Main d'oeuvre
RAPPORT
65 min

Planification 2025 de l'immigration au Québec

Cinq questions pour éclairer les choix à venir

Rapport
4 juin 2025
Sujets

En bref

Existe-t-il un rythme de croissance idéal de l’immigration ?

  • Au Québec, l’immigration est le moteur exclusif de la croissance de la population active : il s’agit d’un levier puissant pour stimuler l’économie. Cela dit, la situation soulève une question centrale : existe-t-il un rythme optimal de croissance pour vraiment soutenir la création de richesse ?

  • L’équation n’est pas simple : une population en hausse alimente la croissance du PIB global, mais, si elle n’est pas accompagnée par une hausse de la productivité, le PIB par habitant – le vrai baromètre du niveau de vie – recule. Ce phénomène est accentué lorsque les nouveaux venus occupent des emplois à plus faible valeur ajoutée.

  • La clé réside dans l’équilibre : tant que le Québec aura du mal à accroître sa productivité, il sera sage de limiter la croissance de la population active à environ 0,7 %par an, comme dans les années 2010, afin d’éviter que l’augmentation de la population et l’incapacité de l’économie à absorber et à valoriser cette main-d’œuvre ne se traduisent par une baisse du niveau de vie.

Quels devraient être les seuils d’immigration permanente et temporaire ?

  • Entre calibrage et réduction : nous avons simulé différents scénarios d’immigration permanente et temporaire permettant d’atteindre un rythme de croissance optimal de la population active. En testant les seuils d’immigration permanente les plus discutés (35 000, 60 000 ou 90 000 par an), nous constatons que l’atteinte d’une cible de croissance souhaitée de la population active exigera également une calibration du flux de nouveaux résidents temporaires. Ce seuil d’immigrants temporaires s’établirait, pour chacun des scénarios, à 100 000, 70 000 et 50 000.

  • La voie médiane : le scénario de 60 000 immigrants permanents et 70 000 temporaires par an se distingue par une correction de l’immigration temporaire plus modérée et un taux de croissance de la population active à long terme qui se rapproche de la moyenne historique du Québec, soit environ 0,7 % par an.

  • Une réduction de l’immigration temporaire : les trois scénarios prévoient une diminution du nombre d’immigrants temporaires par rapport à la moyenne de 115 000 entre 2022 et 2024. La baisse serait respectivement de 13 %, 39 % et 56 %. Le nombre d’immigrants temporaires passerait ainsi de 615 000 aujourd’hui à, selon les scénarios, 350 000, 241 000 et 175 000 personnes d’ici 2035 (soit respectivement 3,8 %, 2,6 % et 1,9 % de la population totale).

  • Gérer la transition : ce virage majeur établirait des proportions inférieures à l’objectif fédéral de 5 % et nécessiterait de réduire fortement les nouveaux permis tout en accélérant les départs. Vu l’ampleur du changement et ses impacts sur les immigrants et l’économie québécoise, il serait judicieux d’adopter initialement un seuil plus élevé d’immigration permanente (60 000 à 90 000), avec une réduction progressive vers 60 000, offrant ainsi aux travailleurs et aux étudiants étrangers qualifiés déjà présents une voie d’accès à la résidence permanente.

Quels immigrants contribuent le plus à accroître le PIB par habitant ?

  • L’immigration n’accroît la richesse que si elle s’accompagne d’une intégration professionnelle réussie : ce sont surtout les groupes qui parviennent rapidement à générer un revenu égal ou supérieur à la moyenne québécoise qui contribuent réellement à la hausse du PIB par habitant.

  • Les demandeurs principaux des programmes d’immigration économique permanente se distinguent nettement : un an après leur arrivée, ceux de 2021 affichaient un revenu 36 % supérieur à la médiane québécoise. À l’inverse, les autres catégories de permanents (conjoints, regroupement familial, réfugiés) présentent des revenus plus faibles, qui ne rattrapent la moyenne qu’à long terme, parfois jamais complètement. L’impact des immigrants temporaires, négatif à court terme : cette situation est due au fait qu’une partie importante d’entre eux ne travaillent pas (p. ex., les étudiants) ou ont des revenus plus faibles que l’ensemble des Québécois. Toutefois, pour certains groupes, comme les étudiants, il devient positif à plus long terme, s’ils s’établissent de façon permanente.

  • L’immigration en deux étapes donne de bons résultats, surtout pour les personnes plus qualifiées : un nombre croissant d’anciens temporaires admis comme permanents, surtout ceux venus pour étudier ou travailler, affichent, un an après leur résidence permanente, des revenus nettement supérieurs à la moyenne, grâce à leur expérience locale et à la sélection en plusieurs étapes. Toutefois, cette dynamique ne s’observe pas chez les travailleurs temporaires peu qualifiés.

Est-ce que l’immigration peut contribuer à revitaliser les régions ?

  • L’immigration permanente commence à se diffuser en dehors de Montréal, mais lentement : bien que l’immigration soit souvent perçue comme une solution pour revitaliser les régions vieillissantes, la réalité est que les immigrants permanents s’installent encore massivement à Montréal. On note une certaine régionalisation de l’immigration, en particulier vers la couronne de Montréal, notamment en Montérégie (15 % des arrivées en 2023, contre 10 % en 2014) et vers la Capitale-Nationale (11 % en 2023, contre 5 % en 2014).

  • Les immigrants temporaires sont les moteurs démographiques des régions éloignées : les régions plus éloignées bénéficient de plus en plus de l’arrivée d’immigrants temporaires. Bien que leur proportion demeure plus forte à Montréal et à Laval, les immigrants temporaires sont aujourd’hui plus nombreux dans plusieurs régions plus éloignées. Cette dynamique permet à des territoires en déclin démographique de renouer avec la croissance.

  • Le recours accru aux travailleurs temporaires dans les régions soulève deux enjeux majeurs. D’une part, la durabilité du modèle est fragile, car le séjour des TET est temporaire et seule une minorité accède à la résidence permanente. D’autre part, si l’immigration temporaire soutient la croissance démographique des régions, le recours par des secteurs à plus faible valeur ajoutée à une main-d’œuvre peu qualifiée – près de 80 % de ces travailleurs ont tout au plus un diplôme d’études secondaires – risque de limiter la création de richesse, de maintenir les économies régionales dans des secteurs à faible valeur ajoutée et de créer deux classes de travailleurs.

Quelles pénuries justifient un recours à l’immigration ?

  • Alors que certaines pénuries ne sont que passagères, d’autres sont plus structurelles : en comparant les taux de postes vacants par profession à leur niveau prépandémique, nous avons identifié quatre groupes professionnels pour lesquels les pénuries ne sont pas passagères, mais bien enracinées. Ce sont ces professions qui devraient être au cœur des stratégies de formation et d’immigration.

  • Au Québec, les pénuries les plus tenaces touchent principalement les domaines de la santé et des métiers : le plus gros goulot d’étranglement se trouve du côté du personnel qualifié du secteur des services (personnel infirmier, éducateurs, travailleurs sociaux). Viennent ensuite les autres services (préposés aux bénéficiaires, serveurs, préposés à l’entretien ménager et au nettoyage), puis le personnel technique (inhalothérapeutes, techniciens en génie, etc.) et enfin les métiers spécialisés liés aux biens (électriciens, mécaniciens, contremaîtres).

  • La clé se trouve dans des diplômes et une immigration bien ciblée : la vaste majorité de ces emplois exigent un diplôme collégial ou universitaire, surtout dans les services qualifiés et le personnel technique. Dans plusieurs secteurs, le manque de diplômés alimente directement les pénuries, et l’immigration temporaire pourrait jouer un rôle pour pallier ces pénuries. Enfin, les emplois présentant des pénuries tenaces et exigeant un diplôme universitaire sont davantage régis par des ordres professionnels, comme c’est le cas pour le personnel infirmier.

Pourquoi cette étude ?

Le Canada et le Québec ont amorcé des restrictions en immigration

Historiquement, les politiques d’immigration au Québec et au Canada ont principalement mis l’accent sur l’immigration permanente, les débats publics ont ainsi surtout porté sur la question du nombre d’immigrants permanents admis chaque année. Depuis 2022, la transformation de l’immigration s’est accélérée avec un bond sans précédent de l’immigration temporaire, qui comprend des travailleurs, des étudiants et des demandeurs d’asile. Cette forte hausse découlait des besoins du marché du travail et des établissements d’enseignement, ainsi que de facteurs géopolitiques. Elle a également été accélérée par l’assouplissement des critères d’entrée et l’absence de coordination entre les politiques fédérales et provinciales.

