avec une contribution de +0,4 points de pourcentage (p.d.p) provenant de l’efficacité globale de l’industrie, de +0,1 p.d.p de la composition de la main-d’œuvre, tandis que l’intensité du capital a exercé un effet négatif de -0,2 p.d.p.

  • Ces résultats ont été obtenus en appliquant la méthodologie de Statistique Canada, qui décompose la croissance de la productivité du travail en trois éléments : l’intensité du capital, reflétant les investissements par travailleur; la qualité de la main-d’œuvre, liée à la qualification et à l’expérience; et les gains d’efficacité, qui incluent les améliorations technologiques, organisationnelles et les économies d’échelle. Par exemple, au Québec, bien que l’intensité du capital ait contribué négativement, les gains d’efficacité ont largement compensé, devenant le principal moteur de la productivité.

  • Plus intéressant encore, la Colombie-Britannique, qui partant d’un niveau de productivité beaucoup plus faible et qui a effectué un rattrapage important au cours de la période (graphique 4), y est parvenue grâce aux gains en efficacité dans l’industrie.

  • Plusieurs études ont aussi relevé le fait que l’efficacité était le déterminant principal de la croissance de la productivité du travail. Il s’agissait de l’une des conclusions d’AppEco au Québec, de McKinsey à l’échelle internationale, et de plusieurs études publiées dans les revues académiques (Zhi et coll., 2003 ; Li et Liu, 2010 ; Abdel-Wahab et Vogl, 2011).

  • Afin de hausser la productivité, il ne faut donc pas se concentrer uniquement sur les enjeux de main-d’œuvre ou d’investissement, mais surtout sur les facteurs systémiques qui contribuent à l’efficacité de l’industrie dans son ensemble.

  • Ainsi, ce ne sont pas les seuls efforts individuels des entreprises et des travailleurs et travailleuses qui peuvent accroître la productivité en construction ; l’enjeu est plutôt de répliquer ces succès à l’échelle de nombreux projets et de les généraliser à l’ensemble de l’industrie.

Graphique 3

Encadré 2 : Ce que mesure (et ne mesure pas) la productivité

La mesure de performance d’une industrie la plus souvent utilisée est celle de productivité, c’est-à-dire la valeur ajoutée (en dollars) produite dans une économie ou une industrie par rapport aux intrants utilisés pour produire cette valeur, soit la main-d’œuvre, mais aussi le capital, comme les machines et les technologies.

Plus particulièrement, c’est la productivité du travail (soit la valeur ajoutée par rapport aux heures travaillées) qui est la plus fréquemment rapportée et analysée. Ce concept chargé donne l’impression – à tort – d’être une mesure de la performance individuelle des travailleurs et travailleuses, qui seraient plus ou moins aptes à produire plus par heure de travail.

Or, la productivité du travail est en réalité une mesure de la performance globale d’une industrie ou d’une économie, qui dépend en partie des travailleurs et travailleuses, mais aussi des machines et des technologies utilisées, des segments de marché sur lesquels elle se positionne, entre autres.

Avantages

Les économistes utilisent la productivité du travail comme mesure de performance pour plusieurs raisons :

  • Sa facilité d’utilisation, puisque les heures travaillées sont plus faciles à quantifier que la valeur du stock de capital;

  • Sa simplicité, la productivité du travail étant plus intuitive et plus facilement interprétable pour les gestionnaires et les analystes que la productivité du capital. Elle permet de comparer plus aisément la performance entre entreprises, secteurs et pays, car la main-d’œuvre est un intrant commun.

  • L’importance de la main-d’œuvre, qui représente une part considérable des coûts de production dans de nombreux secteurs, ce qui en fait un facteur clé de la performance. L’amélioration de la productivité du travail est souvent une priorité pour les entreprises et les décideurs politiques, car elle permet de réduire les coûts de main-d’œuvre par unité produite.

Limites

Bien que la productivité soit une mesure importante de la performance économique, elle comporte des limites propres au secteur de la construction :

La nature des ouvrages construits, puisque la valeur ajoutée du secteur ne reflète pas la qualité ou le type de construction. Par exemple, la construction d’infrastructures (ponts, routes) plutôt que de logements augmente la productivité sans répondre aux besoins prioritaires en habitation.

La sensibilité conjoncturelle influence la valeur ajoutée, puisque cette dernière est calculée sur la base des coûts de production. Elle peut donc diminuer si les prix des matériaux (bois, ciment) augmentent plus vite que ceux d’autres secteurs, sans que l’efficacité réelle de l’industrie ait changé.

Néanmoins, dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, la productivité reste un indicateur important de la capacité d’une industrie à optimiser ses ressources et à maintenir sa compétitivité.

D’autres mesures plus concrètes pourraient également être mises à profit afin de mieux évaluer la performance de l’industrie dans le temps, comme la durée de réalisation des projets. La CCQ, qui collecte déjà en partie cette information, pourrait jouer un rôle de premier plan pour la mettre en valeur.

La productivité dans la construction : un défi mondial qui appelle une réponse sur mesure

Ce qu'il faut retenir

  • Les enjeux de productivité dans la construction dépassent les frontières du Québec. La plupart des pays occidentaux ont vu leur productivité en construction décliner alors qu'elle augmentait dans d'autres industries. Les chiffres sont révélateurs : entre 1997 et 2023, la productivité a stagné au Canada (-2,6%), légèrement progressé au Québec (+3%), et chuté aux États-Unis et en France (-20%). Seuls quelques pays, comme le Danemark et les Pays-Bas, font figure d'exceptions.

  • Pourquoi? Les projets sont devenus plus complexes, pour en améliorer la qualité, mais aussi avec davantage de règles et de normes protégeant les travailleurs, l'environnement et le patrimoine. En parallèle, les progrès technologiques et organisationnels n'ont pas suivi le rythme de ces nouvelles exigences.

  • À l'inverse, le secteur manufacturier a pu davantage suivre le rythme de cette complexité avec économies d'échelle, automatisation, standardisation, nouvelles technologies - une recette qui a été plus difficile à appliquer dans la construction.

