Main d'oeuvre
RAPPORT
76 min

Répercussions de lautomatisation et de lIA sur la main-dœuvre au Québec

Quels sont les travailleurs et travailleuses les plus vulnérables ?

Rapport
Communiqué de presse
Document méthodologique
15 janvier 2025

En bref

L’intelligence artificielle comme accélérateur de l’automatisation

  • L'intelligence artificielle (IA) représente une nouvelle génération de technologies qui se distinguent des autres par leur potentiel à accroître les capacités d’autres technologies d’automatisation, pour les rendre plus efficaces et autonomes. À titre d’exemple, les systèmes de traitement du langage naturel qui permettent désormais aux robots conversationnels d’être plus performants.

  • Bien que l’IA s'inscrive dans un flux constant d'innovations numériques, elle pourrait bien devenir une technologie de rupture dans le sens où certaines de ses applications comme ChatGPT ont été adoptées à une vitesse remarquable, notamment parce qu’elle ne nécessite aucune compétence particulière. Non seulement elle pourrait servir à accomplir certaines tâches, – pas uniquement répétitives mais aussi créatives et jusqu’alors réalisées par des humains –, mais aussi contribuer à créer de nouveaux modèles d’affaires.

  • Pour l’heure, la technologie ne peut remplacer plusieurs activités humaines, particulièrement celles qui exigent de l'intelligence sociale, de la créativité ou encore des manipulations physiques complexes.

Au-delà du risque d’être remplacé par une machine : comprendre la vulnérabilité professionnelle

  • Alors que de nombreux emplois sont susceptibles d'être transformés par l’IA au cours des années à venir, l’inquiétude des travailleurs et travailleuses tient surtout au fait que leurs emplois pourraient disparaître.

  • Dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, l’inquiétude devrait toutefois plutôt porter sur le fait que certains travailleurs et travailleuses ne parviendront pas à se réorienter professionnellement. Cette main-d’œuvre, décrite comme vulnérable dans le présent rapport, occupe des postes à haut risque d'automatisation et dispose de peu d'options de reconversion rapide vers des emplois moins menacés.

  • En appliquant, pour la première fois au contexte québécois, une méthodologie éprouvée à l’international pour identifier ces travailleurs et travailleuses vulnérables, l’Institut du Québec a pu estimer qu’environ 810 000 personnes, soit 18 % de la main-d'œuvre québécoise, travaillent ou cherchent un emploi dans 96 professions actuellement vulnérables à l’automatisation. On parle ici d’automatisation à la fois par la robotisation et par des applications d’IA.

  • Les jeunes de 15 à 24 ans, qui occupent plus souvent des emplois en vente et services, sont davantage à risque. La situation est particulièrement préoccupante pour ceux qui ne poursuivent pas d'études et qui souhaitent faire carrière dans ces emplois vulnérables à l’automatisation. Quelque 27 % des adultes de plus de 25 ans sans diplôme occupent ou cherchent un emploi dans une profession vulnérable.

  • Bien que les diplômées et diplômés universitaires de 25 ans et plus ne soient pas complètement épargnés, ils restent très peu exposés : 8 % d’entre eux occupent ou cherchent un emploi dans une profession vulnérable, et ce, même si les nouvelles formes d’IA génératives – capables de créer du contenu original – les exposent plus qu’avant au risque d’automatisation. Leur avantage? Ils pourront miser sur leurs nombreuses compétences transversales pour faciliter leur reconversion professionnelle dans l’éventualité où leur emploi venait à être robotisé ou bon nombre de leurs tâches automatisées.

L’intelligence artificielle pourrait améliorer la productivité... sous certaines conditions

  • L'intelligence artificielle a le potentiel d’améliorer la productivité du Québec. D’une part, l’IA permet d’accroître la productivité individuelle en assistant les humains dans leurs tâches, comme par exemple, en les aidant à résumer de longs rapports. D’autre part, elle permet aussi d’automatiser certaines tâches et de réallouer les travailleurs vers des tâches à plus forte valeur ajoutée.

  • Cette hausse de la productivité tomberait à point nommé pour le Québec, qui en a bien besoin pour soutenir sa croissance et réduire les difficultés de recrutement dans plusieurs secteurs.

  • Cependant, l’IA ne favorisera pas une hausse de la productivité, si elle n’est adoptée que pour remplacer les humains et maintenir ainsi dans l’économie des activités à faible valeur ajoutée. Pis encore, à défaut d’assurer la réorientation de la main-d’œuvre vulnérable, une telle application de l’IA aurait le potentiel de multiplier les perdants.

  • À la différence du grand public qui a adopté très rapidement certaines applications d’IA, comme ChatGPT, les organisations québécoises risquent de prendre plus de temps à utiliser l’IA pour transformer leurs processus. Ainsi, seuls 12 % des entreprises québécoises prévoient utiliser l’IA pour produire des biens ou livrer des services dans la prochaine année.

Pratiques inspirantes en formation et en requalification

  • Contrairement aux autres technologies qui exigent souvent des connaissances techniques spécifiques, les plus récentes applications d'intelligence artificielle, par leur grande convivialité, en démocratise l’accès. Il suffit désormais d’échanger de vive voix avec un ordinateur pour qu’il exécute nos commandes.

  • Cette accessibilité ne réduit pas les besoins en formation, mais les réoriente. Ce qui importe désormais, c’est de former des experts pour créer des solutions logicielles d’IA, former les gestionnaires pour intégrer ces solutions dans leur organisation et accompagner les employés et employées plus vulnérables dans le développement de compétences transversales pour assurer leur adaptabilité professionnelle.

  • Parmi les pratiques récemment mises en place au Canada par le Centre des Compétences futures – et dont quelques exemples sont présentés dans le présent rapport –, notons la création d'un centre de mentorat jumelant quelque 5 000 travailleuses et travailleurs de la santé à des experts en technologie afin de favoriser l’intégration de l'IA à leurs projets d'innovation, ou la requalification d’employés vulnérables du commerce de détail vers des postes en vente privilégiant l'interaction client ou encore des formations favorisant l’acquisition de compétences pour des postes en technologie numérique dans les PME.

Pistes d'action

Pour s’assurer que l'IA contribue à accroître la productivité du Québec, les organisations devraient accélérer leurs investissements en l'IA pour pallier les pénuries de main-d’œuvre et réallouer leur personnel vers des tâches plus gratifiantes et à plus forte valeur ajoutée.