Un consensus se forme actuellement, tant à Ottawa qu’à Québec, sur la nécessité de ralentir les flux d’immigration temporaire et permanente afin de retrouver un rythme jugé plus soutenable. Pour les prochaines années, le gouvernement fédéral a déjà réduit les seuils d’immigration permanente et restreint l’accès à plusieurs programmes d’immigration temporaire (ex. : seuils d’étudiants internationaux). Le gouvernement canadien récemment élu s’est engagé à reprendre les cibles du gouvernement sortant et à stabiliser l’admission des résidents permanents à moins de 1 % de la population totale par année au-delà de 2027. Il a aussi réitéré son intention de plafonner le nombre total de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers à moins de 5 % de la population canadienne d’ici 2027.

Le gouvernement du Québec n’a pas encore établi de cibles formelles – l’exercice fera l’objet de consultations d’ici l’automne –, mais le premier ministre a demandé au gouvernement central de réduire de moitié le nombre d’immigrants temporaires qu’il estime relever du fédéral, pour le faire passer d’environ 400 000 à 200 000 personnes.

Réduire ces flux ne sera pas sans conséquences, tant pour les personnes qui ont choisi de venir au pays que pour l’économie du Québec. L’immigration représente aujourd’hui le seul moteur de la croissance démographique québécoise. Lors du ralentissement économique de 2023, causé par la hausse des taux d’intérêt, c’est en outre cette croissance démographique qui a soutenu la consommation et amorti le choc. Un ralentissement marqué de l’immigration provoquera une stagnation ou une baisse de la population, réduira le rythme de croissance de l’économie et affectera la disponibilité de la main-d’œuvre dans plusieurs régions et secteurs, ainsi que les effectifs dans les établissements d’enseignement supérieur.

De nombreux objectifs pour les politiques d’immigration

Dans ce contexte de restrictions, la première question consiste à déterminer le niveau d’immigration qui permettrait à la fois de répondre à la volonté des gouvernements de limiter les arrivées tout en atténuant les effets négatifs d’une telle politique. Mais cette question en amène rapidement une autre. Dans un tel contexte, quels programmes d’immigration faut-il prioriser ?

On peut d’abord distinguer l’immigration à des fins économiques des autres formes d’immigration. En effet, un peu plus de sept nouveaux résidents permanents sur dix sont sélectionnés dans des programmes économiques, tandis que les autres relèvent de catégories humanitaires. De même, près de 80 % des immigrants temporaires s’inscrivent dans des programmes de travail ou d’études qui pourraient être associés à des objectifs économiques.

Cette distinction est fondamentale, car, si l’évaluation des programmes économiques et humanitaires diffère nécessairement, Québec et Ottawa doivent néanmoins gérer ces deux volets tout en reconnaissant que tous les immigrants, quelle que soit leur catégorie d’admission, influencent l’économie canadienne.

Par ailleurs, même au sein des programmes d’immigration économique, on constate une multiplicité d’objectifs. En effet, alors qu’elles étaient d’abord axées sur l’attraction de talents internationaux, les priorités du gouvernement actuel portent désormais sur la création de richesse et la vitalité des régions, tout en assurant la pérennité du français.

Cette multiplicité d’objectifs est compliquée par trois facteurs majeurs. D’abord, le partage des responsabilités entre Québec et Ottawa, dont les visions sur l’immigration ne sont pas toujours les mêmes, complexifie la mise en place de stratégies cohérentes, chaque programme devant souvent obtenir l’aval des deux gouvernements. D’autre part, les divers objectifs de l’immigration peuvent parfois être contradictoires.

Par exemple, accueillir des travailleurs pour occuper des emplois difficiles à pourvoir peut être très avantageux pour une entreprise ou une région, mais, si cela ralentit les efforts visant à augmenter la productivité à l’échelle du Québec, l’effet économique global peut s’avérer moins positif. Enfin, les flux d’immigration ne sont pas seulement le résultat des politiques provinciales ou fédérales, mais aussi de décisions ou influences indirectes de différentes instances – établissements d’enseignement, employeurs, entités régionales – qui peuvent inviter des candidats à s’installer de manière temporaire. En outre, certains flux de demandeurs d’asile échappent largement aux contrôles gouvernementaux.

L’heure des choix : arbitrages difficiles entre les objectifs et les conséquences de l’immigration

Toute planification en immigration implique donc des arbitrages difficiles. Ces choix relèvent fondamentalement de décisions politiques prises lors des élections, mais aussi de consultations publiques dans le cadre desquelles des citoyens et des groupes d’intérêt expriment leurs priorités. C’est justement en amont de la consultation en vue de la planification pluriannuelle 2025-2027 que s’inscrit le présent rapport.

Notre rapport repose sur une grille d’analyse économique, soit l’impact de l’immigration sur des indicateurs économiques importants, dont la croissance et la création de la richesse. Il se concentre ainsi davantage sur la portion de l’immigration qui contribue de façon directe à l’activité économique, soit celle qui participe au marché de l’emploi. Elle met en lumière les contradictions inhérentes aux politiques migratoires – certaines orientations favorisant un objectif au détriment d’un autre – tout en fournissant l’éclairage nécessaire pour faire des choix informés :

  1. Existe-t-il un rythme de croissance idéal de l’immigration ?

  2. Quels devraient être les seuils d’immigration permanente et temporaire ?

  3. Quels immigrants contribuent le plus à accroître le PIB par habitant ?

  4. Est-ce que l’immigration peut contribuer à revitaliser les régions ?

  5. Quelles pénuries justifient un recours à l’immigration ?

Sans prétendre définir les contours des responsabilités de Québec et d’Ottawa, ce rapport vise plutôt à éclairer les orientations que le gouvernement provincial pourra adopter. Leur mise en œuvre nécessitera néanmoins la collaboration des deux paliers gouvernementaux.

Pistes d’action pour le Québec

Établir les seuils d’immigration permanente et temporaire en fonction d’un rythme de croissance optimal de la population active, en s’appuyant sur les capacités d’absorption du marché du travail et de la livraison de services publics.

Placer l’immigration économique permanente au centre de la stratégie pour augmenter le PIB par habitant, en favorisant la sélection de candidats qualifiés et adaptés aux besoins du marché du travail au Québec.

Faciliter la transition vers la résidence permanente pour les résidents temporaires hautement qualifiés, notamment ceux qui détiennent un diplôme québécois ou occupent un emploi à fort potentiel, en misant sur le parcours en deux étapes et une sélection rigoureuse dès l’octroi des permis temporaires.

Maintenir une voie d’accès pérenne et dédiée à la résidence permanente pour les étudiants étrangers diplômés au Québec, en fixant un seuil annuel d’admissions permettant de préserver l’équilibre du système.

Planifier un seuil d’immigration permanente temporairement plus élevé, dans une fourchette de 60 000 à 90 000 pendant une période transitoire, puis prévoir une trajectoire claire de retour vers 60 000, afin de permettre l’intégration des immigrants temporaires qualifiés déjà présents et de réduire les délais d’accès à la résidence permanente.

Prioriser, dans les programmes d’immigration temporaire (PTET), les candidats occupant des emplois en pénurie tenace (inhalothérapeutes, éducatrices, électriciens, etc.), notamment dans les secteurs nécessitant une formation collégiale ou professionnelle, afin de renforcer la vitalité régionale et de favoriser une transition vers la résidence permanente.

Favoriser le recrutement d’étudiants étrangers dans les filières liées aux professions en pénurie tenace, pour augmenter le nombre de diplômés dans les secteurs critiques et faciliter leur intégration professionnelle, en particulier dans les professions réglementées grâce à des qualifications reconnues localement qui éliminent les obstacles à l’embauche.

Accélérer et simplifier la reconnaissance des diplômes et des compétences obtenus à l’étranger, en ciblant prioritairement les secteurs en pénurie tenace, afin de réduire les délais d’intégration au marché du travail.

Veiller à l’équilibre entre les différentes catégories d’immigration, en anticipant les conséquences sur les délais de regroupement familial et sur le respect des engagements humanitaires du Québec.

Existe-t-il un rythme de croissance idéal de l'immigration ?

Ce qu'il faut retenir

  • Au Québec, l’immigration est le moteur exclusif de la croissance de la population active : il s’agit d’un levier puissant pour stimuler l’économie. Cela dit, la situation soulève une question centrale : existe-t-il un rythme optimal de croissance pour vraiment soutenir la création de richesse ?

