Développement économique
NOTE D'ANALYSE
14 min

Élections fédérales 2025

Trois défis économiques à relever

Rapport
Communiqué de presse
15 avril 2025

En bref

Alors que le débat en français des chefs fédéraux, prévu pour demain, mettra en lumière les enjeux québécois de cette élection, l’Institut du Québec souhaite recentrer la réflexion sur un thème clé : la productivité. La montée du protectionnisme américain a rappelé l’importance cruciale de renforcer notre capacité à innover et à produire efficacement. Pourtant, au Canada, accroître la productivité demeure un défi incontournable, aussi essentiel que complexe à relever.  

À notre avis, la solution repose davantage sur un changement de perspective. Ainsi, au lieu de simplement chercher à « faire la même chose avec moins », nous devrions plutôt créer plus et mieux, en innovant, pour améliorer notre qualité de vie.

Ce virage passe par trois actions concrètes : construire davantage pour accroître notre capacité de production, innover pour trouver de nouvelles solutions à nos problèmes, et attirer – puis retenir – les cerveaux qui rendront le tout possible. Ces actions sont cruciales pour relever le défi de la productivité, et le gouvernement fédéral dispose de leviers clés pour y parvenir.

Construire davantage

Plusieurs grands projets d'infrastructures connaissent une intensification sans précédent au Québec : le doublement de la capacité de production d'Hydro-Québec, l'extension du Réseau express métropolitain, la mise en service d’un tramway à Québec et la modernisation des infrastructures projetée.

Ces initiatives ne constituent pas seulement des réponses à des besoins pressants ou de simples outils de stimulation économique en période de récession : elles représentent également de puissants leviers de productivité. En modernisant ses équipements, en augmentant sa capacité énergétique et en améliorant ses réseaux de transport, le Québec maximise l’utilisation des ressources disponibles tout en favorisant un environnement propice à l’innovation et à une croissance économique durable.

Le paradoxe est donc clair : non seulement nous devons construire davantage pour améliorer notre productivité, mais nous devons aussi améliorer notre productivité pour réussir à construire davantage.

Accélérer la construction de logements demeure un objectif encore largement sous-réalisé au Québec (selon la SCHL, la province devrait bâtir 149 000 unités par année d’ici 2030, alors qu’il ne s’en est construitque 49 000 en 2024). Pourtant cet enjeu loge au cœur de plusieurs défis socioéconomiques : un plus grand nombre de logements rendrait l'accès à la propriété plus réaliste – surtout pour les jeunes générations –; revitaliserait les villes, véritables moteurs de création de richesse; et soutiendrait l'accueil des immigrants. En ce sens, construire davantage de logements n’est pas seulement une réponse à une crise sociale, c’est aussi un levier essentiel pour bâtir une économie productive.

Toutefois, pour concrétiser cette vision, il est essentiel que l’industrie de la construction surmonte ses défis persistants de pénuries de main-d’œuvre qualifiée. Pour l’heure, le Canada est affecté par un déficit critique de plus de 10 000 travailleurs dans les métiers spécialisés (électriciens, soudeurs) qui touchent tout particulièrement ce secteur économique.

Il n’existe pas de solution miracle : dans plusieurs corps de métiers, le nombre de diplômés est largement insuffisant pour répondre à la demande. Ces pénuries touchent également de nombreux métiers aux compétences similaires, ce qui limite grandement les possibilités de requalification interne. La situation est d’autant plus difficile que ces pénuries sont généralisées partout au Canada, réduisant ainsi les possibilités de mobilité des travailleurs, et ce, même si les barrières interprovinciales tombaient.

Enfin, l'immigration n'offre actuellement qu'une contribution modeste à ce secteur. Par exemple, en 2024, alors que les immigrants permanents représentaient au total 19 % de la main-d'œuvre au Québec, ils ne constituaient que 10 % des travailleurs dans l’industrie de la construction. De leur côté, les immigrants temporaires comptaient pour 4 % des travailleurs québécois, mais seulement 1 % dans le secteur de la construction.

Quelques suggestions de leviers pour le gouvernement fédéral

Pour construire davantage au Québec, il faudra donc non seulement accroître l'offre de travailleurs par la formation ou encore l'immigration, mais aussi améliorer radicalement l'efficacité du secteur de la construction.

En tant que bailleur de fonds important, le gouvernement fédéral pourrait assurer plus de prévisibilité aux projets à venir. Bien que le plan Investir dans le Canada s'étende théoriquement jusqu'en 2028, aucun nouveau projet n’a été soumis depuis 2023, créant ainsi une incertitude sur le financement fédéral des grands projets québécois. Et pourtant, les entreprises du secteur de la construction ont besoin de projets d’envergure pour les inciter à investir dans leur croissance et retenir leur main-d'œuvre qualifiée. Sans horizon pluriannuel clair, le Canada et, par extension, le Québec, risque de perdre en capacité productive au moment précis où il doit l'accroître.