  • Bien qu'elle produise des biens (logements, infrastructures), la construction fonctionne davantage comme une industrie de services, nécessitant beaucoup de main-d'œuvre - la rémunération du travail y représente 75 % de la valeur ajoutée, contre 62 % pour l'ensemble des entreprises productrices de biens - pour des produits sur mesure.

La productivité dans la construction a décliné dans la plupart des pays de l’OCDE

  • La productivité du travail en construction s’est détériorée dans plusieurs pays membres de l’OCDE (graphique 4), avec une baisse dans bon nombre de juridictions comparables entre 1997 et 2023 (plus large série de données disponible), dont les États-Unis, l’Allemagne et la France.

  • Le Québec (+3,0 %) se distingue par une légère augmentation de la productivité du travail en construction, alors que le Canada (-2,6 %) affiche un recul. Les pays dont la productivité a connu une progression plus marquée pendant cette période, comme le Danemark et les Pays-Bas, font davantage figure d’exceptions (voir les pratiques inspirantes). Il est également à souligner que, d’après les données préliminaires pour 2024, la productivité du travail dans la construction au Québec a augmenté de 6,0 % entre 1997 et 2024.

  • En comparaison avec le reste du Canada, la productivité du travail de l’industrie de la construction québécoise est similaire à celle de l’Ontario depuis 1997 (graphique 5). Pendant cette période, le Québec était généralement meilleur que la Colombie-Britannique, mais celle-ci affiche une très forte progression depuis la fin des années 2000, au point d’avoir rattrapé à la fois le Québec et l’Ontario.

  • Rappelons qu’au cours de la même période, les économies du Québec, du Canada et des autres pays de l’OCDE ont plutôt connu une augmentation importante de leur productivité.

  • Force est de constater que l’industrie de la construction, au Québec, comme ailleurs, fait face à un défi de taille pour accroître sa productivité. Pour bien identifier les leviers à activer, il faut bien comprendre les attributs de cette industrie unique, dont son écosystème d’affaires et la chaîne de valeur que l’on peut retracer dans tout projet.

Graphique 4
Graphique 5

Une industrie qui s’appuie tout particulièrement sur les travailleurs et travailleuses

  • En plus de l’écosystème et de la chaîne de valeur qui lui sont propres, l’industrie de la construction se distingue par une utilisation intensive du travail, par rapport au capital qui y est investi et aux autres facteurs de production.

  • En construction, la part de la main-d’œuvre – c’est-à-dire ce que représente la rémunération du travail par rapport à la valeur ajoutée – s’établit à 75 %, alors qu’elle se situe plutôt à 61 % pour l’ensemble des entreprises et à 62 % pour les entreprises manufacturières (graphique 6). Dans les secteurs résidentiel et non résidentiel (industriel, commercial et institutionnel) la part de la rémunération atteint respectivement 80 % et 81 % de la valeur ajoutée.

  • Pour cette raison, on peut assimiler la structure de l’industrie de la construction à une industrie de services, où de nombreuses ressources sont utilisées pour fournir un produit sur mesure au client. Les économies d’échelle et la standardisation des processus, que l’on peut retrouver dans d’autres industries, sont alors plus difficiles à réaliser en construction. Cela peut être le cas, par exemple, pour les constructions résidentielles dédiées ou encore les bâtiments institutionnels qui commandent des attributs particuliers (p. ex., les hôpitaux).

  • L'une des solutions les plus prometteuses pour améliorer le secteur de la construction serait d'adopter des méthodes similaires à celles de l'industrie manufacturière. Selon les études du Boston Consulting Group et de McKinsey, cette approche permettrait d'augmenter l'efficacité des travailleurs tout en réduisant significativement les coûts (pratique inspirante 1).

  • Les chiffres au Québec montrent bien le potentiel d'amélioration : en 2023, l'industrie manufacturière investissait 94$ en équipements par emploi, soit trois fois plus que le secteur de la construction qui n'investissait que 28$ par emploi.

  • La construction en usine apparaît comme une avenue particulièrement intéressante à explorer. Bien que cette approche ne soit pas encore largement adoptée au Québec, plusieurs chercheurs québécois étudient actuellement cette possibilité et sont disposés à partager leur expertise avec l'ensemble des acteurs du secteur.

  • Il faut toutefois nuancer cette solution : elle ne représente pas une solution miracle et ne pourra pas s'appliquer à tous les projets de construction. Par définition, de nombreux projets sont uniques et nécessitent des approches sur mesure, notamment dans le cas des grands ouvrages d'infrastructure ou des bâtiments avec des caractéristiques particulières.

Pratique inspirante 1 : Construction modulaire aux Pays-Bas

Les entreprises néerlandaises sont des pionnières dans l’adoption de la construction modulaire, qui consiste à fabriquer des sections de bâtiments en usine pour un assemblage rapide sur site. Cette méthode présente plusieurs avantages, notamment un gain de temps, une réduction des déchets par une utilisation optimisée des matériaux et une amélioration de la qualité des composants fabriqués dans des conditions contrôlées.

Alors qu’environ 47 % des projets utilisent des éléments préassemblés, les Pays-Bas se distinguent en Europe pour leur engagement envers la préfabrication. Ce rapport souligne également une tendance vers des systèmes de préfabrication plus avancés, engendrée par le besoin d’accélérer le processus de construction, d’optimiser les coûts et de diminuer la dépendance à la main-d’œuvre qualifiée. Ces pratiques renforcent la compétitivité des entreprises néerlandaises sur le marché européen.

Graphique 6

Les solutions qui ont marché dans le manufacturier sont plus difficiles à appliquer en construction

  • Au fil des années, les projets sont devenus plus complexes, pour en améliorer la qualité, mais aussi avec davantage de règles et de normes protégeant les travailleurs, l'environnement et le patrimoine. En parallèle, les progrès technologiques et organisationnels n'ont pas suivi le rythme de ces nouvelles exigences.

  • L'industrie de la construction présente certaines caractéristiques propres qui nécessitent d'adapter la « recette » qui a été éprouvée dans d'autres secteurs. Les microentreprises (1 à 4 employés) représentent la majorité des établissements (62 %), soit une proportion beaucoup plus grande que dans le secteur manufacturier (32 %). Celles-ci n'ont pas l'occasion de construire un grand nombre d'unités de la même maison ou du même édifice, si bien qu'elles ne peuvent pas amortir sur plusieurs unités les taxes, les assurances, les frais de conformité réglementaire et autres.