  • L’équation n’est pas simple : une population en hausse alimente la croissance du PIB global, mais, si elle n’est pas accompagnée par une hausse de la productivité, le PIB par habitant – le vrai baromètre du niveau de vie – recule. Ce phénomène est accentué lorsque les nouveaux venus occupent des emplois à plus faible valeur ajoutée.

  • La clé réside dans l’équilibre : tant que le Québec aura du mal à accroître sa productivité, il sera sage de limiter la croissance de la population active à environ 0,7 % par an, comme dans les années 2010, afin d’éviter que l’augmentation de la population et l’incapacité de l’économie à absorber et à valoriser cette main-d’œuvre ne se traduisent par une baisse du niveau de vie.

La question

Au Québec et au Canada, l’immigration a traditionnellement été un outil de développement économique. C’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que la croissance de la population dépend entièrement de l’immigration.

L’apport de l’immigration à la croissance démographique peut être un puissant moteur économique : plus d’habitants, c’est plus de consommation, de revenus pour les entreprises et de recettes fiscales. Cependant, la période postpandémique a révélé les limites de ce modèle. Le Québec a accueilli 170 000 personnes en moyenne par année entre 2022 et 2024. Ce nombre était de 60 000 personnes en moyenne sur la décennie précédant la pandémie.

Ce bond de l’immigration a provoqué une croissance sans précédent de la population du Québec, inégalée dans des économies comparables. Elle a dépassé la capacité d’absorption, surtout en matière de logements, et a entraîné une baisse du PIB par habitant, l’indicateur clé de la richesse collective. Si le PIB réel a augmenté modestement dans la période 2022-2024, le PIB par habitant a baissé en raison du bond démographique, en grande partie en raison d’un effet mécanique : si on compte plus d’habitants pour un même PIB, le PIB par habitant diminuera automatiquement (graphique 1). Outre cet effet mécanique, il importe de préciser que la composition des flux migratoires joue également un rôle : une proportion importante de nouveaux arrivants présentant, à l’arrivée, des revenus plus faibles ou n’étant pas immédiatement actifs sur le marché du travail accentue temporairement la baisse du PIB par habitant. Ce faisant, existe-t-il un rythme optimal de croissance de la population généré par l’immigration, et plus particulièrement de la population active sur le marché de l’emploi pour soutenir la création de richesse au Québec ?

Graphique 1

L’analyse: croissance de la population et productivité

L’expérience récente a donc montré qu’une croissance trop rapide de la population, nourrie par l’immigration, a provoqué une baisse du PIB par habitant. En effet, le PIB par habitant, mesure de la richesse individuelle, augmente uniquement si la croissance économique dépasse celle de la population.

Pour que l’apport de l’immigration profite à la fois à l’économie dans son ensemble (PIB) et à chaque individu (PIB/habitant), il faut miser sur les gains de productivité, c’est-à-dire la capacité de produire davantage avec les mêmes ressources

Le principal levier qui permettra cette croissance et l’augmentation du niveau de vie, soit le PIB par habitant, réside dans l’amélioration de la productivité, c’est-à-dire la capacité de produire davantage avec les mêmes ressources. C’est l’absence de progrès de la productivité, au Québec, mais aussi au Canada, qui a fait en sorte que l’afflux migratoire a affecté négativement le PIB par habitant. À l’inverse, on peut dire que, si la croissance de sa productivité était plus forte, le Québec pourrait intégrer un plus grand nombre d’immigrants sans effets économiques indésirables.

Or, le Canada et le Québec font face à une grave crise de la productivité, marquée par une croissance de la productivité du travail plus faible que dans la plupart des pays auxquels on souhaite se comparer. Ce retard se maintient et fait en sorte que l’écart avec les autres économies s’accroît. Cette faible productivité, soulignée par la Banque du Canada et nombre d’économistes, constitue un problème chronique qui peut difficilement être corrigé dans un horizon de court ou de moyen terme.

Pour cette raison, il serait téméraire pour le Québec, dans sa planification de l’immigration, de miser sur des gains éventuels de productivité du travail qui lui permettraient d’absorber harmonieusement un flux migratoire important.

Graphique 2
Graphique 3

Il n’y a pas de règle absolue permettant de déterminer quel serait le taux idéal de croissance démographique nourri essentiellement par l’immigration. Toutefois, les niveaux migratoires enregistrés avant la pandémie, c’est-à-dire durant la période 2009-2019, semblaient avoir permis d’atteindre un certain équilibre : la croissance était maîtrisée et les effets négatifs d’une hausse trop rapide des flux migratoires ne s’étaient pas fait sentir. Il serait donc pertinent de considérer un retour à ces niveaux comme un repère raisonnable pour l’avenir.

Le taux de croissance démographique repose en grande partie sur l’immigration. Toutefois, il convient de rappeler qu’une proportion notable des nouveaux arrivants –notamment les enfants, certains étudiants et les personnes inactives – ne contribue pas immédiatement ni directement à l’activité économique. Pour cette raison, nous concentrons notre attention non pas sur l’immigration totale, mais sur la portion de l’immigration qui peut participer au marché de l’emploi et joindre la population active. Ramener le rythme de croissance de la population active vers sa moyenne historique récente, soit environ 0,7 % par an entre 2009 et 2019, apparaît donc comme une voie raisonnable pour concilier les apports de l’immigration avec les impératifs de la création de richesse.

Quels devraient être les seuils d'immigration permanente et temporaire ?

Ce qu'il faut retenir

  • Entre calibrage et réduction : nous avons simulé différents scénarios d’immigration permanente et temporaire permettant d’atteindre un rythme de croissance optimal de la population active. En testant les seuils d’immigration permanente les plus discutés (35 000, 60 000 ou 90 000 par an), nous constatons que l’atteinte d’une cible de croissance souhaitée de la population active exigera également une calibration du flux de nouveaux résidents temporaires. Ce seuil d’immigrants temporaires s’établirait, pour chacun des scénarios, à 100 000, 70 000 et 50 000.

  • La voie médiane : le scénario de 60 000 immigrants permanents et 70 000 temporaires par an se distingue par une correction de l’immigration temporaire plus modérée et un taux de croissance de la population active à long terme qui se rapproche de la moyenne historique du Québec, soit environ 0,7 % par an.

  • Une réduction de l’immigration temporaire : les trois scénarios prévoient une diminution du nombre d’immigrants temporaires par rapport à la moyenne de 115 000 entre 2022 et 2024. La baisse serait respectivement de 13 %, 39 % et 56 %. Le nombre d’immigrants temporaires passerait ainsi de 615 000 aujourd’hui à, selon les scénarios, 350 000, 241 000 et 175 000 personnes d’ici 2035 (soit respectivement 3,8 %, 2,6 % et 1,9 % de la population totale).

  • Gérer la transition : ce virage majeur établirait des proportions inférieures à l’objectif fédéral de 5 % et nécessiterait de réduire fortement les nouveaux permis tout en accélérant les départs. Vu l’ampleur du changement et ses impacts sur les immigrants et l’économie québécoise, il serait judicieux d’adopter initialement un seuil plus élevé d’immigration permanente (60 000 à 90 000), avec une réduction progressive vers 60 000, offrant ainsi aux travailleurs et aux étudiants étrangers qualifiés déjà présents une voie d’accès à la résidence permanente.

La question

  • Au-delà du simple choix d’un rythme de croissance de la population active, il faut réfléchir à la manière de traduire ces objectifs dans la planification concrète de l’immigration. Celle-ci consiste notamment à établir des seuils pour chaque catégorie de nouveaux résidents permanents, et pour la première fois cette année, pour les immigrants temporaires – aussi appelés résidents non permanents.

  • La tâche est complexe : il existe de nombreuses catégories d’immigration temporaire et plusieurs parcours vers la résidence permanente. Ces filières fonctionnent comme des vases communicants, où chacune possède ses propres taux de renouvellement et de départ. Par exemple, parmi les étudiants accueillis, combien repartiront, combien deviendront des résidents permanents et après combien de temps ?

L’analyse: le maintien de la croissance de la population active exige un équilibre entre immigration permanente et temporaire

  • Pour estimer les seuils d’immigration permanente et temporaire qui permettraient la croissance de la population active que nous avons définie comme souhaitable pour des raisons économiques, nous utilisons IMMSIM, un modèle de simulation de scénario d’immigration au Québec développé par la Chaire de recherche Jacques Parizeau en politiques économiques (encadré 1).

  • Nous évaluons ainsi différentes combinaisons d’immigration temporaire et d’immigration permanente, qui permettent d’atteindre une croissance de la population active comparable à la tendance historique, soit de 0,7 % par an.