Pour renforcer la résilience des travailleuses et des travailleurs, les gouvernements et leurs partenaires du domaine de l’éducation et de la formation devraient mieux prendre en compte les besoins de requalification des personnes à l’emploi dans leurs mesures d’aide à la formation, et non pas uniquement au chômage.

Pour mieux anticiper les besoins à venir, les gouvernements devraient intégrer systématiquement l'impact des nouvelles technologies dans les prévisions des besoins en main-d'œuvre, lesquelles servent notamment à planifier l'offre de formation professionnelle et collégiale et les politiques d'immigration.

À propos

À propos de l’Institut du Québec

L’Institut du Québec est un organisme à but non lucratif qui axe ses recherches et ses études sur les enjeux socioéconomiques auxquels le Québec fait face. Il vise à fournir aux autorités publiques et au secteur privé les outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées, et ainsi contribuer à bâtir une société plus dynamique, compétitive et prospère.

Ce rapport a été préparé par Anthony Migneault, avec la collaboration de Emna Braham, Simon Savard et Jean-Baptiste Vallantin-Dulac.

À propos du Centre des Compétences futures

Le Centre des Compétences futures (CCF) est un centre de recherche et de collaboration avant-gardiste qui se consacre à l’innovation dans le domaine du développement des compétences afin que toutes les personnes au Canada soient prêtes pour l’avenir du travail. Nous travaillons en partenariat avec des personnes chargées de l’élaboration des politiques, des personnes chargées de la recherche, des spécialistes, des employeurs et des travailleuses et travailleurs, ainsi qu’avec des établissements d’enseignement postsecondaire, afin de résoudre les problèmes urgents du marché du travail et de veiller à ce que chacun puisse bénéficier de possibilités pertinentes d’apprentissage tout au long de la vie. Nous sommes fondés par un consortium dont les membres sont l’Université métropolitaine de Toronto, Blueprint et le Conference Board of Canada, et nous sommes financés par le Programme du Centre des compétences du gouvernement du Canada.

Répercussions de l’automatisation et de l’IA sur la main-d'œuvre au Québec est financée par le gouvernement du Canada dans le cadre du programme Compétences futures.

Les opinions et interprétations contenues dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.

Pourquoi cette étude ?

Le lancement de ChatGPT en novembre 2022 constitue très certainement un point d'inflexion majeur dans la perception de l'intelligence artificielle (IA) par le grand public. Il a transformé un concept abstrait en un outil quotidien et a déclenché une prise de conscience collective sur l'impact imminent de l'IA sur le travail et la société.

Pourtant, les réflexions sur l’avenir du travail ne sont pas nouvelles : au début des années 2000, plusieurs s’interrogeaient déjà sur l’impact qu’aurait l’informatique sur les emplois. En 2010, il était surtout question de l’économie de plateformes et la « gig economy » (Uber, Airbnb, etc.). Aujourd’hui, c’est davantage l’automatisation induite par l’intelligence artificielle qui suscite le questionnement et ce, tant dans les secteurs producteurs de biens que de services.

Pour bien comprendre les enjeux actuels de transformation du travail, il faut d’abord préciser que si l’adoption de certaines applications par le grand public, comme ChatGPT, a été exceptionnellement rapide, la pleine intégration de l'IA dans les organisations québécoises connaît, quant à elle, une progression plutôt graduelle. Elle s’effectue ainsi au gré de l'accessibilité et des coûts des technologies, des investissements, de la demande des utilisateurs et du cadre réglementaire. Il s’agit donc d’une évolution, plutôt que d’une révolution technologique. L’intégration de ces technologies s’orchestre dans un marché de l’emploi marqué par la rareté de main-d’œuvre et d’importantes difficultés de recrutement dans certains secteurs. Remplacer des emplois moins attractifs en termes de salaires et de conditions de travail peut alors être vu comme une opportunité.

Chaque vague technologique a suscité la même appréhension collective : celle d’être éventuellement remplacé par la machine. Et chaque fois, ces projections ont laissé planer l’idée d’une révolution radicale à court terme mais se sont trompées sur les transformations plus profondes – et à plus long terme – que les technologies suscitent telles que les nouvelles compétences valorisées, les modèles d’affaires transformés et créés ou encore leurs impacts sur la productivité. Et pourtant, ces transformations s’échelonnent habituellement sur des décennies.

L'expérience a aussi montré que les technologies les plus prometteuses – pour la société dans son ensemble, mais aussi pour les entreprises privées – sont celles qui améliorent les capacités humaines plutôt que de les remplacer. L'IA n'échappera donc pas à cette règle.

C’est dans ce contexte que le Centre des Compétences futures (CCF), qui a pour mission d’aider les Canadiens à acquérir les compétences nécessaires pour se démarquer sur un marché du travail en pleine évolution, a approché l’Institut du Québec (IDQ) afin d’explorer l'impact concret de l'IA sur l’emploi au Québec.

En appliquant, pour la première fois au contexte québécois, une méthodologie éprouvée à l’international, l’IDQ a ainsi pu identifier quels sont les travailleurs et travailleuses les plus vulnérables à l’IA.

En s'éloignant des visions alarmistes d'un remplacement massif des emplois, la présente analyse explore les transformations réelles des métiers, les occasions à saisir et les défis d'adaptation qui attendent les entreprises et, les travailleuses et travailleurs québécois au cours des années à venir.

Ce qu'il faut retenir

L'intelligence artificielle (IA) représente une nouvelle génération de technologies qui se distinguent des autres par leur potentiel à accroître les capacités d’autres technologies d’automatisation, pour les rendre plus efficaces et autonomes. À titre d’exemple, les systèmes de traitement du langage naturel qui permettent désormais aux robots conversationnels d’être plus performants.

Bien que l’IA s'inscrive dans un flux constant d'innovations numériques, elle pourrait bien devenir une technologie de rupture dans le sens où certaines de ses applications comme ChatGPT ont été adoptées à une vitesse remarquable, notamment parce qu’elle ne nécessite aucune compétence particulière. Non seulement elle pourrait servir à accomplir certaines tâches, – pas uniquement répétitives mais aussi créatives et jusqu’alors réalisées par des humains –, mais aussi contribuer à créer de nouveaux modèles d’affaires.

Pour l’heure, la technologie ne peut remplacer plusieurs activités humaines, particulièrement celles qui exigent de l'intelligence sociale, de la créativité ou encore des manipulations physiques complexes.

L’intelligence artificielle comme accélérateur de l'automatisation

Qu’est-ce que l’IA?