  • Le potentiel d'automatisation et d'intégration de nouvelles technologies est limité en construction en raison des caractéristiques propres à cette industrie. L'automatisation permet généralement de remplacer une partie des dépenses salariales par des investissements en machinerie et équipement, mais ces derniers doivent être amortis sur un certain volume de production pour être rentables. Or, en construction, le nombre d'unités produites est nécessairement plus faible, car le secteur est constitué en grande partie de petites entreprises. De plus, les contraintes spécifiques des chantiers, comme l'accès, les conditions météorologiques changeantes et la diversité des projets, freinent grandement l'automatisation.

  • Les caractéristiques de l’industrie de la construction limitent aussi les possibilités de standardisation de certains processus de production. En fait, l’industrie doit surtout composer avec des variations régionales relatives à des exigences environnementales et réglementaires, sans parler des contraintes naturelles liées au climat et à la topographie. En raison de ces variations, il est difficile de proposer un produit uniforme à grande échelle.

Des chaînes de valeur complexes regroupant de nombreux intervenants

  • Au Québec comme ailleurs, les chaînes de valeur en construction rassemblent de nombreux intervenants dont les interactions sont essentielles au bon déroulement des projets. Ces intervenants ont des rôles et des responsabilités spécifiques à l’intérieur de la chaîne de valeur de tout projet de construction (figure 4).

  • Pour trouver et adopter une nouvelle « recette » pour rehausser la productivité dans la construction, il faudra impliquer l’ensemble de ces joueurs.

Figure 4
Hausser la productivité: une responsabilité partagée tout au long de la chaîne de valeur

L’industrie, à un moment charnière

  • L’industrie de la construction, au Québec comme dans les autres économies occidentales doit se transformer pour dégager des gains de productivité. Les acteurs de l’industrie, tout comme le gouvernement du Québec, mettent en œuvre des actions pour transformer l’industrie.

  • Ainsi, au sortir de la pandémie, le gouvernement a mis en place le Plan d’action pour le secteur de la construction, qui visait à relancer l’activité économique, à atténuer la pénurie de main-d’œuvre et à accroître la productivité. Ce plan a entraîné une demande accrue pour les ressources de l’industrie, notamment en matière d’effectifs, comme le montrent les Perspectives 2024-2028 de la CCQ.

  • Les lois adoptées au cours de la dernière année, soit la Loi modernisant l’industrie de la construction (anciennement projet de loi 51) et la Loi visant principalement à diversifier les stratégies d’acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d’agilité dans la réalisation de leurs projets d’infrastructure (anciennement projet de loi 62), ont pour objectif de moderniser l’industrie de la construction. Elles visent à améliorer son efficacité et son agilité, répondant ainsi aux défis de productivité, de gestion des ressources et d’adaptation aux nouvelles réalités du marché auxquels fait face ce secteur.

  • Le gouvernement du Québec a aussi mis en place des mesures pour pallier le manque de travailleurs et travailleuses en construction en lançant l’Offensive de formation en construction en octobre 2023.

  • Certes, ces initiatives témoignent de l’engagement gouvernemental à soutenir l’industrie de la construction, mais la complexité des enjeux nécessite une réflexion plus vaste et continue.

Main-d’œuvre : le défi des compétences

Ce qu'il faut retenir

  • La formation est un pilier du développement de l'industrie. Au-delà du recrutement, elle améliore les conditions de travail, favorise l'innovation et ultimement stimule la productivité.

  • Cependant, les pénuries de main-d'œuvre ont conduit à un assouplissement des conditions d'accès à l'industrie. La proportion de nouveaux travailleurs autorisés à exercer sur les chantiers assujettis à la Loi R-20 sans le diplôme d’études professionnelles normalement requis est passée de 43% en 2014 à 75% en 2023.

  • Cette dynamique crée un cercle vicieux qui réduit l'incitation à se former et nuit à la rétention de la main-d'œuvre. Les inscriptions aux DEP en construction ont diminué de 8% entre 2013 et 2022, tandis que le taux de départ après 5 ans atteint 40% chez les travailleurs non diplômés, contre 24% pour les diplômés.

  • L'industrie doit maintenant redoubler d'efforts pour attirer et former les jeunes, tout en mettant à niveau les travailleurs actuels — de l'apprentissage au perfectionnement.

  • Au-delà des compétences techniques sur le chantier, les efforts de formation doivent préparer les gestionnaires à piloter l'innovation organisationnelle et technologique, former le personnel administratif aux nouveaux processus, et intégrer l'expertise des professionnels d'autres secteurs, notamment en technologies de l'information, qui sont essentielles à la transformation du secteur.

Davantage de travailleuses et travailleurs non diplômés

  • La transition démographique touche l’ensemble de l’économie québécoise, où le départ des travailleuses et travailleurs plus expérimentés pose un double défi. Il faut d’une part pourvoir les postes qu’ils laissent vacants, et d’autre part, mettre à niveau le nouveau personnel moins expérimenté.

  • La gestion et le développement de la main-d’œuvre en construction sont encadrés par la CCQ pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses œuvrant sur des chantiers assujettis à la loi R-20 (figure 5). Si les différences entre les systèmes réglementaires provinciaux rendent les comparaisons directes difficiles, on constate néanmoins que le Québec se démarque probablement par un encadrement plus strict. Cela dit, l'ensemble des provinces canadiennes applique des normes rigoureuses pour la qualification et l'accès aux métiers.

  • Cependant, une tendance préoccupante se dessine : une proportion grandissante des personnes faisant leur entrée dans l’industrie ne possède pas de diplôme de formation professionnelle (graphique 7) via l’ouverture des bassins de main-d’œuvre, une procédure permettant à des personnes non-diplômées de la formation professionnelle d’œuvrer sur des chantiers assujétis.