  • L’analyse tient compte du fait que seulement une partie des immigrants intègrent effectivement le marché du travail et que certains, comme les enfants, n’y participent pas. Nous considérons également les dynamiques historiques, en particulier la part des immigrants temporaires qui quittent le Québec après leur séjour et celle qui fait la transition vers la résidence permanente.

  • Cet exercice de simulation n’est pas prescriptif, mais davantage illustratif. Il ne cherche pas à déterminer de façon absolue les seuils optimaux d’immigration, mais plutôt à mesurer les conséquences et les limites de différentes politiques d’immigration.

Encadré 1 : Le modèle IMMSIM

Le modèle IMMSIM permet de projeter l’évolution démographique du Québec en intégrant l’ensemble des flux migratoires et des dynamiques de population. Ce modèle incorpore les naissances, les décès, la migration interprovinciale, l’immigration permanente ainsi que l’émigration, mais sa principale valeur ajoutée réside dans la prise en compte des mouvements particuliers des immigrants temporaires. Le modèle est basé sur les intrants des projections démographiques 2021-2070 de l’Institut de la statistique du Québec. On suppose que le nombre total de résidents temporaires au premier trimestre 2025 est de 616 552. L’effet des paramètres migratoires sélectionnés s’applique à partir de l’année 2025 à 2035.

Hypothèses du modèle IMMSIM :

  • Part des immigrants temporaires devenant résidents permanents chaque année : 10 %

  • Part des immigrants temporaires restant sur le territoire à titre d’immigrants temporaires chaque année : 80 %

Hypothèses additionnelles sur les taux d’activité par groupe de population :

Source : Statistique Canada, tableau 14-10-0472-01 et microdonnées de l’EPA
Note : Les taux d’activité des résidents temporaires âgés de 15 à 24 et de 25 à 54 ans ont été supposés égaux aux taux d’activité des immigrants temporaires dans l’ensemble du Canada, car les données provinciales ne sont pas disponibles pour ces groupes d’âge au Québec. Les taux d’activité des résidents temporaires âgés de 55 à 64 ans ont été supposés égaux aux taux de participation de l’ensemble de la population québécoise du même groupe d’âge. Les taux réfèrent à la moyenne 2022-2024. Les hypothèses sur les taux d’activité constituent des paramètres additionnels qui ont été appliqués sur les résultats du modèle IMMSIM : il s’agit d’une adaptation apportée par l’IDQ, et non d’une composante intrinsèque du modèle initial.

  • Nos simulations portent sur trois scénarios reposant sur des seuils d’immigration permanente évoqués dans le débat public au cours des dernières années : 35 000 par an, comme proposé par le Parti Québécois ; 60 000 par an, ce qui se rapproche du niveau des dernières années ; et 90 000 par an, soit le niveau demandé par certaines organisations.

  • À partir de ces seuils d’immigration permanente, le modèle nous a permis de déterminer le nombre de nouveaux immigrants temporaires qu’il faudrait ajouter aux immigrants permanents pour se rapprocher d’une croissance annuelle de 0,7 % de la population active. Les résultats de cet exercice, présentés au tableau 1, sont les suivants:

  1. avec un seuil d’immigrants permanents de 35 000, le nombre de nouveaux immigrants temporaires nécessaires serait de 100 000 ;

  2. pour 60 000 permanents, le seuil de temporaires serait de 70 000 ;

  3. avec 90 000 permanents, il s’établirait à 50 000.

  • Les résultats de ces simulations appellent plusieurs remarques. Premièrement, dans nos trois simulations, le nombre total de nouveaux arrivants, qu’ils soient permanents ou temporaires, se situe dans le même ordre de grandeur, peu importe le scénario – entre 130 000 et 140 000 immigrants temporaires et permanents combinés –, quoique la composition de cette immigration et ses caractéristiques diffèrent. Cela suggère qu’il existerait, au Québec, un seuil plancher d’immigration en deçà duquel il faudrait réduire la croissance du bassin de travailleurs.

  • Deuxièmement, en matière de flux, peu importe le scénario retenu, la recherche d’un taux de croissance d’équilibre de la population active exigerait une réduction significative du nombre de nouveaux résidents temporaires. Même dans le cas du premier scénario, qui suppose l’entrée annuelle de 100 000 nouveaux temporaires, il s’agirait d’une baisse de 13 % par rapport au niveau moyen de 155 000 observé entre 2022 et 2024. La baisse serait de 39 % dans le cas du scénario 2 prévoyant 70 000 temporaires, et de 56 % dans le troisième scénario misant sur 50 000 temporaires. Dans tous les cas de figure, mais surtout pour les deux derniers scénarios, une telle réduction des entrées nettes de temporaires soulève d’importants questionnements sur les défis économiques, administratifs, politiques et sociaux que cela suscite.

  • Troisièmement, en matière de stocks, les trois scénarios prévoient une diminution majeure du nombre d’immigrants temporaires qui résident au Québec. Cette baisse sera évidemment plus faible pour les scénarios qui privilégient moins l’immigration permanente. Dans le scénario 1, reposant sur une faible immigration permanente et une forte immigration temporaire, le nombre total de temporaires passerait de 615 000 aujourd’hui à 350 000 en 2035, une baisse de 43 %. Il s’établirait à 241 000 pour le scénario 2 d’immigration permanente moyenne, et à 175 000 en 2035 pour le scénario 3 reposant sur une forte immigration permanente.

  • Quatrièmement, en conséquence, le nombre de temporaires s’établirait respectivement à 3,8 %, 2,6 % et 1,9 % de la population totale, selon les trois scénarios. Ces proportions, dans les trois cas, sont nettement inférieures à l’objectif du gouvernement canadien, qui vise 5 % de la population d’ici 2027. Ces résultats mettent en relief plusieurs enjeux. D’abord, celui de la faisabilité de telles réductions. Le Québec serait-il capable de réduire sa population d’immigrants temporaires deux fois plus que le Canada ? Ensuite, un tel ajustement à court terme pourrait entraîner des répercussions sur la disponibilité de la main-d’œuvre dans les entreprises ainsi que sur la capacité de livraison de services à la population.

  • Cinquièmement, même si notre analyse porte davantage sur la population active, on ne peut pas faire abstraction des conséquences démographiques plus globales. Une baisse importante de l’immigration temporaire affectera l’évolution de la population québécoise, et le risque est réel que, si elle devient trop prononcée, on observe une baisse de la population québécoise et que celle-ci se manifeste pendant plusieurs années.

  • À titre d’exemple, les plus récentes projections de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) illustrent bien cet enjeu. Dans son scénario de base, le nombre d’immigrants temporaires diminue progressivement pour atteindre 450 000 en 2027, ce qui maintient la stabilité de la population totale du Québec entre 2024 et 2027, soit une croissance nulle sur cette période. Dans son scénario alternatif, le nombre d’immigrants temporaires diminue encore plus fortement pour atteindre 300 000 en 2027 ; selon cette hypothèse, la population totale passerait sous la barre des 9 millions (8,9 millions en 2027) et ne retrouverait son niveau de 2024 qu’en 2031.

  • Il est important de souligner que, même dans le scénario le plus restrictif de l’Institut de la statistique du Québec, la diminution du nombre d’immigrants temporaires demeure moins prononcée que celle projetée dans nos simulations. Nos hypothèses mèneraient à des impacts démographiques plus marqués que ceux anticipés par l’ISQ. Cette différence suggère que les réductions nécessaires des flux migratoires pour atteindre une croissance équilibrée de la population active sont si exigeantes qu’il sera difficile pour le Québec d’atteindre rapidement de telles cibles.

Tableau 1
Scénarios de seuils d’immigration permanente et temporaire de 2025 à 2035

La voie médiane

  • Le scénario 1, « Faible immigration permanente », avec un seuil de 35 000, s’accompagne d’un afflux relativement important de temporaires qui, à 100 000, serait proche des valeurs des années récentes. La réduction de presque de moitié de l’immigration permanente, même si elle est compensée par un plus fort apport des temporaires, n’est pas sans conséquences. Avec un « mix » d’immigration, la population active diminue jusqu’en 2028, pour se remettre à augmenter par la suite et se stabiliser autour d’un taux de croissance relativement faible de 0,5 % en 2035. Il s’agit du scénario avec la plus faible croissance de la population active à long terme.

  • Cela s’explique par la nature temporaire du statut de ces immigrants, qui limite leur contribution durable à la population active. Dans notre modèle, un taux de non- renouvellement de 20 % appliqué à un stock initialement élevé de 615 000 résidents temporaires entraîne une diminution rapide de leur effectif, même si les entrées demeurent importantes. À l’inverse, l’immigration permanente soutient la croissance de la population active de façon plus stable, la majorité des nouveaux arrivants s’établissant au Québec à long terme.