L'intelligence artificielle représente une nouvelle génération de technologies, dans le sens où elle peut s’intégrer aux autres technologies d’automatisation pour les rendre plus efficaces, autonomes et leur permettre de prendre des décisions (graphique 1). À titre d’exemple, intégrée à une machine de détection des anomalies dans le secteur manufacturier, l’IA peut signaler aux responsables de l’entretien des besoins de maintenance prédictifs et optimisés.

Par opposition aux technologies qui suivent des règles préprogrammées, l’IA se distingue par sa capacité à découvrir par elle-même des modèles dans les données et apprendre de son expérience afin d’améliorer ses performances. Elle est souvent jumelée à d’autres technologies physiques ou logicielles qui, elles, exécutent les tâches.

Graphique 1
Exemples de technologies d’automatisation et de l’intelligence artificielle

Sources : Institut du Québec, McKinsey & Company (What are Industry 4.0, the Fourth Industrial Revolution, and 4IR?, disponible ici) et Google Cloud (Que sont les applications d’IA?, disponible ici)

Est-ce que l’IA sera une technologie de rupture?

L’IA se distingue des précédentes technologies numériques par sa capacité plus grande à accomplir des tâches cognitives auparavant réservées aux êtres humains.

Au départ, l’intelligence artificielle a beaucoup servi à reconnaître l’écriture et la voix humaine, puis les objets et l’environnement dans lequel nous évoluons (graphique 2). La technologie a ensuite progressé, permettant de comprendre et d’interpréter les écrits, les discours et les dialogues. Si bien qu’elle est actuellement en voie de réaliser et ce, aussi bien que l’humain, des tâches complexes et peu répétitives comme la génération de code informatique.

Graphique 2
Performance de l'IA sur diverses tâches par rapport aux humains

Source : Kiera et al. (2023) via Our world in Data

Bien que l’IA s'inscrive dans un flux constant d'innovations numériques, elle pourrait bien devenir une technologie de rupture dans le sens où elle risque de rendre obsolètes certaines tâches jusqu’alors réalisées par des humains et permettrait de créer de nouveaux modèles d’affaires.

Il s’agit d’une avenue de plus en plus discutée non seulement en raison de l’immensité de son potentiel mais également par la grande vitesse à laquelle elle est adoptée, soit beaucoup plus rapidement que les autres technologies récentes (graphique 3). À preuve,

selon un sondage réalisé auprès de ménages américains, 39 % des 18 à 64 ans utilisaient l’IA générative en août 2024, soit moins de deux ans après le lancement de ChatGPT. À titre comparatif, les téléphones intelligents n’ont atteint un tel niveau d’adoption que cinq ans après leur lancement auprès du grand public américain.

Un phénomène qui peut, en partie, s’expliquer par le fait que l’application a été rendue disponible gratuitement, incitant ainsi de nombreuses personnes à la tester, puis à l’adopter. Autre explication : on peut rapidement tirer profit de l’application sans nécessairement détenir de connaissances technologiques particulières : il suffit de lui parler.

Graphique 3
Taux d'adoption de différentes technologies récentes par les ménages américains

Sources : Institut du Québec, Bick et al. (2024) et Our World in Data

L’IA dans nos organisations : une transformation complexe

Dans les organisations, l'adoption des technologies d'intelligence artificielle pour produire des biens et services suit toutefois une trajectoire séquencée, qui contraste avec l'engouement spontané du grand public pour des outils comme ChatGPT. Cette évolution s'explique par plusieurs facteurs structurants comme la maturité variable des solutions technologiques disponibles, les considérations budgétaires liées aux investissements requis, le niveau de préparation organisationnelle et les besoins spécifiques des utilisateurs.

Par ailleurs, les lois existantes et à venir – qui encadrent l’adoption des technologies –pourraient ralentir l’intégration de l’IA dans les organisations. La multiplication des normes visant à réglementer son utilisation, par exemple, dans le cas d’applications risquées pour les humains comme la gestion d’infrastructures névralgiques ou la conduite automobile assistée, demandent encore réflexion, notamment sur le plan éthique.

Au Canada, la Loi sur l’intelligence artificielle et les données – proposée en 2022 dans le cadre du projet de loi C-27 – vise justement à établir des exigences pour la conception, le développement et l’utilisation des systèmes régis par l’IA. Plus concrètement, elle introduirait des mesures visant à atténuer les risques de préjudices et de résultats biaisés et elle interdirait aussi certaines pratiques relatives à l’IA susceptibles de causer un tort sérieux aux individus. Si les protections que cette loi propose à la communauté sont légitimes, elles nécessitent souvent des processus d'audit, de documentation et de certification auprès des organisations qui intègrent l’IA dans leurs processus, ce qui pourrait donc en freiner le déploiement et en accroître les coûts.

Les barrières éthiques portent, quant à elles, sur des questionnements fondamentaux liés à l'impact de l'IA sur la société, notamment en termes de biais, d'équité et de respect des droits de la personne. Elles se manifestent, entre autres, par une réticence des travailleurs et des travailleuses à voir leur employeur intégrer l’IA dans ses processus, ou encore par une frilosité des consommateurs à l’égard des produits soutenus par l’IA. Comme pour toute révolution technologique, deux réflexions coexistent : les questions éthiques fondamentales sur la place de l'IA dans notre société et les préoccupations concrètes sur ses impacts directs, particulièrement sur l'emploi.

Comment la main-d’œuvre pourrait-elle être remplacée ?

La menace de remplacer l’humain par la machine ne date toutefois pas d’hier. Bien avant l’avènement de l’intelligence artificielle, certaines technologies numériques avaient déjà contribué à réduire les effectifs dans les organisations.

Nous n’avons qu’à penser aux caisses et aux guichets automatiques qui ont remplacé bon nombre de caissiers et caissières dans les commerces et les institutions financières. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet d’aller encore plus loin. Non seulement ces mêmes tâches sont automatisées, mais avec plus de prévision ou de rapidité. Dans d’autres domaines, l’IA permet même d’automatiser des tâches cognitives plus complexes et inaccessibles aux technologies numériques qui l’ont précédée. Encore peu répandus au Québec, les tables interactives et les robots serveurs automatisent déjà la prise de commande et le service aux tables dans les restaurants, par exemple. L’IA pourra même remplacer les serveurs et serveuses pour la recommandation de plats en s’inspirant de l’historique et des préférences des clients par le biais d’applications offertes sur leur téléphone.

