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Depuis un an, les salaires, qui font rarement l’objet de débats publics, sont revenus au cœur de l’actualité. Le réajustement des rémunérations est régulièrement évoqué pour contrer les pénuries de main-d’œuvre et assurer la rétention du personnel, particulièrement dans les services publics. La hausse du salaire minimum est revenue sur le tapis et après le 15 $ l’heure réclamée par de nombreux groupes, alors que d’autres ont même évoqué un seuil de 20 $ l’heure.
Mais surtout, le premier ministre François Legault a fréquemment exprimé son intention d’accroître le salaire moyen des Québécois afin qu’il rattrape celui des Ontariens et son intention de lier l’aide publique aux projets qui assurent des salaires élevés, des « jobs payantes », définies par le gouvernement comme celles qui sont au-delà d’un seuil de 56 000 $ par année, un niveau égal à ce qui est présenté comme le salaire annuel moyen.
Toutes ces questions exigent que l’on puisse disposer, pour assurer un débat public éclairé et l’établissement de politiques judicieuses, d’un portrait fidèle de l’état des salaires au Québec, de leur évolution, de leur comparaison avec d’autres juridictions, des mécanismes qui les déterminent.
C’est l’objet du présent rapport, qui se penche plus spécifiquement sur les cibles du gouvernement du Québec, mais qui fournit une grille d’analyse et des informations qui peuvent également être utiles pour d’autres dossiers, comme la fixation du salaire minimum ou l’établissement de la rémunération optimale.
Le rapport souligne que l’objectif gouvernemental de valoriser les emplois à rémunération élevée vise juste, car cela incarne de façon tangible des notions plus abstraites de hausse de la productivité, de création de valeur ajoutée et de croissance de la richesse. C’est aussi un premier pas vers un changement de paradigme nécessaire : migrer de l’objectif de la création d’emploi vers d’autres critères de développement économique plus adaptés aux défis socioéconomiques des prochaines décennies.
Toutefois, lier l’aide publique à un seuil salarial unique (en l’occurrence 56 000 $ selon le gouvernement), soit le niveau du salaire annuel moyen, pourrait s’avérer périlleux pour plusieurs raisons. D’abord, les données portant sur le salaire moyen et sur un seuil à atteindre sont trop arbitraires pour constituer un critère fiable qui vise à déterminer si une entreprise se verra attribuer des fonds publics.
Ensuite, l’utilisation de ce critère pour guider l’élaboration de ses politiques de développement économique et d’immigration et privilégier le soutien à des entreprises et des secteurs industriels qui peuvent offrir des emplois plus payants pourrait avoir des effets pervers. Une part importante des employés du secteur privé et des PME ne se qualifie pas selon ce critère, mais demeure cruciale pour l’économie.
C’est dans ce contexte que l’IDQ a décidé de faire le point sur les réalités multiples et les nuances qui se cachent derrière cet indicateur. Dans cette note, nous tenterons de répondre à trois grandes catégories de questions :
Il n’existe pas une donnée unique pour déterminer le salaire annuel moyen. Celui-ci pourra varier selon la méthodologie, les concepts utilisés ou la population observée.
Par exemple, en 2019, selon les données de l’Enquête sur la population active, le salaire annuel moyen au Québec s’établissait à 47 542 $. Par contre, toujours en 2019, en excluant les travailleurs autonomes et en ne tenant compte que des travailleurs à temps plein, le salaire annuel moyen était plutôt de 55 969 $, d’où la cible de 56 000 $ retenue par le gouvernement.
Or, ce chiffre inclut les travailleurs du secteur public, dont les salaires sont généralement plus élevés que ceux du secteur privé. Comme l’objectif du gouvernement est de soutenir les entreprises qui offrent des salaires moyens élevés, il serait plus utile de cibler les employés à temps plein du secteur privé comme critère à retenir. Ainsi, en 2019, le salaire annuel moyen s’élevait à 52 672 $ pour les travailleurs à temps plein du secteur privé, et à 64 980 $ pour les employés à temps plein du secteur public.
Enfin, selon d’autres données de Statistique Canada, provenant de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail, pour cette même année, le salaire annuel moyen des employés se chiffrait plutôt à 50 133 $. Ces divergences illustrent à quel point l’exercice requiert son lot de nuances.