Graphique 4
Graphique 5
  • Le scénario 2, « Moyenne immigration permanente », correspond au niveau d’immigration permanente des dernières années. Il s’accompagne d’une forte réduction de l’immigration temporaire, avec un seuil de 70 000 personnes par année. Les projections montrent une décroissance de la population active au cours des deux premières années, avant d’atteindre un taux oscillant autour de 0,75 % par année à partir de 2032.

  • Enfin, le scénario « Forte immigration permanente » implique une réduction plus substantielle du nombre d’immigrants temporaires, qui est ramené à 50 000 par an. Mais dans ce cas, les caractéristiques propres à l’immigration permanente feront en sorte que la croissance de la population active s’amorcera plus rapidement. En outre, elle sera plus forte et atteindrait 1,0 % en 2030, pour se stabiliser autour de ce taux jusqu’en 2035.

  • Dans l’ensemble, comme on le voit, la combinaison évaluée dans le scénario 2, de « Moyenne immigration permanente », avec ses 60 000 permanents et ses 70 000 temporaires, est celle qui s’approche davantage de la moyenne historique du taux de croissance de la population active du Québec, soit environ 0,7 % par an. Pour situer ces scénarios par rapport aux flux historiques et aux programmes existants, voir l’annexe 1, qui présente un résumé des principaux chiffres de l’immigration au Québec.

De seuil optimal à cibles réalistes : gérer la transition

  • Compte tenu du nombre important d’immigrants temporaires actuellement présents, la transition vers le scénario « Moyenne immigration permanente » exigera une gestion rigoureuse et progressive. Pour assurer une planification efficace, il est essentiel de fixer des seuils d’immigration temporaire réalistes, fondés sur la capacité administrative, les intentions des candidats (départ ou établissement), ainsi que les transitions entre statuts (par exemple, des étudiants devenant des travailleurs après l’obtention de leur diplôme), tout en tenant compte des impacts socioéconomiques.

  • La prochaine planification pourrait ainsi établir un seuil d’immigration permanente plus élevé au départ (entre 60 000 et 90 000), avec une trajectoire annoncée de réduction vers 60 000, afin de permettre aux résidents temporaires qualifiés d’accéder à la résidence permanente et de réduire les goulots d’étranglement qui font en sorte que de nombreux candidats choisis pour l’immigration permanente sont actuellement en attente de l’obtention de leur statut.

  • Les cycles de planification de l’immigration permettent d’ajuster ces cibles tous les 3 à 5 ans afin de s’ajuster à l’évolution de certains indicateurs clés, comme la productivité et les taux d’activité, ainsi qu’aux aléas de la conjoncture, notamment le taux de croissance de l’économie et le taux de chômage. Mais il reste essentiel d’assurer la stabilité et la prévisibilité en maintenant les règles établies jusqu’à la fin de chaque période planifiée. Cette prévisibilité est indispensable aux acteurs économiques – travailleurs et étudiants étrangers, entreprises et institutions d’enseignement – pour planifier efficacement leurs décisions personnelles, professionnelles et d’investissement.

Quels immigrants contribuent le plus à accroître le PIB par habitant ?

Ce qu'il faut retenir

  • L’immigration n’accroît la richesse que si elle s’accompagne d’une intégration professionnelle réussie : ce sont surtout les groupes qui parviennent rapidement à générer un revenu égal ou supérieur à la moyenne québécoise qui contribuent réellement à la hausse du PIB par habitant.

  • Les demandeurs principaux des programmes d’immigration économique permanente se distinguent nettement : un an après leur arrivée, ceux de 2021 affichaient un revenu 36 % supérieur à la médiane québécoise. À l’inverse, les autres catégories de permanents (conjoints, regroupement familial, réfugiés) présentent des revenus plus faibles, qui ne rattrapent la moyenne qu’à long terme, parfois jamais complètement.

  • L’impact des immigrants temporaires, négatif à court terme : cette situation est due au fait qu’une partie importante d’entre eux ne travaillent pas (p. ex., les étudiants) ou ont des revenus plus faibles que l’ensemble des Québécois. Toutefois, pour certains groupes, comme les étudiants, il devient positif à plus long terme, s’ils s’établissent de façon permanente.

  • L’immigration en deux étapes donne de bons résultats, surtout pour les personnes plus qualifiées : un nombre croissant d’anciens temporaires admis comme permanents, surtout ceux venus pour étudier ou travailler, affichent, un an après leur résidence permanente, des revenus nettement supérieurs à la moyenne, grâce à leur expérience locale et à la sélection en plusieurs étapes. Toutefois, cette dynamique ne s’observe pas chez les travailleurs temporaires peu qualifiés.

La question

  • Les économistes et les gouvernements mesurent la prospérité principalement à partir du PIB par habitant. La baisse du PIB par habitant observée depuis 2022 résulte en partie de la hausse importante de la population due à l’immigration. À l’inverse, un ralentissement rapide de la croissance démographique par une réduction de l’immigration, comme prévu, fera automatiquement augmenter cet indicateur. Cependant, l’impact réel de l’immigration sur la création de richesse dépasse la simple mécanique d’ajout de travailleurs. Il dépend principalement de la capacité des nouveaux arrivants à s’intégrer et à contribuer au marché du travail. Cette contribution peut être mesurée de façon indirecte par le revenu de travail de l’immigrant. Le PIB par habitant s’accroît si la personne immigrante génère, à terme, un revenu supérieur à la moyenne. Dans le cas contraire, il diminue.

  • Or, il ne suffit pas d’évaluer le salaire initial à l’arrivée, car l’intégration professionnelle –recherche d’emploi, reconnaissance des qualifications, adaptation au marché – peut prendre du temps. Il est donc plus pertinent de comparer l’évolution des revenus des nouveaux arrivants avec ceux de l’ensemble de la population.

L’analyse les demandeurs principaux des programmes d’immigration permanente économique : un impact positif immédiat

  • Les demandeurs principaux des programmes d’immigration permanente économique – c’est-à-dire ceux dont le profil a été évalué dans le cadre d’un programme d’accès à la résidence permanente, comme le Programme de sélection des travailleurs qualifiés –contribuent très rapidement à l’augmentation du PIB par habitant. En effet, les immigrants de cette catégorie admis en 2016 ont vu leur revenu médian (salaires, traitements et commissions) dépasser celui de l’ensemble des travailleurs québécois dès leur deuxième année au Québec. Leur revenu médian a ensuite augmenté, dépassant de 47 % la médiane des travailleurs de la province six ans après l’admission (voir graphique 6).

  • Les données les plus récentes montrent d’ailleurs que cette intégration économique s’est encore accélérée : les immigrants de cette catégorie arrivés en 2021 enregistraient un revenu qui surpasse la médiane québécoise par 36 % seulement un an après leur arrivée. Cela s’explique notamment par le fait qu’un nombre plus important d’entre eux étaient déjà sur le territoire – pour y étudier ou y travailler de manière temporaire – avant d’être admis comme résidents permanents.

  • Pour la plupart des autres catégories d’immigrants permanents – conjoints, regroupement familial (enfants, parents), réfugiés –, le revenu s’inscrit sous la médiane québécoise, selon un écart qui varie entre 11 % et 36 % un an après l’arrivée. Cet écart, qui diminue considérablement avec le temps, n’est pas toujours complètement éliminé.

  • La réussite des immigrants permanents économiques s’explique d’abord par le processus de sélection : ils sont choisis précisément pour leur fort potentiel d’intégration. Même si les critères ont évolué au fil des ans, la priorité est toujours accordée aux travailleurs relativement jeunes, qualifiés (souvent universitaires), qui maîtrisent au moins l’une des deux langues officielles du Canada et qui exercent dans des secteurs où la demande est forte. Les données confirment l’efficacité de cette approche.

Graphique 6

La maîtrise du français: un atout nécessaire, mais insuffisant

  • La maîtrise du français favorise nettement l’intégration économique des immigrants permanents : six ans après leur arrivée, les demandeurs principaux économiques qui parlent uniquement le français gagnent 35 % de plus que la médiane québécoise. Par ailleurs, maîtriser l’anglais en plus du français est associé à un revenu encore plus élevé : les demandeurs principaux économiques qui possèdent ces deux langues affichent un revenu supérieur de 57 %. Il s’agit toutefois d’une corrélation ; d’autres facteurs peuvent aussi contribuer à cet écart.