Le tableau 1 présente, pour une sélection de professions qui sont analysées dans la présente étude, des exemples concrets de la façon dont l'IA et les autres technologies numériques pourraient automatiser certaines de leurs tâches.

Tableau 1
Exemples de tâches automatisées

Source : Institut du Québec

Bien que l’IA servira à automatiser plusieurs tâches dans le futur, il est important de rappeler que bon nombre ne peuvent toujours pas être effectuées par des technologies. Ces compétences, qui ralentissent l’automatisation, sont par ailleurs essentiellement les mêmes que pour les technologies existantes, à savoir : l’intelligence sociale, la créativité et la capacité de percevoir et manipuler l’espace. À titre d’exemple, l’intelligence sociale essentielle au métier de travailleurs ou travailleuses sociales laisse croire que ce métier ne pourra être effectué par un automate dans un avenir rapproché.

Au-delà du risque d'être remplacé par une machine

Ce qu'il faut retenir

Alors que de nombreux emplois sont susceptibles d'être transformés par l’IA au cours des années à venir, l’inquiétude des travailleurs et travailleuses tient surtout au fait que leurs emplois pourraient disparaître.

Dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, l’inquiétude devrait toutefois plutôt porter sur le fait que certains travailleurs et travailleuses ne parviendront pas à se réorienter professionnellement. Cette main-d’œuvre, décrite comme vulnérable dans le présent rapport, occupe des postes à haut risque d'automatisation et dispose de peu d'options de reconversion rapide vers des emplois moins menacés.

En appliquant, pour la première fois au contexte québécois, une méthodologie éprouvée à l’international pour identifier ces travailleurs et travailleuses vulnérables,

l’Institut du Québec a pu estimer qu’environ 810 000 personnes, soit 18 % de la main-d'œuvre québécoise, travaillent ou cherchent un emploi dans 96 professions actuellement vulnérables à l’automatisation. On parle ici d’automatisation à la fois par la robotisation et par des applications d’IA.

Les jeunes de 15 à 24 ans, qui occupent plus souvent des emplois en vente et services, sont davantage à risque. La situation est particulièrement préoccupante pour ceux qui ne poursuivent pas d'études et qui souhaitent faire carrière dans ces

emplois vulnérables à l’automatisation. Quelque 27 % des adultes de plus de 25 ans sans diplôme occupent ou cherchent un emploi dans une profession vulnérable. Bien que les diplômées et diplômés universitaires de 25 ans et plus ne soient pas

complètement épargnés, ils restent très peu exposés : 8 % d’entre eux occupent ou cherchent un emploi dans une profession vulnérable, et ce, même si les nouvelles formes d’IA génératives – capables de créer du contenu original – les exposent plus qu’avant au risque d’automatisation. Leur avantage? Ils pourront miser sur leurs nombreuses compétences transversales pour faciliter leur reconversion professionnelle dans l’éventualité où leur emploi venait à être robotisé ou bon nombre de leurs tâches automatisées.

Qui sont les personnes vulnérables face à l’automatisation ?

Au cours des dernières années, plusieurs auteurs ont, à maintes reprises, rappelé la menace que certaines nouvelles technologies numériques puissent automatiser des tâches, voire carrément remplacer des travailleurs et travailleuses dans certaines professions. Une analyse réalisée par l’Institut C.D. Howe estimait ainsi que près d’un tiers des emplois au Québec risquait fortement d’être automatisés.

Bon nombre de travailleuses et de travailleurs considérés à haut risque d’être remplacés par les nouvelles technologies devront donc changer de carrière. Toutefois, certains n’auront pas à se reformer sur une longue période pour pouvoir occuper un autre emploi aux conditions similaires, mais à risque d’automatisation moindre. C’est le cas notamment des traducteurs et traductrices qui ont vu leur profession menacée par l’avènement des grands modèles de langage (graphique 1). Cette technologie d’IA, qui repose sur la compréhension et l’analyse de texte, a fortement contribué à la performance des logiciels de traduction. Si bien que ces applications ont depuis plusieurs années déjà graduellement pris la place des traducteurs. Les compétences et la maîtrise des langues de ces experts pourraient toutefois leur servir à l’enseigner, par exemple.

L’automatisation peut cependant représenter une menace bien plus définitive. Notamment lorsque la reconversion professionnelle vers un emploi à moindre risque d’automatisation est plus difficile, voire impossible. Ce phénomène est déjà à l’œuvre dans les hôtels où l’on a remplacé les réceptionnistes par un service d’accueil automatisé.

Les travailleuses et les travailleurs les plus vulnérables sont ceux qui exercent une profession à haut risque d’automatisation et qui ne peuvent effectuer un changement de carrière rapide. Aussi appelé main-d’œuvre vulnérable, ce groupe de travailleuses et travailleurs fait l’objet d’une analyse inédite dans la présente étude (graphique 4).

Les travailleuses et travailleurs semblent d’ailleurs bien conscients que la vulnérabilité en matière d’emploi tient aujourd’hui davantage à leur incapacité à se requalifier qu’à la

disparition même des emplois. En 2023, seulement 20 % des Canadiens croyaient que des changements technologiques et climatiques pouvaient menacer leur emploi alors que

37 % indiquaient que ces changements affecteraient plutôt leurs tâches et qu’ils auraient besoin de formation.

Graphique 4
La main-d’œuvre vulnérable, à risque d’automatisation, montre une faible mobilité professionnelle

Source : Institut du Québec

Comment mesurer la vulnérabilité des emplois face à l’automatisation ?

Pour mieux cerner l’impact de l’automatisation sur l’emploi au Québec, l’Institut du Québec s’est inspiré des travaux largement cités de Frey et Osborne (2013), utilisés aussi par l’OCDE (2019). Appliquée pour la première fois au contexte québécois, la méthodologie des deux chercheurs – reconnue et éprouvée à l’international –, a permis d’identifier quels sont les travailleuses et travailleurs québécois les plus vulnérables. On parle ici d’automatisation à la fois par la robotisation et par des applications d’IA.