Graphique 7
  • En effet, au cours des dernières années, le nombre de personnes diplômées ne suffisait pas à combler les besoins, ce qui a amené la CCQ à ouvrir plus fréquemment les bassins de main-d'œuvre et ainsi donner accès aux chantiers réglementés à des travailleurs autorisés à exercer sans le diplôme d'études professionnelles normalement requis. Alors qu'en 2014, seulement 43 % des nouveaux travailleurs sur les chantiers réglementés étaient autorisés à exercer sans détenir le diplôme d'études professionnelles normalement requis, cette proportion a grimpé à 75 % en 2023. Uniquement depuis 2019, ce sont donc plus de 65 524 nouveaux travailleurs qui ont été autorisés à exercer sans diplôme initial.

  • Les travailleuses et travailleurs non diplômés doivent compléter un nombre prescrit d’heures de formation pour obtenir leur certificat d’apprenti, ce qui exige de la CCQ un engagement accru dans la mise en œuvre et le suivi des programmes de formation.

  • L’accessibilité grandissante aux métiers de la construction sans diplôme risque de décourager la poursuite des études chez les jeunes, comme en témoigne la baisse de 8 % des inscriptions aux DEP en construction entre 2013 et 2022, contrastant avec la hausse observée dans d’autres domaines.

  • Les données révèlent un taux d’attrition préoccupant : cinq ans après leur entrée dans l’industrie assujettie, 40 % des travailleuses et travailleurs non diplômés l’auront quittée, comparativement à seulement 24 % chez les personnes diplômées, ce qui suggère une moins grande rétention de cette main-d’œuvre.

  • Ainsi, bien que l’accès facilité à l’industrie pour la main-d’œuvre non diplômée répond aux difficultés de recrutement actuelles, il pourrait les aggraver à long terme.

  • L’introduction d’attestations d’études professionnelles (AEP), formations courtes donnant accès à certains métiers de la construction, visait à atténuer les pénuries de main-d’œuvre. Cette approche risque toutefois de privilégier les besoins immédiats au détriment du développement des compétences.

Figure 5
Système de qualification et d’accès aux métiers de la construction pour les travaux assujettis au Québec

Moins de compagnons pour accompagner la relève

  • Selon le Règlement sur la formation professionnelle de la main-d’œuvre de l’industrie de la construction, l’employeur ne peut faire exécuter des tâches par un apprenti que sous la surveillance immédiate d’un compagnon. Plus le ratio compagnons/apprenti est élevé, plus les apprentis ont facilement accès à un mentor leur permettant de progresser eux-mêmes vers le titre de compagnon.

  • Or, le ratio compagnons/apprenti a baissé de 2,0 à 1,7 entre 2018 et 2023 ce qui pourrait freiner le développement des apprentis.

  • Cette situation reflète le départ à la retraite croissant de compagnons expérimentés, hommes et femmes. Elle risque d’être amplifiée par les délais dans le processus de qualification : les travailleurs et travailleuses sans diplôme mettent davantage de temps à progresser du statut d’apprenti à celui de compagnon, ce qui réduit à son tour le nombre de mentors disponibles pour former la relève.

  • Par le passé, des mesures particulières ont été mises en place pour accélérer l’accès au statut de compagnon. Il reste à évaluer si de telles mesures peuvent compromettre l’acquisition des compétences nécessaires à l’exercice des tâches.

  • En 2024, les employeurs sondés par la CCQ notaient d’ailleurs que les obstacles les plus importants au bon fonctionnement de leur organisation étaient le niveau de compétence des travailleuses et travailleurs.

  • Les mesures mises en place pour faciliter l’accès aux métiers de la construction sont absolument compréhensibles, dans le contexte des besoins pressants de construire plus de logements, d’infrastructures et d’usines. Toutefois, cette gestion axée sur la pénurie de main-d’œuvre plutôt que sur la pénurie de compétences pourrait plomber la croissance de la productivité et exacerber les difficultés de gestion de ressources humaines.

Un écosystème de formation à renforcer

  • Outre la gestion de l’accès aux métiers de la construction, la CCQ a pour mandat de promouvoir et de financer la formation continue des travailleurs et travailleuses du secteur. Ces initiatives de perfectionnement sont soutenues par le Fonds de formation des salariés et salariées de l’industrie de la construction (FFSIC), alimenté par les contributions des employeurs. Ce mécanisme s’apparente à la loi sur les compétences, dite « loi du 1 % », qui finance les activités de formation dans les autres industries québécoises.

  • Le fonds finance deux types de formation : les formations obligatoires pour qualifier les nouvelles personnes salariées non diplômées entrées par l’entremise des bassins de main-d’œuvre, et les formations volontaires permettant aux travailleurs et travailleuses d’acquérir des compétences techniques propres à leur métier, comme de nouvelles techniques ou technologies.

  • En 2022-2023, 11 % des travailleurs et travailleuses admissibles à un financement du FFSIC ont suivi au moins une formation. Cependant, ce taux de participation baisse à 3 % pour les compagnons, qui sont moins susceptibles d’être soumis à une obligation de formation (graphique 8).

  • Ces chiffres indiquent qu’il y a probablement de la marge pour augmenter la participation aux activités de formation, en particulier de manière volontaire : seulement 47 % des participants s'y engagent de leur propre initiative. Il faudra du même souffle poursuivre les efforts pour qualifier les nouveaux travailleurs et travailleuses non diplômés.

  • Les travailleurs et travailleuses et les entreprises qui n’œuvrent pas dans des chantiers assujettis n’ont pas accès à ces ressources pour le développement des compétences. Les données sur les activités de formation offertes par des organisations dont la masse salariale est de plus de 250 000 $ indiquent qu’il y a une marge d’amélioration.

  • Les entreprises du secteur de la construction (hors CCQ, non assujettis) sont moins susceptibles d’offrir de la formation à leur personnel que la moyenne québécoise. Cette tendance s’observe tant pour les formations offertes dans le cadre de la loi du 1 % que pour celles qui ne le sont pas. En effet, si 52 % des entreprises québécoises offrent des formations à leur personnel, seulement 36 % des entreprises de la construction (hors CCQ, non assujettis) le font (graphique 9). C’est moins que la plupart des autres industries.