  • Cette double compétence linguistique aide aussi les conjoints et, dans une moindre mesure, les regroupements familiaux, à combler, voire à dépasser l’écart de revenu par rapport à la médiane québécoise.

  • Ces résultats reflètent surtout les critères de sélection de l’immigration permanente, qui diffèrent d’un programme à l’autre. Par exemple, la plupart des demandeurs économiques principaux sont évalués sur leur connaissance du français, mais également leurs compétences et leur adéquation avec le marché du travail (voir annexe). Pour les réfugiés – qui sont plutôt sélectionnés sur des bases humanitaires –, la connaissance du français ne permet pas de combler l’écart de revenu.

Graphique 7

Les immigrants temporaires : un impact globalement négatif sur le PIB par habitant

  • Il demeure complexe d’évaluer avec précision les niveaux et l’évolution des revenus des travailleurs temporaires, en partie parce qu’une proportion importante de ceux-ci ne s’établissent pas durablement au Québec et que les données longitudinales sont limitées. De plus, les sources disponibles présentent des écarts importants : les estimations démographiques de Statistique Canada et celles portant sur les permis émis par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ne sont pas entièrement comparables. Par exemple, les données d’IRCC ne tiennent pas toujours compte adéquatement des membres de la famille des titulaires de permis présents sur le territoire (voir encadré 2).

  • Ainsi, selon IRCC, environ 55 % des détenteurs de permis temporaires – à l’exception des demandeurs d’asile – sont des étudiants, c’est-à-dire des personnes ayant un revenu relativement faible, ce qui limite, voire rend négative leur contribution au PIB par habitant pendant la durée de leurs études. De plus, quelque 26 % des détenteurs de ces permis sont des travailleurs étrangers temporaires (TET), qui occupent majoritairement des postes demandant peu de qualifications et dont le revenu est inférieur à la moyenne.

  • Les immigrants temporaires relevant du Programme de mobilité internationale (PMI) représentent 18 % des détenteurs de permis – toujours en excluant les demandeurs d’asile – et présentent des profils variés, principalement des diplômés d’établissements de niveau collégial ou universitaire canadiens ou encore des personnes ayant déjà été sélectionnées pour l’immigration permanente et en attente d’obtenir leur permis. Leur revenu se situe souvent au-dessus de celui d’autres immigrants temporaires, mais il demeure en général légèrement inférieur à celui de la population québécoise, surtout dans les premières années après leur arrivée.

  • Bien que sélectionnés pour des raisons humanitaires et non économiques, les demandeurs d’asile (30 % des immigrants temporaires selon Statistique Canada) influencent significativement le PIB par habitant québécois. Ces personnes, qui deviendront majoritairement des réfugiés, gagnent généralement des revenus inférieurs à la moyenne, comme le confirment nos données. Cette réalité soulève davantage le défi d’une répartition interprovinciale équitable plutôt que la nécessité d’établir un seuil, cette catégorie d’immigration ne pouvant être contingentée.

  • Dans l’ensemble, l’impact de l’immigration temporaire sur le PIB par habitant est probablement négatif à court terme ; toutefois, pour certains groupes, comme les étudiants, il devient positif à plus long terme, s’ils s’établissent de façon permanente.

Encadré 2 : Deux sources de données distinctes

L’analyse de l’évolution et de la répartition des immigrants temporaires s’appuie sur diverses sources de données, principalement celles de Statistique Canada et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Les différences entre ces sources sont importantes. Par exemple, au 1er janvier 2025, Statistique Canada dénombrait 615 000 immigrants temporaires au Québec, alors qu’IRCC en comptabilisait 420 000 au 31 décembre 2024. Les données d’IRCC sont utiles pour connaître les détails des différents programmes, alors que celles de Statistique Canada permettent de dénombrer le plus fidèlement le nombre d’immigrants temporaires résidant réellement sur le territoire.

Ces écarts s’expliquent par des différences méthodologiques et des objectifs distincts. IRCC fournit des données administratives sur le nombre de permis valides à une certaine date, tandis que Statistique Canada applique des ajustements démographiques aux données d’IRCC. À ses calculs, il inclut notamment les membres de la famille des titulaires de permis, réalise une modélisation du nombre de titulaires de permis en cours de renouvellement, et effectue un ajustement pour les titulaires de permis de travail ouvert dont certaines informations sont manquantes. De plus, la définition de demandeurs d’asile de Statistique Canada est plus large et englobe, entre autres, outre les demandeurs d’asile à proprement parler, ceux qui ont obtenu le statut de réfugié, tandis qu’IRCC ne tient compte que des demandeurs.

L’immigration en deux étapes donne de bons résultats, surtout pour les personnes plus qualifiées

  • Étant donné qu’un nombre croissant d’immigrants temporaires ont été par la suite admis comme immigrants permanents au Québec, il est essentiel d’évaluer leur potentiel à long terme. Or, les immigrants économiques qui ont travaillé ou étudié au pays affichent les meilleurs résultats sur le marché de l’emploi : un an après avoir obtenu la résidence permanente, ils gagnent un revenu médian 2,3 fois plus élevé que les immigrants permanents sans expérience préalable.

  • Cette réussite s’explique par plusieurs facteurs : leur expérience au Québec facilite la reconnaissance de leurs compétences par les employeurs, ils ont franchi plusieurs étapes de sélection des gouvernements du Canada et du Québec, tant pour le permis temporaire que permanent, et ceux qui restent au Québec présentent généralement un profil adapté aux exigences du marché du travail. Ces personnes ont pu démontrer leur capacité à s’intégrer rapidement ou à occuper des emplois correspondant à leurs qualifications, ce qui favorise des revenus supérieurs et une insertion économique durable par rapport à celles sélectionnées directement de l’étranger, même plusieurs années après leur arrivée.

  • En revanche, chez les travailleurs étrangers temporaires peu qualifiés ou faiblement rémunérés, l’immigration en deux étapes mène souvent à des revenus inférieurs –résultant de la nature même des emplois couverts par le programme des TET – et à une progression salariale plus lente que chez les immigrants comparables sélectionnés directement de l’étranger (immigration en une étape). Cependant, le passage de l’immigration temporaire vers la résidence permanente pour les travailleurs peu qualifiés reste marginal.

  • Une hausse de l’immigration économique entraînera inévitablement une augmentation des demandes de regroupement familial et de conjoints. Sans ajustement des seuils correspondants, cela risque de créer des goulots d’étranglement, de prolonger les délais de réunification familiale et de réduire l’attractivité du Québec pour les talents. Enfin, bien que l’impact économique des demandeurs d’asile et des réfugiés soit plus limité, il demeure essentiel de respecter nos engagements internationaux.

Est-ce que l'immigration peut contribuer à revitaliser les régions ?

Ce qu'il faut retenir

  • L’immigration permanente commence à se diffuser en dehors de Montréal, mais lentement : bien que l’immigration soit souvent perçue comme une solution pour revitaliser les régions vieillissantes, la réalité est que les immigrants permanents s’installent encore massivement à Montréal. On note une certaine régionalisation de l’immigration, en particulier vers la couronne de Montréal, notamment en Montérégie (15 % des arrivées en 2023, contre 10 % en 2014) et vers la Capitale-Nationale (11 % en 2023, contre 5 % en 2014).

  • Les immigrants temporaires sont les moteurs démographiques des régions éloignées : les régions plus éloignées bénéficient de plus en plus de l’arrivée d’immigrants temporaires. Bien que leur proportion demeure plus forte à Montréal et à Laval, les immigrants temporaires sont aujourd’hui plus nombreux dans plusieurs régions plus éloignées. Cette dynamique permet à des territoires en déclin démographique de renouer avec la croissance.

  • Le recours accru aux travailleurs temporaires dans les régions soulève deux enjeux majeurs. D’une part, la durabilité du modèle est fragile, car le séjour des TET est temporaire et seule une minorité accède à la résidence permanente. D’autre part, si l’immigration temporaire soutient la croissance démographique des régions, le recours par des secteurs à plus faible valeur ajoutée à une main-d’œuvre peu qualifiée – près de 80 % de ces travailleurs ont tout au plus un diplôme d’études secondaires – risque de limiter la création de richesse, de maintenir les économies régionales dans des secteurs à faible valeur ajoutée et de créer deux classes de travailleurs.

La question

  • Au-delà de l’impact démographique et économique à l’échelle du pays, l’immigration est souvent présentée comme un moyen de revitaliser les régions, où le vieillissement est plus marqué. Ces territoires font face à des difficultés de recrutement accrues, même en période de ralentissement du marché de l’emploi, comme en 2024. L’arrivée de nouveaux immigrants est vue comme une solution aux pénuries de main-d’œuvre et comme un moyen de dynamiser l’économie locale, de maintenir les écoles et les commerces ouverts, et de renforcer la vie communautaire, par exemple.