Pour ce faire, les auteurs du présent rapport ont d’abord ciblé les professions qui sont

susceptibles d’être automatisées à plus de 70 % dans un avenir prévisible selon la méthodologie proposée par Frey et Osborne (2013). De ce nombre, ils ont extrait les professions pour lesquelles une transition de carrière provoquée par l’automatisation est jugée « acceptable » selon l’OCDE, soit lorsqu’elle représente ou exige :

  • Tout au plus six mois de formation avant de pouvoir occuper un poste qui n’est pas à haut risque d’être automatisé;

  • Une augmentation modeste des compétences en littératie et en numératie;

  • Des similarités dans les compétences exigées (compétences en technologie ou en gestion et en communication, par exemple);

  • Au moins un domaine d’étude en commun avec l’emploi actuel;

  • Une réduction du salaire inférieure à 10 %;

  • Une surqualification limitée en matière de compétences en littératie et en numératie.

Cet exercice a permis d’identifier 96 professions pour lesquelles l’automatisation pouvait représenter une menace pour les travailleuses et travailleurs québécois. Des calculs pour déterminer le nombre de personnes menacées et analyser les groupes démographiques et les industries les plus exposées ont également été effectués. Des données tirées du recensement de 2021 et des compilations fournies par Statistique Canada ont servi à brosser ce tableau. L’annexe fournit davantage de détails sur la méthodologie utilisée.

Quelque 18 % de la main-d’œuvre québécoise est vulnérable à l’automatisation

Tout d’abord, cette analyse nous apprend que 18 % de la population active au Québec peut être considérée comme faisant partie de la main-d’œuvre vulnérable à l’automatisation, ce qui représenterait quelque 810 000 personnes selon le recensement de 2021. Ces personnes travaillent pour la plupart dans le secteur de la vente et services (graphique 5). Il peut, par exemple, s’agir de caissiers et caissières ou encore de serveurs et serveuses. Sont également à risque des travailleuses et travailleurs du secteur des affaires, finance et administration comme les adjointes et adjoints administratifs ou encore les vérificatrices et vérificateurs comptables.

Cependant, un tout autre constat s’impose lorsqu’on analyse la part, plutôt que le nombre, d’emploi vulnérable par grande catégorie professionnelle. L’exercice nous apprend

notamment que 59 % des gens qui travaillent dans la fabrication et les services d’utilité publique sont les plus menacés par l’automatisation (graphique 6). C’est le cas, par exemple, des manœuvres et des opérateurs et opératrices de machine dont bon nombre de tâches pourraient être éventuellement automatisées.

Phénomène intéressant : les professions vulnérables sont totalement absentes de l’enseignement, des services sociaux et communautaires ou encore des arts et de la culture. Ces professions requièrent souvent des compétences impossibles à entièrement automatiser et dans les rares cas contraires, la reconversion de carrière ne s’avère pas particulièrement difficile selon la méthodologie utilisée dans la présente étude.

Les chercheurs Frey et Osborne ont également observé que dans une même catégorie professionnelle, le risque de vulnérabilité pouvait varier considérablement selon la profession exercée. À titre d’exemple, dans le secteur de la vente et services, certains emplois ont, soit de fortes probabilités d’être automatisés (p. ex. les caissiers et caissières), soit très peu (p. ex. coiffeurs et coiffeuses). À titre comparatif, le risque d’automatisation dans le secteur des affaires, finance et administration serait distribué plus uniformément.

Graphique 5
Main-d'oeuvre vulnérable au Québec par catégorie professionnelle
Source : Statistique Canada, tableau 98-10-0449-01
Graphique 6
Main-d'oeuvre vulnérable au Québec par catégorie professionnelle
Source : Statistique Canada, tableau 98-10-0449-01

Est-ce que le Québec s’en tirera mieux qu’ailleurs ?

La présente étude de l’IDQ nous apprend également qu’en matière de vulnérabilité face à l’automatisation, le Québec affiche exactement la même moyenne que le Canada dans son ensemble (graphique 7).

En fait, la plupart des provinces canadiennes montrent une exposition très similaire au risque d’automatisation des emplois, un constat auquel arrivent par ailleurs les travaux de l’Institut C.D. Howe cités précédemment. Cette ressemblance s’explique par le poids semblable que prennent les principales professions vulnérables dans l’économie de chacune des provinces. En d’autres mots, toutes proportions gardées, il n’y aurait pas beaucoup plus d’adjointes ou d’adjoints administratifs d’une province à l’autre, par exemple. Ce constat est surtout vrai dans les provinces plus populeuses que sont le Québec, l’Alberta, l’Ontario et la Colombie-Britannique.

Graphique 7
Part de la main-d'oeuvre vulnérable dans l'emploi total selon la province et au Canada

Source : Statistique Canada, tableau 98-10-0449-01

Vulnérabilité à l’automatisation selon le groupe démographique

L’analyse révèle une surreprésentation de quelques groupes démographiques dans certaines professions vulnérables. La présente section en brosse le portrait et offre quelques pistes d’analyse.

Femmes

Bien que les femmes représentent 48 % de la main-d’œuvre active au Québec, elles comptent pour 52 % de la main-d’œuvre vulnérable à l’automatisation. Et si bon nombre d’entre elles sont épargnées par ce phénomène, – notamment dans les secteurs de la santé, l’enseignement et les services sociaux comme les services de garde –, elles sont particulièrement affectées et surreprésentées dans certaines professions, notamment les adjointes administratives et les réceptionnistes qui sont exposées à l’automatisation par l’IA.

Hommes

Les hommes sont moins vulnérables que les femmes. Ils composent, quant à eux, 52 % de la main-d’œuvre active au Québec et comptent pour 48 % de la main-d’œuvre vulnérable à l’automatisation.

Cependant, il existe quelques professions vulnérables à l’automatisation dans lesquelles les hommes sont surreprésentés, comme c’est le cas pour les vérificateurs d’usinage et d’outillage, entre autres.

Population immigrante

Alors que la population immigrante représente 26 % de la main-d’œuvre au Québec, elle compte pour 17 % de la main-d’œuvre vulnérable à l’automatisation. L’analyse nous apprend également que les immigrantes et immigrants récents, soit ceux arrivés au pays entre 2011 et 2021, ne sont pas davantage affectés par l’automatisation que ceux établis depuis plus longtemps. Ce groupe populationnel serait toutefois légèrement surreprésenté dans certaines professions plus exposées au risque d’automatisation par la robotisation du secteur de la fabrication, comme les manœuvres ou encore les responsables de la coupe dans le domaine du textile.

Minorités visibles

Les personnes issues des minorités visibles représentent, quant à elles, 15 % de la main-d’œuvre au Québec, et comptent pour 16 % de la population vulnérable. Elles sont, en règle générale, surreprésentées dans les mêmes professions du secteur de la fabrication que les immigrants.