Les compétences en gestion: une bougie d’allumage pour l’innovation

  • L’adoption de nouvelles technologies, l’évolution des méthodes de travail et l’intégration d’innovations tout au long de la chaîne de valeur nécessiteront une main-d’œuvre plus qualifiée, capable de s’adapter aux changements et apte à maîtriser de nouveaux outils.

  • Cette transformation va bien au-delà des compétences techniques traditionnelles du secteur et englobe désormais le développement de capacités de gestion, nécessaires pour initier et intégrer les innovations organisationnelles et technologiques qui permettront le rehaussement de la productivité.

  • Il est donc également crucial de renforcer la formation des cadres supérieurs, gestionnaires, personnel administratif et professionnels issus d'autres secteurs, notamment des technologies de l'information, dont la contribution est essentielle à la modernisation de l'industrie. Des efforts sont déjà déployés pour les entrepreneurs via des formations obligatoires.

  • Enfin, les récentes modifications législatives et l’évolution du cadre réglementaire de l’industrie amplifient ce besoin de formation continue. Dans un contexte où les pratiques de l’industrie se modernisent, les travailleurs et travailleuses devront non seulement maîtriser leur métier, mais aussi comprendre et s’adapter à un environnement réglementaire en mutation.

Graphique 8
Graphique 9

Utiliser plus efficacement et durablement les ressources

Ce qu'il faut retenir

  • Notre analyse de pratiques inspirantes à l'international révèle plusieurs leviers d'action prometteurs pour améliorer l’efficacité de l’industrie dans son ensemble.

  • Accélérer l'adoption d'innovations existantes via la concertation, la réglementation et un meilleur arrimage R-D/industrie, particulièrement crucial dans un secteur où 62% des entreprises ont moins de 4 employés.

  • Intégrer plus de technologies, surtout dans les phases de planification et de gestion logistique

  • Favoriser les économies d'échelle par la collaboration (partenariats, consortiums, grappes industrielles) pour mutualiser ressources et bonnes pratiques.

  • Optimiser l'administration réglementaire pour réduire les délais d'obtention des permis (249 jours au Canada) via des solutions numériques et technologies de contrôle.

Accélérer l’adoption de pratiques innovantes

  • L’innovation dans la construction désigne l’application de nouvelles méthodes améliorant significativement les processus, les produits ou la gestion des projets. Elle englobe les avancées techniques (nouveaux matériaux, outils) et les transformations organisationnelles (méthodes de travail collaboratif, gestion de projet).

  • L’industrie de la construction, au Québec comme ailleurs, est davantage appelée à adopter des innovations qu’à en développer. Par le passé, elle n’a jamais consacré plus de 1 % de son PIB à l’investissement dans les produits de propriété intellectuelle. Pendant ce temps, l’ensemble des industries y vouaient entre 3 % et 4 %, et le secteur de la fabrication, généralement entre 5 % et 7 %.

  • Selon l’Enquête sur l’innovation et les stratégies d’entreprise menée par Statistique Canada en 2022, l’industrie de la construction mène moins d’activités d’innovation que l’ensemble des industries dans pratiquement toutes les catégories de l’enquête (graphique 11), bien qu’elle se compare plus avantageusement pour ce qui est de l’utilisation de technologies de pointe (graphique 12).

  • Des chercheurs de l’École de technologie supérieure ont voulu comprendre les barrières à l’innovation dans l’industrie de la construction. Leurs sondages auprès d’entreprises leur ont fait constater qu’il y a un fort engouement pour les pratiques innovantes et que les entreprises les ayant adoptées en ont tiré des avantages tangibles. Toutefois, plusieurs barrières nuisent à une adoption élargie, dont la rareté des mesures de soutien, le manque de temps, la formation inadéquate et l’intégration insuffisante de l’innovation dans les stratégies d’entreprise. Le cabinet KPMG arrivait à des conclusions similaires dans une étude de 2023, soulignant que le secteur de la construction au Canada affiche un retard en matière d’innovation, mais que les entrepreneurs sont avides de s’y lancer.

  • Dans un secteur caractérisé par de nombreuses petites entreprises et des projets sur mesure, l’approche la plus prometteuse consiste à accélérer l’adoption d’innovations existantes plutôt que d’en développer de nouvelles grâce à la R-D. Les gains tangibles grâce aux outils numériques se confirment. Les constats tirés de l’adoption d’outils numériques dans d’autres contextes montrent qu’ils peuvent améliorer la productivité, renforcer la collaboration entre les parties prenantes et réduire les inefficacités (pratique inspirante 2). Cela illustre le potentiel des technologies existantes pour transformer les pratiques dans l’industrie de la construction.

  • Le Conseil de l’innovation a un rôle clé à jouer en accompagnant les entreprises dans leurs projets d’innovation, en les orientant vers les expertises et les sources de financement adaptées à leurs besoins, grâce à son réseau de conseillers spécialisés.

Graphique 10
Graphique 11

Pratique inspirante 2 : Gestion de projets municipaux au Danemark

Le Danemark se distingue par son innovation dans la construction. Par exemple l’utilisation de GenieBelt par la municipalité de Slagelse a transformé la gestion des projets de construction en facilitant la communication entre les acteurs, en renforçant la transparence grâce à des mises à jour en temps réel, et en réduisant les erreurs potentielles. Il a également permis d’optimiser l’assurance qualité et de diviser par deux le temps consacré à la documentation, tout en améliorant la collaboration entre les entrepreneurs.

Mieux arrimer l’écosystème de R-D à l’industrie

  • Le Québec dispose d’un solide écosystème de R-D dans le secteur de la construction, avec de nombreux établissements universitaires et collégiaux, ainsi que d’autres organisations qui se consacrent à l’innovation (tableau 1). Malgré cette expertise scientifique et technique considérable, l’industrie accuse un retard dans l’adoption des innovations.

  • Ce paradoxe s’explique principalement par des facteurs organisationnels (réticence au changement) et contractuels(contraintes réglementaires) plutôt que par un manque de capacité d’innovation.