Une analyse plus fine des données indique d’ailleurs que 66 % des travailleurs à temps plein du secteur privé au Québec gagnaient un salaire horaire inférieur à la moyenne de 28 $ l’heure en 2019, pour l’ensemble des employés travaillant à temps plein.
Toutefois, peu importe comment on les calcule, les salaires sont plus élevés en Ontario qu’au Québec.
En 2019, lorsqu’on observe l’ensemble des employés (secteurs public et privé), le salaire annuel moyen s’établissait à 47 542 $ au Québec et à 51 955 $ en Ontario, pour un écart de 9,3%. Toutefois, cet écart s’établit à 8,8 % pour les employés à temps plein du secteur privé, mais passe à 11,8 % du côté des employés à temps plein du secteur public.
Les écarts de salaires entre les deux provinces s’expliquent par de multiples facteurs. Dans un premier temps, les salaires annuels moyens sont plus élevés en Ontario parce que les Ontariens travaillent davantage, soit environ une heure de plus par semaine. Ensuite, les salaires horaires sont plus élevés en Ontario, un écart de 1,68 $. Cet écart s’explique en partie par le fait que les employés ontariens se retrouvent davantage dans des industries où les salaires sont plus avantageux.
Les calculs de l’Institut du Québec permettent d’identifier que l’effet combiné des heures travaillées et des différences dans la structure de l’emploi peuvent expliquer 35 % de l’écart salarial entre les deux juridictions.
C’est donc dire que près des deux tiers de l’écart sont attribuables à d’autres facteurs.
Le rapport identifie l’un de ces facteurs, soit le fait que l’Ontario compte davantage d’employés qui gagnent un salaire horaire plus élevé que ceux du Québec. Ainsi, en 2019, 38,9 % des employés à temps plein du secteur privé en Ontario gagnaient 28 $ l’heure ou plus, contre 33,9 % au Québec. Le seuil de 28 $ l’heure représente un salaire annuel d’environ 56 000 $ par année au Québec.
Un autre constat ressort également de cette analyse : 8 des 10 plus importantes industries – celles dans lesquelles évoluent plus de 80 % des employés à temps plein du secteur privé du Québec et de l’Ontario – comptent une plus faible proportion d’employés rémunérés à 28 $ l’heure ou plus au Québec. Les différences les plus notables se retrouvent dans le commerce de détail (15,8 % au Québec contre 22,7 % en Ontario), la fabrication de biens durables (37,8 % contre 42,6 %), les services professionnels, scientifiques et techniques (58,1 % contre 65,1 %) et la fabrication de biens non durables (32,2 % contre 35,5 %). Dans ces industries, l’Ontario compte tout simplement plus d’emplois mieux payés que le Québec.
En bref, derrière les salaires moyens se cachent des réalités fort diversifiées qui varient notamment en fonction du nombre d’heures travaillées, du type d’emploi, du secteur ou de l’industrie.
Vouloir accroître le salaire moyen des Québécois, notamment afin qu’il rattrape celui des Ontariens, est un objectif fort louable. Bien que le principe soit adéquat, son application trop mécanique est périlleuse. D’abord, parce qu’elle ne tient pas compte des multiples nuances qui se cachent derrière le seuil unique de 56 000 $. Ensuite parce qu’en voulant faire porter les politiques de soutien aux secteurs qui peuvent offrir ces salaires élevés, on exclut près des deux tiers des travailleurs à temps plein du secteur privé et parfois même, plus de 80 % des emplois de certains secteurs (agriculture, commerce de détail, etc.).
Par ailleurs, plusieurs emplois payants reposent sur l’existence même d’emplois plus faiblement rémunérés. Une telle approche risque également de favoriser les grandes entreprises qui ont davantage de moyens au détriment des PME et donc d’accentuer les clivages entre ces deux catégories d’entreprises.
Plutôt que d’évaluer les décisions d’aide aux entreprises ou de soutien aux entreprises au moyen d’un seuil salarial unique, il serait préférable d’agir sur les déterminants mêmes de la productivité comme le niveau de scolarisation et la formation des travailleurs, l’innovation et l’automatisation.
Simon Savard, Mia Homsy