Comme législateur, le gouvernement fédéral peut aussi simplifier l'environnement réglementaire qui encadre la construction. En réduisant les barrières administratives et en modernisant les processus d'approbation sous sa juridiction, Ottawa pourrait considérablement accélérer la mise en œuvre des projets.

Même sans changer les lois ou les règlements en place, une gestion plus efficace des processus existants constituerait déjà un grand pas en avant. En évitant les doublons, en simplifiant le traitement des demandes et en optimisant l’administration, il serait possible de débloquer des projets plus rapidement et de réduire les délais.

Innover

La croissance de la productivité passe inexorablement par l'innovation et la recherche et développement (R-D) en entreprise. Or, le Canada performe moins bien que la moyenne des pays de l'OCDE à ce chapitre. Le Québec a même vu sa part de R-D en pourcentage du PIB décliner au cours de la dernière décennie. Cette régression soulève un enjeu majeur de compétitivité dans un environnement d'affaires complexifié par les tensions commerciales avec les États-Unis.

La guerre commerciale ne pourra agir comme bougie d'allumage pour accroître notre productivité si nous ne misons que sur les mesures fiscales.

Car au-delà des crédits d'impôt, Ottawa dispose de puissants leviers pour stimuler la compétitivité des entreprises tels que le soutien ciblé de champions nationaux, l'achat public de technologies émergentes, le financement de chaires de recherche d’excellence, et le développement d'infrastructures d'innovation accessibles à tous.

Enfin, bien que tous les partis politiques s’entendent pour dire qu'il faut profiter de cette crise pour accroître la productivité canadienne, l'urgence et les moyens pour y parvenir demeurent, quant à eux, clairement moins définis.

Quelques suggestions de leviers pour le gouvernement fédéral

L’aide aux entreprises vise souvent à soutenir les plus fragiles, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), ce qui est légitime. Cependant, il est important de reconnaître que ce type d’approche peut parfois freiner la consolidation et limiter l’émergence d’entreprises de plus grande envergure. Ainsi, aider les moyennes entreprises à croître et à devenir des leaders constitue un levier bien plus puissant pour stimuler la productivité.

En tant que bailleur de fonds, le gouvernement fédéral pourrait donc orienter stratégiquement son soutien vers des entreprises à fort potentiel de croissance, plutôt que de disperser ses efforts de manière uniforme. Les grandes entreprises exercent un effet d'entraînement significatif sur leurs fournisseurs et l'ensemble de l'écosystème d'innovation, créant un cercle vertueux de compétitivité et d'amélioration des pratiques.

Comme consommateur d'innovation, le gouvernement pourrait aussi davantage contribuer à réduire les risques liés au développement de technologies émergentes en garantissant des marchés initiaux. Inspirée du modèle DARPA américain, cette stratégie résout le dilemme de l'œuf ou la poule auquel font face les innovations de rupture – trop coûteuses pour attirer suffisamment de clients privés sans avoir atteint l'échelle nécessaire pour amoindrir leurs coûts de développement.

Enfin, le développement d'infrastructures technologiques partagées pourrait aussi offrir aux chercheurs et entreprises innovantes l'accès à des ressources avancées autrement inaccessibles. D'une part, le gouvernement fédéral pourrait soutenir des infrastructures – notamment de communication et numériques – qui constituent le socle essentiel sur lequel toute entreprise bâtit son potentiel d'innovation. D'autre part, Ottawa pourrait favoriser la création d'installations mutualisées comme des laboratoires de fabrication à la fine pointe ou encore des infrastructures de calcul quantique permettant la mise en commun de ressources coûteuses. Ces investissements abaissent significativement les barrières à l'entrée et stimulent les collaborations au sein d’écosystèmes d'innovation, particulièrement pour les PME qui ne peuvent financer seules ces actifs stratégiques.

Qu’est-ce que la DARPA ?

Créée en 1958, la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) dispose d’un budget annuel de 4,4 milliards de dollars américains. Relevant du Département de la Défense des États-Unis, son rôle consiste à financer des projets de recherche visant à développer des technologies de rupture pouvant être manufacturées à grande échelle et avoir des applications concrètes, notamment dans les domaines de la défense et de l’industrie manufacturière. Parmi ses réussites emblématiques figurent des innovations majeures comme Internet, le GPS et des interfaces d’intelligence artificielle. 