  • Pour accélérer l’adoption des innovations existantes, plusieurs initiatives prometteuses ont émergé à l’échelle internationale. Au Royaume-Uni, le Construction Innovation Hub (pratique inspirante 3) rassemble des chercheurs et chercheuses, les gouvernements, des entreprises et des professionnels et professionnelles pour partager et accélérer l’implantation de solutions innovantes. Cette approche a également influencé l’évolution de la réglementation, notamment en exigeant l’utilisation de certaines technologies dans les appels d’offres.

  • Plus près de chez nous, l’Initiative Québécoise pour la Construction 4.0 offre une plateforme web d’appui et d’accompagnement aux entreprises pour accélérer leur adoption des technologies et des pratiques inspirantes.

  • Elle vise notamment une meilleure intégration du BIM, une méthode de travail collaboratif basée sur un modèle numérique 3D intelligent qui centralise toutes les informations d’un projet de construction, facilitant ainsi sa conception, sa réalisation et sa gestion tout au long de son cycle de vie. BIM Québec vise notamment à catalyser cette transformation numérique.

  • Les initiatives de réseautage et de transfert technologique s’avèrent ainsi particulièrement porteuses pour stimuler l’innovation dans l’industrie en créant des ponts entre la recherche et son application pratique.

Tableau 1
L’écosystème de R-D dans l’industrie de la construction au Québec

Pratique inspirante 3 : Construction Innovation Hub (CIH) et son approche plateforme

Ce réseau créé au Royaume-Uni regroupe quelque 600 organisations, dont les gouvernements, des entreprises, des professionnels et professionnelles de l’industrie de la construction et le milieu académique. En travaillant sur une multitude d’outils, de processus et de normes, le CIH vise l’implantation de solutions innovantes qui vont transformer en profondeur l’industrie. L’élaboration des politiques publiques et de la réglementation ne sont pas en reste puisque le réseau relie aussi ces enjeux au développement et à l’adoption de technologies.

L’approche plateforme constitue une innovation majeure du réseau, également adoptée par certaines entreprises privées. Elle réunit l’ensemble des intervenants et intervenantes de la construction – donneurs d’ouvrage, entrepreneurs, fournisseurs, professionnels et professionnelles – pour aller au-delà de la gestion par projet et envisager la construction comme un système de production intégré. Cette collaboration permet d’optimiser les processus communs à tous les projets de construction, notamment en standardisant certaines opérations grâce aux méthodes manufacturières et aux nouvelles technologies.

Le but avoué de cette transformation fondamentale consiste à accentuer l’efficacité et, par conséquent, à réduire les coûts et les délais de réalisation. Plus précisément, cela se traduit par les objectifs contenus dans le Transforming Construction Challenge, soit :

  • Réduction de 33 % des coûts initiaux et tout au long du cycle de vie d’un actif bâti ;

  • Réduction de 50 % de la durée des projets de construction et de rénovation, de la conception à la livraison de l’actif bâti ;

  • Réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’environnement bâti.

Accroître les compétences et la diversité pour stimuler l’innovation organisationnelle

  • Le manque de connaissances et de compétences s’avère actuellement un frein majeur à l’innovation dans l’industrie de la construction au Québec. Inversement, rehausser les compétences des travailleurs et travailleuses peut agir comme un catalyseur pour stimuler l’investissement dans d’autres facteurs clés de productivité, comme la machinerie, les technologies et les pratiques d’affaires plus efficaces. Le développement des compétences, à tous les niveaux de la chaîne de valeur de la construction, est un rouage essentiel dans le mécanisme d’amélioration de la productivité du secteur. En misant sur la formation continue et l’adaptation des programmes éducatifs, l’industrie peut créer un terreau fertile pour l’adoption rapide et efficace d’innovations organisationnelles, et propulser ainsi la performance globale du secteur.

  • Une main-d’œuvre diversifiée, riche en contributions féminines et immigrantes, est un puissant catalyseur d’innovation dans le secteur de la construction. Des études, dont celles de McKinsey, démontrent que la diversité des perspectives et des expériences au sein des équipes stimule la créativité et l’innovation. Les entreprises affichant une plus grande diversité de genre sont plus rentables que leurs concurrentes. Ainsi, intégrer des profils variés dans un secteur traditionnellement masculin comme la construction peut générer des idées novatrices en gestion de projet, en techniques de construction et en intégration technologique. Cette diversité améliore également la communication et la collaboration, qui sont essentielles à l’adoption d’innovations.

  • Actuellement les femmes ne constituent que 4 % de la main-d’œuvre au sein de la CCQ.

Accélérer l’adoption de technologies tout au long de la chaîne de valeur

  • Les technologies associées à la construction 4.0, comme les contrats intelligents, le BIM et l’utilisation de drones, peuvent créer des transformations profondes en particulier pour les projets d’envergure.

  • Le potentiel de ces technologies, documenté dans de nombreuses études, est illustré à la figure 6.

  • Dans l’ensemble, les innovations technologiques couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur, de la conception initiale à la livraison finale du projet, en passant par la gestion, la fabrication et la logistique. Cette approche globale est essentielle pour créer un écosystème intelligent qui mène à une meilleure prise de décision, de même qu’aux gains d’efficacité qui sont recherchés dans l’ensemble de l’industrie.

  • Contrairement aux idées reçues, le potentiel d’innovation technologique le plus prometteur dans la construction se situe davantage dans les phases de conception, de planification et de gestion logistique que sur les chantiers eux-mêmes (tableau 2).

  • Ainsi, à l’échelle mondiale, des technologies telles que le contrôle en temps réel des projets, le BIM, la gestion numérique des documents et contrats et d’analyse des risques de chantier sont les plus fréquemment et largement adoptées.

  • Ces technologies contribuent notamment à réduire le risque d’erreur dans les phases de conception et de planification, ce qui permet d’éviter d’exacerber les besoins en main-d’œuvre sur les chantiers eux-mêmes.

Figure 6
Les technologies faisant partie du concept de construction 4.0
Tableau 2
Exemples d’innovations technologiques adoptées
  • Les technologies liées à la construction 4.0 ne seraient encore que très rarement intégrées dans les appels d’offres de projets d’envergure. En effet, une étude récente souligne la résistance au changement et le manque de clarté au sujet des bénéfices de ces technologies comme principaux freins à leur adoption dans l’industrie de la construction de manière générale, ce qui suggère une faible intégration dans les processus de sélection des projets.

