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Le revenu des médecins a fait l’objet d’un vif débat au Québec depuis que certaines données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) ont montré que leur rémunération excédait celle de leurs collègues ontariens depuis 2014.
Cette révélation a d’ailleurs mené le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), M. François Legault, à promettre, en campagne électorale, de réduire d’un milliard de dollars l’enveloppe salariale des médecins spécialistes. Une fois au pouvoir, le nouveau gouvernement de la CAQ a choisi d’attendre, avant de prendre une décision, les résultats d’une étude commandée à l’ICIS par la Fédération des médecins spécialistes du Québec et le précédent gouvernement pour raffiner les comparaisons interprovinciales déjà disponibles.
Nous ne connaissons pas encore les résultats de cette étude, attendus pour l’automne 2019. Mais ceux-ci, aussi utiles soient-ils, ne suffiront pas pour guider le Québec dans la recherche d’une rémunération juste et raisonnable pour les médecins. En effet, une fois que nous aurons cette information, qu’est-ce qu’on fera avec ? L’important n’est pas de connaître l’écart actuel de la rémunération entre le Québec et le Canada, mais bien de déterminer quel écart serait approprié.
Depuis que le rattrapage du revenu des médecins s’est amorcé en 2004, il y a plus de 15 ans, ni le gouvernement ni la profession médicale n’ont mis au point des outils qui auraient permis de faire un suivi du processus, pas plus qu’ils n’ont défini de façon claire et formelle quelles devraient être les bases de comparaison, quel devrait être l’écart à atteindre ou sur quelle base devrait être déterminé un niveau de revenu acceptable.
Ce rapport a pour but de proposer un cadre d’analyse pour interpréter les résultats à venir, et pour définir des critères permettant d’établir un niveau de revenu souhaitable pour les médecins.
Dans un premier temps, il fait le point sur le processus de rattrapage et sur l’état actuel de la rémunération à partir des informations disponibles, notamment de nouvelles données plus complètes et plus précises de l’ICIS portant sur les paiements pour les médecins équivalent temps plein (ETP), qui englobent maintenant l’ensemble des sources de revenus des médecins et non pas seulement ceux qui proviennent de la rémunération à l’acte.
Il faut interpréter ces données avec prudence en raison des difficultés liées aux comparaisons de systèmes de santé différents. Il n’en reste pas moins que selon cette nouvelle mesure, en 2016-2017, le paiement moyen pour un généraliste équivalent temps plein au Québec s’établissait à 344 214 $. Cela dépasse de 15,7 % celui des généralistes ontariens, 297 627 $, et de 7,1 % la moyenne canadienne de 321 340 $. Cela place les médecins généralistes québécois au deuxième rang canadien, derrière l’Alberta.
Dans le cas des spécialistes, ces nouvelles données réduisent toutefois les écarts qui ont alimenté le débat public. Pour 2016-2017, le paiement moyen pour un spécialiste québécois équivalent temps plein, à 441 180 $, ne dépasse plus que de 27 079 $ celui de son homologue ontarien. Une situation qui s’explique largement par la baisse de la rémunération des médecins spécialistes dans cette province. Par contre, cette rémunération des spécialistes devient légèrement inférieure à la moyenne canadienne et se situe au septième rang des provinces canadiennes.
La deuxième partie du rapport propose une grillle qui pourrait guider le Québec dans l’établissement d’une rémunération raisonnable et retient cinq critères d’évaluation :
• une comparaison avec les rémunérations consenties dans le monde industrialisé et ailleurs au Canada ;
• des critères d’équité, par rapport à l’ensemble des citoyens et des autres professionnels de la santé ;
• des critères de productivité, soit l’adéquation entre la rémunération et la prestation de services,
• des critères liés aux choix de politiques de santé ;
• et des critères économiques pour tenir compte du niveau de richesse et de la capacité de payer de l’État.
Selon tous ces critères, les émoluments des médecins québécois sont actuellement très élevés. Les médecins québécois compteraient parmi les mieux rémunérés du monde industrialisé, et l’écart par rapport au salaire moyen est l’un des plus importants. L’écart de salaire avec celui des infirmières est le plus élevé au Canada. Par ailleurs, des données de l’ICIS indiquent que le nombre de services procurés par les généralistes québécois serait inférieur à celui des autres provinces canadiennes.
Le rapport porte une attention particulière aux critères économiques, dans la mesure où il existe, au Québec, un consensus sur le fait que le rattrapage salarial des médecins avec le Canada devrait tenir compte des écarts de richesse. Il y a plusieurs façons de mesurer cet écart : avec le niveau de vie, soit le PIB par habitant, avec le revenu disponible des ménages, avec le coût de la vie. Il y a également plusieurs bases de comparaison canadiennes possibles : le Canada dans son ensemble, le Canada sans le Québec, l’Ontario. Selon les critères retenus, pour refléter les écarts de richesse, la rémunération des médecins québécois devrait se situer dans une fourchette de 83 % à 91 % de la rémunération canadienne.
Ainsi, la rémunération annuelle des généralistes, de 344 214 $ en 2016-2017, aurait plutôt dû s’établir dans une fourchette de 255 959 $ à 292 419 $. Le même exercice, dans le cas des spécialistes, ferait en sorte que leur rémunération de 441 180 $ aurait dû se situer entre 356 127 $ et 403 631 $. Même si ces calculs doivent être interprétés avec prudence, étant donné les limites inhérentes à ces comparaisons interprovinciales, l’application mécanique de ce critère d’écart de richesse réduirait de façon importante l’enveloppe salariale destinée aux médecins.
À titre d’exemple, si leur rémunération équivalait à 86 % de celle du reste du Canada, pour refléter l’écart dans le revenu des ménages, l’enveloppe des généralistes serait réduite de 505,6 $ millions et celle des spécialistes de 363,3 $ millions. Cela permet de noter que si l’État québécois choisissait la voie de la récupération salariale, celle-ci ne devrait pas viser principalement les médecins spécialistes.
Cela étant dit, le rapport ne recommande pas cette avenue, notamment en raison des contraintes légales et de l’impossibilité de mesurer avec précision le niveau de sur-rémunération et propose plutôt d’utiliser celle-ci comme levier pour accélérer des réformes nécessaires, notamment sur l’augmentation de la productivité, la pratique médicale et l’organisation des soins, le mode de rémunération et la réduction de l’opacité qui a entouré jusqu’ici le dossier de la rémunération des médecins.
Alain Dubuc