  • Mais dans les faits, les immigrants s’installent-ils vraiment en région ?

L’analyse: Montréal reste le principal pôle d’attraction, mais de moins en moins

  • L’île de Montréal demeure le principal pôle d’attraction des immigrants, accueillant près de 48 % des nouveaux arrivants permanents et 58 % des nouveaux immigrants temporaires en 2023. Cette concentration dans une grande ville, un phénomène qui s’observe ailleurs dans le monde, s’explique par les nombreuses opportunités économiques, mais également par la présence de services et d’une communauté d’accueil, entre autres.

  • La région administrative de Montréal attire aujourd’hui une plus faible proportion des nouveaux immigrants permanents qu’il y a dix ans. Alors qu’en 2014, Montréal accueillait une large majorité des nouveaux arrivants, sa part a diminué au profit des régions limitrophes. Par exemple, la Montérégie a vu sa part passer de 10 % en 2014 à 15 % en 2023. Du côté de la région de la Capitale-Nationale, 11 % des nouveaux arrivants ont été accueillis en 2023, comparativement à seulement 5 % en 2014.

Les régions plus éloignées profitent de l’arrivée des immigrants temporaires

  • Malgré cette progression hors de la métropole, la présence d’immigrants permanents reste limitée dans les régions plus éloignées. L’immigration temporaire est, quant à elle, plus diffuse au sein des régions du Québec. Mais celles-ci bénéficient de plus en plus de l’arrivée d’immigrants temporaires. Les données sur les immigrants temporaires présents sur le territoire à la fin de l’année 2023 montrent que la très grande majorité des TET sont installés en dehors de l’île de Montréal, alors que les étudiants et les PMI y sont plus concentrés.

Tableau 2
Répartition par programmes d’immigration des immigrants présents au 31 décembre 2023, Montréal et reste du Québec
  • D’un point de vue évolutif, l’analyse des composantes de l’évolution démographique dresse un portrait favorable aux régions, mais qui ne permet pas de différencier les programmes d’immigration empruntés par ces immigrants. Bien que la proportion des immigrants temporaires demeure plus forte à Montréal (43 nouveaux immigrants temporaires pour 1 000 habitants au 1 juillet 2024) et à Laval (16/1 000), ils sont aujourd’hui plus nombreux à s’installer dans plusieurs régions plus éloignées : 14/1 000 en Mauricie, 13/1 000 en Outaouais, 12/1 000 au Saguenay–Lac-Saint-Jean et 11/1 000 dans le Bas-Saint-Laurent. Cette dynamique permet à des territoires en déclin démographique, comme le Bas-Saint-Laurent, de voir leur population croître à nouveau.

Graphique 8
Graphique 9

Surtout des travailleurs peu qualifiés

  • La présence croissante des immigrants temporaires en région s’explique notamment par le fait que les travailleurs étrangers temporaires (TET) – nous nous intéressons à eux exclusivement tout au long de cette section –, recrutés à l’international, viennent pour un emploi dans un emplacement précis et ne peuvent changer d’emploi une fois arrivés.

  • Toutefois, ces travailleurs occupent majoritairement des emplois moins bien rémunérés et peu qualifiés : près de quatre sur cinq détiennent au plus un diplôme d’études secondaires (graphique 10). Cette réalité est particulièrement marquée dans les régions entourant Montréal. En 2024, par exemple, les entreprises de la Montérégie ont recruté 12 607 TET pour des postes peu qualifiés – soit 21 % du total des TET au Québec –, suivi de celles de Lanaudière (4 156 travailleurs – 7 % du total) et des Laurentides (3 670 travailleurs – 6 % du total).

  • Ainsi, même si l’apport des TET contribue à la vitalité des régions, plusieurs questions méritent d’être posées. Premièrement, la durabilité de ce modèle demeure incertaine, puisque la contribution des TET est, par définition, limitée dans le temps. Leur départ nécessite le maintien d’un flux constant de nouveaux arrivants, d’autant plus qu’une proportion importante d’entre eux ne souhaitent pas ou ne peuvent pas – en raison de critères de sélection restrictifs pour les moins qualifiés – accéder à la résidence permanente.

  • Deuxièmement, il est également certain que ce recours à une main-d’œuvre peu qualifiée, dans bien des cas, peut avoir un effet négatif sur les efforts de création de richesse. Outre l’impact à court terme de ces travailleurs peu qualifiés sur le PIB par habitant, le recours aux TET comporte le risque de maintenir une structure économique régionale centrée sur des activités à plus faible valeur ajoutée. Dans un tel cas, en s’appuyant sur une main-d’œuvre temporaire pour répondre aux besoins courants, les entreprises pourraient être moins incitées à automatiser ou à faire évoluer leurs modèles d’affaires, alors que ces transformations s’avèrent pourtant essentielles pour assurer la prospérité à long terme.

  • Un autre risque pourrait se traduire par l’accentuation de la segmentation du marché du travail. On pourrait ainsi voir se développer, d’un côté, une majorité de travailleurs permanents et natifs occupant des emplois plus stables et mieux rémunérés et, de l’autre, une proportion importante de travailleurs temporaires étrangers concentrés dans des postes moins qualifiés, souvent plus précaires et à faible mobilité professionnelle. Cette dynamique peut accroître la vulnérabilité de ces travailleurs temporaires et limiter leur intégration durable, tout en freinant, à long terme, l’amélioration des conditions de travail dans les secteurs à faible valeur ajoutée.

Graphique 10

Quelles pénuries justifient un recours à l'immigration ?

Ce qu'il faut retenir

  • Alors que certaines pénuries ne sont que passagères, d’autres sont plus structurelles : en comparant les taux de postes vacants par profession à leur niveau prépandémique, nous avons identifié quatre groupes professionnels pour lesquels les pénuries ne sont pas passagères, mais bien enracinées. Ce sont ces professions qui devraient être au cœur des stratégies de formation et d’immigration.

  • Au Québec, les pénuries les plus tenaces touchent principalement les domaines de la santé et des métiers : le plus gros goulot d’étranglement se trouve du côté du personnel qualifié du secteur des services (personnel infirmier, éducateurs, travailleurs sociaux). Viennent ensuite les autres services (préposés aux bénéficiaires, serveurs, préposés à l’entretien ménager et au nettoyage), puis le personnel technique (inhalothérapeutes, techniciens en génie, etc.) et enfin les métiers spécialisés liés aux biens (électriciens, mécaniciens, contremaîtres).

  • La clé se trouve dans des diplômes et une immigration bien ciblée : la vaste majorité de ces emplois exigent un diplôme collégial ou universitaire, surtout dans les services qualifiés et le personnel technique. Dans plusieurs secteurs, le manque de diplômés alimente directement les pénuries, et l’immigration temporaire pourrait jouer un rôle pour pallier ces pénuries. Enfin, les emplois présentant des pénuries tenaces et exigeant un diplôme universitaire sont davantage régis par des ordres professionnels, comme c’est le cas pour le personnel infirmier.

Des pénuries tenaces dans les domaines de la santé et des métiers au Québec

  • Au quatrième trimestre de 2024, on dénombrait 120 000 postes à pourvoir au Québec. Toutefois, notre analyse révèle que 42 000 de ces postes correspondent à des besoins excédentaires, c’est-à-dire à des postes vacants particulièrement persistants et difficiles à pourvoir dans 91 professions.

  • Le groupe professionnel le plus touché est celui du personnel qualifié du secteur des services – qui regroupe notamment le personnel infirmier, les éducateurs de la petite enfance, les orthophonistes et les travailleurs sociaux –, avec plus de 17 000 postes vacants excédentaires.

  • Vient ensuite le groupe autre personnel des services, comme les préposés aux bénéficiaires, les serveurs et les préposés à l’entretien ménager et au nettoyage, qui cumulent près de 13 000 postes vacants excédentaires.

  • Le groupe personnel technique, dont les inhalothérapeutes, les orthésistes, les prothésistes et les techniciens en génie, affiche également plus de 5 300 postes vacants excédentaires.

  • Enfin, le groupe personnel qualifié du secteur des biens, qui comprend les électriciens, les mécaniciens industriels et les contremaîtres de la construction, compte plus de 3 200 postes vacants excédentaires.