  • Intégrer des obligations d’utilisation de certaines technologies comme le BIM au Royaume-Uni (pratique inspirante 4) dans les appels d’offres publics pour les infrastructures pourrait stimuler l’innovation, encourager l’adoption de nouvelles technologies, et ultimement améliorer la productivité et la qualité des projets de construction.

  • L’utilisation de nouvelles technologies pourrait également être encouragée pour mieux répondre aux besoins de reddition de compte. Par exemple, une équipe de l’École de technologie supérieure travaille sur des applicationstechnologiques permettant une meilleure conformité réglementaire des projets de construction. En plus des bénéfices tirés d’une amélioration à cet égard et de l’atténuation des risques qui y sont associés, les essais montrent des gains d’efficacité. Ces gains se traduisent par une réduction des coûts et des délais de réalisation.

Le préfabriqué : une opportunité importante mais pas une solution magique

  • Le gouvernement du Québec mise entre autres sur le préfabriqué pour accroître la productivité dans la construction, comme l'illustre le lancement en janvier 2025 d'un appel de projets visant la construction rapide de 500 logements hautement préfabriqués.

  • La production hybride, où des modules sont fabriqués en usine puis assemblés sur le chantier, présente des avantages indéniables. Elle permet notamment d'optimiser les délais grâce à la construction parallèle et réduit la dépendance aux conditions météorologiques (pratique inspirante 1).

  • Cependant, cette approche n'est pas sans défis. La standardisation des projets, souvent uniques, reste complexe. Les coûts et la logistique du transport, ainsi que la précision requise lors de l'assemblage, constituent des obstacles significatifs.

  • Plus fondamentalement, le préfabriqué fait face à un défi économique majeur : contrairement aux industries manufacturières traditionnelles, les usines de préfabrication doivent rentabiliser leurs investissements avec des volumes de production limités.

Pratique inspirante 4 : Réglementation du BIM au Royaume-Uni et démarches entreprises au Qc

En 2016, le Royaume-Uni a franchi une étape majeure en rendant obligatoire l’utilisation du BIM de niveau 2 pour tous les projets de construction publics financés par le gouvernement central. Le succès de cette initiative est illustré par son application dans le projet de Crossrail à Londres, dans le cadre duquel le BIM a permis d’optimiser considérablement les coûts, les délais et l’efficacité globale.

Le Québec s’est également engagé depuis 2021 dans l’adoption progressive du BIM pour ses projets d’infrastructure publique avec une feuille de route gouvernementale. Mais l’approche est plus progressive (tant au niveau de la portée de l’application que du calendrier d’application) que celle du Royaume-Uni.

Se regrouper pour réaliser des économies d’échelle

  • Les économies d’échelle jouent un rôle primordial dans la productivité. Les plus grandes entreprises, ou celles pouvant répliquer des projets similaires à plusieurs reprises, sont plus en mesure de répartir leurs coûts fixes sur un volume de production plus important, d’investir dans des équipements plus performants et des technologies plus avancées, et de mettre en place des processus de gestion plus efficaces. Elles ont également une meilleure capacité à entreprendre des projets de grande envergure, ce qui peut contribuer à accroître leur productivité.

  • Le secteur du génie civil – où les projets sont de plus grande ampleur – se distingue nettement avec une productivité de 65 $ par heure travaillée en 2023 (graphique 12), ce qui surpasse largement la moyenne de l’industrie de 49 $ par heure.

  • Il serait avantageux de permettre à plus de petites entreprises de prendre de l’expansion en encourageant la création de consortiums ou de partenariats entre elles, de façon à mutualiser les ressources et les compétences.

  • Sous-traiter certaines activités, comme la planification, la logistique, le soutien technique et la fabrication de modules hors site, permettrait de bénéficier des gains de productivité réalisés dans les secteurs manufacturier et des services professionnels.

  • Mettre en commun des ressources en développant des plateformes collaboratives permettrait aux petites entreprises de partager des équipements coûteux ou des technologies avancées.

  • Développer des structures de collaboration sectorielle permettrait aux petites entreprises de se regrouper autour d’enjeux communs comme l’approvisionnement ou la main-d’œuvre, en s’inspirant des modèles de grappes industrielles qui ont fait leurs preuves dans d’autres secteurs (pratique inspirante 5), pour renforcer leur capacité collective à innover et à se développer.

  • Explorer la création d'un mécanisme d'homologation pour certains plans et projets standardisés, permettant potentiellement leur réplication plus rapide tout en respectant les normes de qualité. Enfin, tirer profit des leçons apprises serait également utile, à l’aide de systèmes de gestion des connaissances pour capturer et partager les meilleures pratiques entre les projets.

Graphique 12

Pratique inspirante 5 : La grappe industrielle Aéro Montréal

La grappe aérospatiale du Grand Montréal, Aéro Montréal, offre un modèle de collaboration sectorielle dont certains aspects pourraient inspirer d’autres industries québécoises, dont celle de la construction. Créée en 2006, cette grappe réunit tous les acteurs du secteur, des grandes entreprises aux PME, en passant par les établissements d’enseignement, les centres de recherche et les syndicats.

Deux initiatives d’Aéro Montréal méritent une attention particulière :

  • L’Initiative MACH, visant à optimiser la performance de la chaîne d’approvisionnement, cherche à rendre les fournisseurs locaux plus compétitifs. Cette approche pourrait être pertinente pour renforcer la chaîne d’approvisionnement dans le secteur de la construction.

  • L’initiative Propulsion relève inclusive, lancée en 2023, est un projet pilote de 1,98 M$ sur deux ans visant à répondre aux défis de main-d’œuvre par une stratégie inclusive de planification de la relève. Ce programme, qui cible l’accompagnement de 10 PME, comprend des activités de sensibilisation et de formation pour promouvoir la diversité dans le secteur. Il vise particulièrement à promouvoir les carrières du secteur auprès d’un public issu de la diversité à sensibiliser celui-ci, tout en outillant les entreprises pour le recrutement et le développement de ces talents.