Main-d’œuvre expérimentée

Les travailleuses et travailleurs expérimentés (55 ans et plus) qui représentent 23 % de la main-d’œuvre active au Québec, comptent pour 24 % de la main-d’œuvre vulnérable à l’automatisation. Ces personnes sont notamment surreprésentées dans les professions d’adjointes et adjoints administratifs, et vérificatrices et vérificateurs comptables.

Les pronostics concernant les menaces qu’encoure ce groupe populationnel face à l’adoption de l’IA sont, toutefois, partagés. Certains experts croient que la richesse de leur expérience pourrait les préserver des risques d’automatisation. Du moins pour ceux et celles qui occupent des postes stratégiques qui exigent des compétences que l’IA ne pourrait remplacer. En contrepartie, un sondage réalisé aux États-Unis indique que les employeurs auraient tendance à embaucher de plus jeunes candidats et candidates pour pourvoir des postes soutenus par l’IA : 90 % considéreraient davantage la candidature d’un postulant de moins de 35 ans alors que seulement 32 % confieraient ce poste à quelqu’un de plus de 60 ans. La main-d’œuvre expérimentée pourrait donc ne pas profiter autant de la création d’emploi associée à l’IA que les jeunes.

Jeunes

Bien que les travailleurs et travailleuses de 15 à 24 ans ne représentent que 13 % de la main-d’œuvre active au Québec, ils constituent pourtant 24 % de la main-d’œuvre vulnérable à l’automatisation. Les jeunes sont notamment surreprésentés dans certaines professions comme celles de caissiers et caissières et serveurs et serveuses.

Un risque d’automatisation important pour les jeunes… qui ne poursuivent pas d’études

L’analyse nous apprend également que l’impact de l’automatisation chez les jeunes pourrait n’être que transitoire dans leur vie active. En fait, bon nombre d’entre eux n’occupent des emplois plus à risque d’automatisation qu’au cours de leurs études afin de payer leurs frais de subsistance, ou encore en attendant d’obtenir un emploi davantage lié à leur domaine d’étude et niveau de compétences. Auquel cas, la suppression de tels emplois pourrait n’avoir qu’un effet ponctuel sur leurs revenus.

Cependant, la réalité est tout autre pour les jeunes qui ne sont pas aux études et qui occupent des emplois à haut risque d’automatisation sur une base permanente ou en début de carrière. Selon leur expérience et leurs compétences, certains pourraient être embauchés dans un établissement où le risque d’automatisation est plus faible. Ainsi, de jeunes serveurs et serveuses pourraient opter pour un restaurant où l’intelligence sociale est une compétence davantage recherchée. S’ils ne parvenaient pas à tirer profit de cette compétence, les risques d’automatisation deviendraient toutefois bien réels pour eux. Cette perspective commande donc de mettre en place des politiques de développement des compétences qui rejoignent les jeunes qui ne sont pas aux études.

L’impact de l’IA sur le travail des jeunes pourrait cependant aller bien au-delà de l’automatisation de certains emplois étudiants. Sans être entièrement supprimés, les postes d’entrée habituellement occupés par des jeunes professionnels pourraient bien se faire plus rares. À titre d’exemples, certaines entreprises prévoient déjà ralentir le recrutement d’employés de saisie de données, de rédacteurs publicitaires ou encore d’apprentis designers et développeurs.

Paradoxalement, cette transformation technologique pourrait aussi avantager certains jeunes qui accèdent à ces postes d'entrée. Leurs connaissances sur l’IA, souvent acquises lors de leur formation, pourraient bien leur permettre de se distinguer et de combler plus rapidement leur écart de productivité face aux travailleurs expérimentés.

Un diplôme postsecondaire protège en grande partie contre les risques d’automatisation

Pour les plus de 25 ans, c’est davantage le niveau de scolarité qui déterminera leur degré de vulnérabilité face à l’automatisation, parce que la plupart d’entre eux ont déjà quitté les bancs d’école et font face à des contraintes financières qui rendent difficile le retour aux études parfois nécessaire à une transition de carrière adéquate.

Toutefois, sans surprise, les travailleuses et travailleurs les plus vulnérables sont surtout ceux qui ne détiennent aucun diplôme (graphique 8). À titre d’exemples, ces personnes peuvent occuper des emplois à risque d’automatisation par la robotisation de tâches physiques comme certains manœuvres ou encore par l’intelligence artificielle, comme des emplois de service à la clientèle.

Bien que la vulnérabilité de ces travailleurs tienne en partie à la nature de leur travail, elle est surtout attribuable à leur plus grande difficulté à se replacer rapidement dans un autre emploi moins à risque d’automatisation.

En contrepartie, les détenteurs d’un diplôme collégial ou universitaire sont moins susceptibles que la moyenne québécoise d’occuper un emploi vulnérable.

Graphique 8
Proportion de la main-d'oeuvre vulnérable de plus de 25 ans au Québec selon le plus haut niveau de scolarité

Source : Statistique Canada, tableau 98-10-0449-01

Les personnes qui détiennent un diplôme postsecondaire ne sont pas entièrement à l’abri

Lorsqu’on ne considère que les adultes de 25 ans et plus, l’analyse révèle que les travailleurs et travailleuses les plus vulnérables au Québec ne sont plus tant ceux qui évoluent dans le secteur de la vente et services, mais plutôt dans le secteur des affaires, finance et administration (graphique 9), avec en tête de liste, les adjointes et adjoints administratifs et les vérificateurs et vérificatrices comptables.

Ainsi, bien qu’ils soient détenteurs d’un diplôme d’études professionnelles ou collégiales, les adjointes et adjoints administratifs sont vulnérables à l’automatisation. Même constat pour les vérificateurs et vérificatrices comptables dont le tiers détient un diplôme universitaire. Preuve qu’un diplôme d’études postsecondaires ne met aujourd’hui plus personne entièrement à l’abri des risques d’automatisation.

Surtout, lorsqu'on considère les formes les plus récentes de l'IA générative – capables de créer du contenu original comme du texte, des images ou du code –, l'impact de l'automatisation pourrait alors se faire sentir plus fortement chez les travailleurs plus éduqués.

Toutefois, bien que de nombreuses professions occupées par des titulaires de diplômes postsecondaires soient désormais exposées à l’IA, bon nombre demeurent « complémentaires » à la technologie selon les auteurs d’une étude de Statistique Canada. Ainsi, ces professions nécessitent encore une supervision humaine, notamment en raison de l'importance des décisions prises ou encore des conséquences d’une erreur potentielle. C'est le cas, par exemple, des juges ou des médecins, pour qui l'IA est plus perçue comme un outil d'aide à la décision qu'une menace d’être éventuellement remplacés.