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Graphique 12

Encadré 3 : Méthodologie d’identification des professions en pénuries structurelles

Pour cibler les professions présentant les plus grands déséquilibres sur le marché du travail, l’analyse s’appuie sur le taux de postes vacants excédentaire. Ce taux est calculé en comparant, pour chaque profession, le taux de postes vacants de l’année 2024 avec le taux moyen observé pendant la période 2015-2019.

Les 161 professions du groupe intermédiaire de la classification nationale des professions sont regroupées en huit catégories professionnelles (graphique 11) partageant des profils de compétences similaires.

Formation et immigration, deux leviers complémentaires pour combler les pénuries de main-d’œuvre

  • Les difficultés de recrutement s’expliquent par plusieurs facteurs, comme un nombre insuffisant de diplômés dans certains secteurs. L’arrivée de nouveaux immigrants peut contribuer à atténuer ces difficultés de recrutement, mais elle ne constitue pas toujours une solution adaptée à tous les cas.

  • Une analyse des quatre professions les plus touchées par les postes vacants excédentaires dans chacun des quatre groupes professionnels mentionnés ci-dessus – soit 16 professions totalisant 69 % de l’ensemble des postes vacants excédentaires (tableau 3) – permet de dégager plusieurs constats majeurs.

  • La grande majorité de ces professions exigent un diplôme collégial ou universitaire, particulièrement au sein des groupes de personnel qualifié du secteur des services et du personnel technique. Le personnel qualifié du secteur des biens requiert principalement une formation professionnelle. Seules deux professions – les serveurs et les préposés à l’entretien ménager et au nettoyage – n’exigent aucune formation formelle.

  1. Cela montre que les systèmes d’enseignement et de formation sont essentiels pour répondre à la rareté de main-d’œuvre. L’immigration peut aussi jouer un rôle, mais c’est surtout l’immigration qualifiée – particulièrement au niveau collégial et universitaire, et, dans une moindre mesure, professionnel – qui permet de combler ces besoins.

  2. Le système d’immigration actuel ne permet pas tout à fait de combler ces pénuries plus tenaces. D’une part, le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) cible principalement les pénuries d’emplois peu ou pas qualifiés, même si des efforts sont faits pour orienter les TET vers ces emplois. D’autre part, le Programme de mobilité internationale (PMI) reçoit un nombre important de diplômés universitaires, tout comme l’immigration permanente économique qui privilégie ce même profil.

  3. Ce qui fait défaut s’avère clairement un « chaînon manquant » : des travailleurs pour les emplois aux pénuries persistantes nécessitant une formation collégiale ou professionnelle. Des transformations récentes tentent de combler cette lacune, notamment la réforme du principal programme d’immigration permanente économique visant à élargir l’accès aux immigrants possédant des compétences intermédiaires et manuelles. Parallèlement, on observe une augmentation des étudiants dans les programmes collégiaux et professionnels qui obtiennent ensuite un permis après l’obtention de leur diplôme. Toutefois, des questions demeurent quant à la qualité et à la pertinence de ces diplômes, qui découlent souvent de formations de courte durée et pas nécessairement alignées avec les secteurs demandés.

  • Les emplois présentant des pénuries tenaces et exigeant un diplôme universitaire sont davantage régis par des ordres professionnels, comme c’est le cas pour le personnel infirmier. Pour les immigrants, l’exercice de ces professions est conditionné à la reconnaissance de leurs compétences par ces instances réglementaires. Bien que des progrès aient été réalisés pour accélérer ce processus de reconnaissance pour les personnes formées à l’étranger, il reste évident que l’obtention d’un diplôme québécois demeure la voie privilégiée et la plus efficace pour garantir l’accès à ces professions.

  • Dans plusieurs professions, le nombre de diplômés est inférieur au nombre de postes vacants. Le cas des professionnels en soins infirmiers et paramédicaux illustre bien ce phénomène : près de 6 400 postes restent actuellement inoccupés dans ce secteur. En 2022, le Québec a formé près de 2 700 diplômés collégiaux et 3 400 diplômés universitaires dans la catégorie des infirmiers autorisés, soit le type de diplôme requis pour la vaste majorité des infirmiers en exercice (tableau 3).

  1. À première vue, l’offre de nouveaux diplômés semble adéquate pour répondre à la demande. Pourtant, selon les dernières données du recensement, seulement la moitié des détenteurs d’un diplôme de ce domaine d’étude exercent effectivement la profession d’infirmier ; les autres occupent d’autres emplois – parfois dans le secteur de la santé, parfois ailleurs.

  2. Ainsi, pour pourvoir l’ensemble des postes excédentaires, il faudrait augmenter le nombre de diplômés universitaires à 4 000 (+17 %) et celui des diplômés collégiaux à 3 500 (+34 %) annuellement.

  3. Toutefois, ce n’est pas toujours un déficit de diplômés qui explique ces postes vacants. Des analyses plus fines par profession permettraient d’identifier précisément les domaines où le nombre de diplômés est insuffisant. Pour ces emplois, l’immigration peut jouer un rôle à deux niveaux : d’une part, en recrutant directement des travailleurs qualifiés à l’étranger grâce à l’immigration permanente économique ; d’autre part, en attirant des étudiants internationaux dans des programmes ciblés, qui pourraient ensuite accéder à la résidence permanente.

  4. Cette seconde voie comporte des risques, car tous ne choisiront pas de rester au Québec ou de travailler dans le métier visé. Toutefois, elle présente un avantage important : en formant ces personnes ici, on évite les obstacles liés à la reconnaissance des diplômes et à la réglementation professionnelle, ce qui facilite leur intégration dans des secteurs en forte pénurie. La stabilité et la prévisibilité des programmes de transition vers la résidence permanente pour ces diplômés internationaux constituent donc des facteurs déterminants pour maximiser leur rétention et leur insertion dans les secteurs en pénurie.

Tableau 3
Information sur certaines des professions en pénurie de main-d’œuvre tenace

Annexe

Tableau 4
Nouveaux immigrants permanents admis
Tableau 5
Nombre de nouveaux immigrants temporaires (flux net)
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Conclusion

Les politiques d’immigration sont avant tout de nature économique au Québec et au Canada. Toutefois, chaque objectif – assurer la vitalité des régions, combler les pénuries de main-d’œuvre ou créer de la richesse – peut nécessiter des approches migratoires différentes. Parallèlement, il demeure essentiel que Québec et Ottawa assument pleinement leurs responsabilités humanitaires en matière de demandes d’asile et de regroupements familiaux. Toutefois, pour honorer efficacement ces engagements, ils doivent impérativement réussir leur volet d’immigration économique en adoptant des politiques qui stimulent la création d’opportunités bénéficiant à tous les nouveaux arrivants, indépendamment de leur statut. Nos analyses visent à éclairer ces choix, qui impliquent nécessairement des arbitrages.

Pour mieux répondre à nos défis démographiques, il devient essentiel d’arrimer les seuils d’immigration à la croissance de la population, et plus particulièrement à une cible de croissance de la population active. L’objectif économique derrière cette démarche devrait être clair : il s’agit avant tout de faire progresser le niveau de vie, donc de viser une hausse du PIB par habitant, plutôt que de se contenter de la croissance globale de l’économie.

Dans cette perspective, il est préférable de miser sur l’immigration permanente plutôt que temporaire. Les personnes qui choisissent de s’établir durablement contribuent davantage à la société et à l’économie québécoise. Cela dit, l’immigration temporaire joue un rôle essentiel pour répondre à certains besoins ponctuels du marché du travail ou servir de passerelle vers la résidence permanente pour des profils qualifiés.

Le véritable défi, en matière de politiques publiques, n’est pas de déterminer un seuil optimal qui résoudrait tous les problèmes. Les enjeux liés à l’immigration sont trop complexes pour se résumer à un seul chiffre : il n’y a pas de chiffre magique. L’essentiel est plutôt de définir une trajectoire permettant au Québec de retrouver progressivement une situation d’équilibre, tout en réduisant, autant que possible, les chocs liés à la transition. Cela permettrait de maximiser la contribution de l’immigration, tout en en minimisant les effets négatifs.

Il ne faut ainsi ni attendre de l’immigration qu’elle règle tous les problèmes économiques ni lui attribuer l’ensemble des faiblesses de notre économie : ce serait le meilleur moyen de polariser le débat.

Enfin, rappelons que, derrière chaque politique, on retrouve des personnes qui ont choisi de faire du Québec leur chez-soi. Une planification prévisible et stable est donc cruciale : l’instabilité réglementaire nuit à la confiance, freine la croissance et complique l’intégration des talents, autant de facteurs déterminants pour la prospérité et la cohésion sociale du Québec.