Ces initiatives démontrent comment une approche collaborative et structurée peut aider à relever des défis sectoriels communs à plusieurs industries, dont l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement et la gestion de la main-d’œuvre. Elles offrent des pistes de réflexion intéressantes pour d’autres secteurs, dont celui de la construction, qui font face à des enjeux similaires.

Pratique inspirante 6 : Appel de projet PHAQ au Québec

Le programme d’appel de projets du PHAQ teste actuellement deux leviers prometteurs pour améliorer la productivité : la préfabrication avancée et l’utilisation du BIM (modélisation des données du bâtiment). Ces initiatives offriront un terrain concret pour évaluer, de façon rigoureuse, leurs effets sur les coûts, les délais de réalisation et les obstacles à surmonter. Les résultats permettront d’orienter les prochaines étapes du secteur.

Pratique inspirante 7 : Utilisation des drones dans l’industrie de la construction en Australie

Le gouvernement australien évalue et encourage l’utilisation des drones dans l’industrie de la construction. Cette technologie est employée pour diverses tâches, dont la cartographie des sites, l’inspection des structures et le suivi de l’avancement des travaux. Cet outil pourrait entraîner des économies de coûts de main-d’œuvre, selon les scénarios d’adoption.

Mieux administrer la réglementation

  • Le Québec compte un cadre réglementaire particulier. En effet, au Code du bâtiment du Canada et du Québec et à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail qui régulent les normes de santé et de sécurité s’ajoute la CCQ, qui gère l’organisation du travail dans l’industrie de la construction au Québec. En outre, de très nombreux règlements municipaux s’ajoutent à cela. Il y a également des exigences et des cadres normatifs qui découlent des grands donneurs d’ordre publics, comme la Société québécoise des infrastructures (SQI) ou ceux établis par des instances comme le Conseil du trésor pour les projets gouvernementaux.

  • Les normes et les règlements comportent de nombreux bénéfices – mieux protéger les travailleurs et travailleuses, l’environnement, le patrimoine –, mais aussi certains coûts qui peuvent plomber la productivité.

  • Une récente étude démontre même que c’est la réglementation incluant les règles de zonage qui limitent de plus en plus la taille des projets et des entreprises qui explique en grande partie le déclin de la productivité dans le secteur de la construction américaine depuis 1970. Ces contraintes réduisent les économies d'échelle et freinent l'innovation.

  • D’importants changements législatifs ont été introduits en 2024 pour accroître la productivité dans l’industrie grâce à une plus grande mobilité de la main-d’œuvre et à des appels d’offres plus agiles et rapides. Les prochaines années indiqueront si ces changements ont porté leurs fruits.

  • Bien qu’il soit difficile d’évaluer la sévérité de la réglementation entre juridictions, une étude de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) montre que le Québec a une réglementation sur l’utilisation des terres et le zonage généralement moins stricte que l’Ontario et la Colombie-Britannique, mais souvent un peu plus élevée que dans plusieurs provinces des Prairies.

  • Dans certains cas, simplifier une réglementation peut améliorer la productivité. Cependant, il ne faut pas oublier le levier de l’optimisation de l’administration de la réglementation. Un exemple probant, dans le secteur résidentiel, réside dans les délais d’obtention d’un permis de construction.

Et réduire les délais

  • À titre d’exemple, l’enquête de la Banque mondiale sur la facilité et la rapidité d'obtention des permis de construire révèle que le Canada obtient un score de 73/100, légèrement sous la moyenne de l'OCDE (76/100), 100 représentant la performance optimale. L'indice mesure l'ensemble des procédures, délais et coûts nécessaires pour obtenir un permis de construire un entrepôt commercial tout en contrôlant pour la qualité des systèmes de contrôle.

  • Mais c’est surtout sur le délai d’obtention d’un permis de construire que le Canada performe le moins bien: à 249 jours (graphique 14). De tous les pays du G-20, seuls l’Argentine et le Brésil font pire à ce chapitre.

  • Le principal risque d’une réglementation trop lourde ou trop lente est de voir les entrepreneurs migrer vers des projets moins contraignants sur le plan réglementaire et de délaisser des segments du marché.

  • Là encore, les nouvelles technologies et innovations organisationnelles offrent des solutions prometteuses pour optimiser l'administration réglementaire, que ce soit par des outils numériques pour les administrations (formulaires intelligents, bases de données intégrées) ou des technologies de contrôle pour les entrepreneurs (drones, caméras, saisie automatisée des données).

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Conclusion

Cette étude visait à brosser un portrait des enjeux de productivité dans l’industrie de la construction au Québec. Elle révèle que la problématique est complexe et multidimensionnelle. L’industrie fait face à une demande croissante et pressante – en logements, en infrastructures, en projets liés à la transition énergétique–, alors qu’elle doit composer avec une main-d’œuvre qualifiée plus rare. Cette situation n’est pas insurmontable, mais elle appelle une réponse sur mesure qui tient compte des particularités de l’industrie, notamment son fonctionnement par projets uniques et son intensité élevée en main-d’œuvre.

Les leviers pour améliorer la situation sont donc nécessairement systémiques et doivent impliquer l’ensemble de la chaîne de valeur. Il faut à la fois stimuler l’adoption de pratiques innovantes et de nouvelles technologies, favoriser les économies d’échelle par le regroupement stratégique des ressources, et surtout investir massivement dans le développement des compétences. La bonne nouvelle, c’est que le Québec dispose d’un solide système de qualification que la CCQ pourra renforcer davantage. Il faudra également développer des opportunités de formation pour les travailleurs et travailleuses qui n’œuvrent pas sur les chantiers, mais qui contribuent à l’efficacité de la chaîne de valeur (TI, logistique, matériaux, manufacturier).

La transformation de l’industrie de la construction nécessitera un effort collectif et soutenu. Si les récentes initiatives gouvernementales constituent un pas dans la bonne direction, il faudra redoubler d’efforts pour assurer une meilleure coordination entre tous les acteurs de la chaîne de valeur, et gérer le changement pour accélérer les transformations nécessaires. C’est à cette condition que nous pourrons non seulement répondre aux besoins actuels, mais aussi bâtir une industrie plus productive, plus innovante et plus durable pour l’avenir.