La technologie aurait donc comme impact d’insuffler une plus-value à leur profession plutôt que de la supprimer. Enfin, l’étude de Statistique Canada fait remarquer que ce sont aussi les universitaires qui parviendraient plus facilement à s’ajuster en effectuant une transition vers des emplois à plus faible risque d’automatisation ou à plus grande complémentarité. À titre d’exemple, les traducteurs et traductrices pourraient ainsi miser sur leur expertise en langues pour passer à l’enseignement au niveau secondaire ou collégial, ce qui réduirait leur vulnérabilité face à la technologie.

Graphique 9
Main-d'oeuvre vulnérable au Québec chez les 25 ans et plus par grande catégorie professionnelle

Source : Statistique Canada, tableau 98-10-0449-01

Les employeurs aussi doivent se préparer aux transformations à venir…

Étudier la situation de vulnérabilité par industrie plutôt que par professions a également permis à l’Institut du Québec d’identifier les secteurs d’activité dont les processus sont les plus susceptibles d’être transformés par le déploiement de l’automatisation.

Sous cet angle, l’analyse révèle que l’industrie qui compte le plus grand nombre de travailleuses et travailleurs exposés à l’automatisation au Québec est la fabrication (graphique 10). C’est que plusieurs emplois propres à cette industrie, comme les vérificateurs d’usinage et d’outillage, sont menacés par la robotisation. À ces emplois s’ajoutent d’autres emplois vulnérables qui se retrouvent dans toutes les industries, tels que les adjointes et adjoints administratifs ou les vérificateurs et vérificatrices comptables.

Graphique 10
Secteurs comptant le plus de main-d'oeuvre vulnérable à l'automatisation au Québec

Source : Statistique Canada, recensement du Canada 2021 (compilation spéciale)

L'intelligence artificielle améliorera la productivité du Québec... Sous certaines conditions

Ce qu'il faut retenir

L'intelligence artificielle a le potentiel d’améliorer la productivité du Québec. D’une part, l’IA permet d’accroître la productivité individuelle en assistant les humains dans leurs tâches, comme par exemple, en les aidant à résumer de longs rapports. D’autre part, elle permet aussi d’automatiser certaines tâches et de réallouer les travailleurs vers des tâches à plus forte valeur ajoutée.

Cette hausse de la productivité tomberait à point nommé pour le Québec, qui en a bien besoin pour soutenir sa croissance et réduire les difficultés de recrutement dans plusieurs secteurs.

Cependant, l’IA ne favorisera pas une hausse de la productivité, si elle n’est adoptée que pour remplacer les humains et maintenir ainsi dans l’économie des activités à faible valeur ajoutée. Pis encore, à défaut d’assurer la réorientation de la main-d’œuvre vulnérable, une telle application de l’IA aurait le potentiel de multiplier les perdants.

À la différence du grand public qui a adopté très rapidement certaines applications d’IA, comme ChatGPT, les organisations québécoises risquent de prendre plus de

temps à utiliser l’IA pour transformer leurs processus. Ainsi, seuls 12 % des entreprises québécoises prévoient utiliser l’IA pour produire des biens ou livrer des services dans la prochaine année.

Qu’est-ce que les promesses de productivité ont de si séduisant?

Au Québec, l'automatisation des tâches par l'intelligence artificielle (IA) suscite beaucoup d'intérêt pour son potentiel d'accroître l’efficience des organisations, un enjeu particulièrement crucial dans un contexte de vieillissement démographique, de pénurie de main-d'œuvre et de productivité stagnante. Une hausse de la productivité permettrait aux entreprises de produire davantage avec moins de ressources, contribuant ainsi à améliorer le niveau de vie de la population.

Du côté des travailleurs et travailleuses, les bénéfices de l'automatisation se font déjà sentir. L'IA promet notamment d'alléger certaines tâches répétitives ou plus pénibles à accomplir, comme la recherche documentaire ou encore la saisie de données. Elle peut aussi améliorer les conditions de travail en réduisant le nombre d’erreurs et en permettant aux employés de se concentrer sur des tâches plus gratifiantes qui requièrent jugement et créativité.

Cependant, ces gains de productivité mettront sûrement un certain temps à se refléter dans les données macroéconomiques. Ainsi, comme cela a été le cas pour d'autres innovations technologiques majeures, plusieurs années, voire des décennies, pourront s’écouler avant que les bénéfices de l'IA n’apparaissent de manière significative dans les indicateurs de productivité. Cette hausse recherchée de la productivité pourrait être retardée par des contraintes telles que l'adoption inégale des technologies IA, des bénéfices concentrés dans un nombre restreint de grandes entreprises, et une certaine lenteur à procéder à cette réorganisation nécessaire des processus d'affaires.

Comment l’IA arrivera-t-elle à améliorer la productivité des entreprises et de la main-d’œuvre?

L’intelligence artificielle offre une foule de solutions qui améliorent la productivité des employés dans l’exécution de leurs tâches courantes. À titre d’exemple, en leur permettant de rédiger des courriels ou des rapports plus rapidement avec une qualité améliorée et de s’investir ainsi davantage dans des tâches plus productives.

Une récente étude réalisée par le Conference Board du Canada cite en exemple des expériences inspirantes d’entreprises qui ont recours à des solutions axées sur l’IA pour améliorer leur productivité. Alors qu’une d’entre elles utilise l’intelligence artificielle pour adapter du contenu marketing aux différents réseaux sociaux, une autre mise sur un système conversationnel soutenu par l’IA pour accélérer la recherche d’informations réglementaires.

La Vitrine IA Québec présente aussi une foule d’études de cas faisant état de l’immense potentiel de l’IA sur la productivité. À titre d’exemple, une entreprise québécoise offre un outil pour sélectionner plus effacement des patients dans le cadre d’essais cliniques en lien avec la maladie d’Alzheimer et la cardiologie, ce qui évite certains coûts inutiles aux équipes de recherche. Une autre entreprise, spécialisée dans la prédiction de prix dans le domaine du voyage, – pour des billets d’avion et des chambres d’hôtel, par exemple – mise pour sa part sur l’IA pour améliorer ses modèles de prévisions et ainsi, se démarquer de ses compétiteurs.