La réussite de la DARPA repose sur plusieurs facteurs :

1. Son lien direct avec le Département de la Défense, qui agit comme client prêt à adopter et à financer les technologies prometteuses, garantissant ainsi un retour sur investissement;

2. Sa tolérance élevée au risque, acceptant un taux d’échec important en échange de succès retentissants, dans une logique de « haut risque, haut potentiel ».

3. La grande autonomie accordée aux gestionnaires de programmes sélectionnés pour leur expertise et leur créativité. Cette autonomie leur permet d’expérimenter des idées très disruptives et de les tester rapidement, en dehors des cadres bureaucratiques traditionnels.

Attirer et développer les talents

Stimuler l'innovation exige des talents de calibre mondial, capables non seulement de développer des solutions novatrices pour relever les défis industriels de l’heure, mais de les appliquer aussi concrètement à nos entreprises. Un financement robuste de la recherche d'excellence et des stratégies d'attraction de talents internationaux ciblées s’avèrent toutefois essentiels pour développer ces innovateurs d’exception.

La formation de la relève en constitue le premier pilier. Les métropoles canadiennes, plus particulièrement Vancouver et Montréal, se positionnent avantageusement en Amérique du Nord, pour leur nombre de diplômés dans les domaines scientifiques et technologiques. Ce leadership, bien que précieux, exige une vigilance constante. Renforcer notre bassin de talents signifie simultanément encourager les études postsecondaires chez les jeunes Canadiens et les orienter vers les filières porteuses pour l'innovation, mais aussi accueillir judicieusement des étudiants internationaux.

Le Canada et le Québec doivent attirer des talents internationaux et renforcer la formation dans des filières stratégiques, sous peine de freiner l’innovation et de perdre leur avantage compétitif face à la concurrence mondiale.

Or, les restrictions migratoires actuellement envisagées pour rectifier la croissance mal orchestrée du nombre d'étudiants étrangers risquent d'être tout aussi préjudiciables, si elles manquent de vision stratégique. Ces barrières pourraient non seulement nous priver de talents essentiels, mais aussi nous couper d’une opportunité unique dans cette guerre commerciale : attirer des chercheurs et des innovateurs qui songent de plus en plus à poursuivre leurs activités ailleurs qu’aux États-Unis.

Si l'intention de réduire les admissions vise à éliminer certains abus, une approche trop restrictive pourrait compromettre la viabilité des programmes spécialisés, notamment dans le réseau collégial au Québec, et affaiblir ainsi une source essentielle de financement et de talents dans les domaines scientifiques et technologiques, pour lesquels les étudiants étrangers jouent un rôle clé dans le développement des compétences.

Quelques suggestions de leviers pour le gouvernement fédéral

Au sortir de la pandémie, les politiques d'immigration canadiennes et québécoises ont priorisé les besoins immédiats du marché du travail, souvent au détriment d’une vision stratégique à long terme. Bien que le gouvernement fédéral ait amorcé un virage prometteur avec sa planification pour l’année 2025, il aurait tout intérêt à revenir à des principes fondamentaux : accueillir des immigrants hautement qualifiés pour stimuler l’innovation, attirer et retenir des étudiants internationaux dans les filières stratégiques, et reprendre le contrôle d’une politique migratoire actuellement trop influencée par des acteurs externes. L’objectif demeure clair : privilégier une immigration planifiée et alignée sur les ambitions économiques et d’innovation à long terme.

Rappelons que les responsabilités en immigration sont partagées entre Québec et Ottawa, mais leurs actions et programmes sont profondément interreliés. Par exemple, les permis d’études relèvent du Québec, mais Ottawa impose des quotas. Les permis postdiplômes et de nombreux permis de travail temporaires dans des secteurs de pointe, essentiels pour les PME innovantes, sont gérés par le fédéral, tandis que le Québec milite pour en réduire le nombre. Cette interdépendance montre que les décisions du fédéral influencent directement les résultats de l’immigration au Québec.

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Conclusion

La guerre commerciale que nous livre actuellement les États-Unis s'impose comme le protagoniste incontournable –et malveillant – de cette campagne électorale. Et au-delà du choc économique provoqué par les nouveaux tarifs, c'est toute notre cette relation avec notre voisin et la nature de nos échanges qui est remise en cause.

Comme pour chaque crise, ne reste plus qu’à espérer que cette dernière agisse comme un électrochoc porteur de changements constructifs. L’élection fédérale représente une occasion unique de voir émerger des visions qui nous permettront de rebâtir notre économie. Dans le tumulte actuel, reste maintenant à savoir quel candidat sera le plus qualifié pour activer les bons leviers.