En outre, l’IA peut être mise à contribution pour optimiser les processus d’affaires des entreprises. Ainsi, des algorithmes d'apprentissage automatique peuvent désormais analyser de grandes quantités de données afin de rapidement identifier les inefficacités et recommander des améliorations. Dans le secteur de la logistique, l'IA peut, par exemple, servir à optimiser les itinéraires de livraison, réduisant ainsi les coûts et le temps de transport. L’IA favorise également une meilleure prise de décision en fournissant des prévisions précises et en pointant de nouvelles tendances dans les données. Ces avancées permettent notamment aux entreprises en commerce de mieux gérer leurs stocks ou encore à celles en finance de gagner un avantage compétitif sur les marchés financiers.

Les promesses de l’IA en matière de productivité

Bien que l’IA générative ait le potentiel d’accroître le PIB canadien de 2 % selon une récente étude du Conference Board du Canada, il semble aussi que ces prédictions pourraient mettre du temps à se concrétiser. Dans cette veine, un rapport de l’OCDE souligne que les effets de l’IA sur la productivité pourraient tarder à se matérialiser pleinement au niveau macroéconomique, en raison de l’adoption inégale des technologies par les différents secteurs d’activité et par conséquent, de la nécessité de leur accorder des investissements complémentaires pour réorganiser leurs processus d’affaires et former la main-d'œuvre.

De son côté, la Chambre de commerce du Canada souligne que l'IA pourrait contribuer à accroître la productivité du travail de 1 % à 6 % au cours des dix prochaines années, mais redoute que ces bénéfices ne profitent équitablement à toutes les entreprises. Mieux nanties, les plus grandes sociétés pourraient une fois de plus tirer un meilleur avantage de ces améliorations. À défaut d’autant de moyens, les PME pourraient se retrouver à la traîne, confrontées à des difficultés d'accès aux outils et aux compétences nécessaires pour pleinement tirer profit de l'IA.

Deux voies possibles pour le déploiement de l’IA et son impact sur la productivité

Plusieurs conditions restent encore à réunir pour concrétiser les promesses de productivité de l’IA. D’une part, parce que les conséquences de son déploiement demeurent encore incertaines et qu’elles peuvent surtout emprunter deux voies distinctes (graphique 12).

L’IA complémentaire : dans ce premier cas de figure, l’IA crée de nouvelles tâches et activités dans lesquelles les humains interviennent de manière productive. Elle contribue aussi à accroître la productivité de la main-d’œuvre. On peut alors penser à des outils d’IA qui soutiennent les travailleuses et travailleurs en accélérant leur vitesse d’exécution ou encore en améliorant la valeur du service offert.

L’IA de substitution : dans ce second cas de figure, l’IA sert strictement à automatiser des tâches précédemment effectuées par des êtres humains.

Dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, l’IA de substitution peut avoir un impact positif sur la productivité en permettant d’automatiser certaines tâches moins gratifiantes et de réallouer les travailleurs vers des tâches à plus forte valeur ajoutée. Toutefois, certains experts s’inquiètent que l’IA puisse davantage être utilisée pour remplacer les humains. Potentiellement néfastes, les conséquences de ce scénario pourraient engendrer d’importantes – ou de trop rapides – perturbations de l'emploi en n’offrant pas de solution aux personnes affectées de se reformer et de réintégrer une profession plus productive et moins exposée à l’automatisation.

Graphique 12
Voies possibles pour le déploiement de l’IA au Québec

Source : Institut du Québec

Les freins à l’adoption d’une IA améliorant la productivité

Plusieurs entraves peuvent ralentir le déploiement d’une IA qui favoriserait la croissance de la productivité. Le tableau 2 en fournit plusieurs exemples et décrit certaines conditions qui pourraient amener l’IA à substituer les travailleurs et les travailleuses. En somme, c’est surtout l'inertie des entreprises, des cadres réglementaires et des systèmes éducatifs qui pourraient considérablement limiter les bénéfices potentiels de productivité.

Tableau 2
Les freins à l’adoption d’une IA améliorant la productivité

Source : Institut du Québec et FMI, Artificial intelligence – What AI means for economics, disponible ici

L’IA créera aussi forcément de nouveaux emplois

L’intelligence artificielle permet parfois à une entreprise d’accroître son offre de services sans devoir pour autant embaucher plus de personnel. Cette perspective laisse croire à 67 % des entreprises québécoises que l’IA aura une incidence neutre sur l’emploi. Quelque 14 % d’entre elles jugent même que cette technologie contribuera à accroître le nombre d’emplois plutôt qu’à le diminuer (10 %).

Autre avenue à considérer : l’IA améliore aussi les perspectives d’emploi des professionnels qui offrent des services liés à la transformation numérique. Ces nouveaux services soutenus par l’IA requièrent une expertise pointue pour aider les entreprises à tirer pleinement profit de cette technologie. À titre d’exemple, des ingénieurs et des concepteurs spécialisées en développement de logiciels seront désormais sollicités pour créer des applications adaptées et personnalisées aux entreprises qui souhaitent offrir un service à la clientèle automatisé et adapté à leur image de marque. La création d’emplois dans ces domaines hautement productifs pourrait aussi contribuer à accroître la productivité du Québec.

Notons cependant que même dans le domaine des TI, certains emplois en soutien pourraient être partiellement ou entièrement automatisés puisque l’IA permet justement de faciliter les interactions avec les technologies.

Enfin, certains auteurs avancent que les effets de productivité peuvent compenser les effets d’automatisation en matière d’emploi pour limiter les pertes d’emplois potentielles, voire les annuler entièrement. Plus concrètement, en se présentant comme une solution moins coûteuse pour accomplir certaines tâches, les technologies liées à l’IA permettraient aux entreprises d’offrir davantage de services à moindres coûts. Cette augmentation de la production pourrait alors entraîner une demande accrue de personnel pour accomplir des tâches qui ne peuvent encore être automatisées.

Les mécanismes qui limitent la substitution par l'IA

Lorsqu’ils sont sondés sur les risques d’automatisation des emplois par l’IA, les chercheurs universitaires qui s’intéressent au phénomène prévoient qu’ils sont généralement plus faibles que ce qu’appréhende la population en général. Surtout, ils s’attendent à ce que cette automatisation prenne plus de temps à se déployer que ce que croit le public. En pratique, il y a donc fort à parier que ces emplois se remplaceront par attrition, par exemple lorsque les employés qui les occupent prendront leur retraite, et que la technologie IA serve d’abord à pourvoir des postes vacants.

À ce chapitre, le MIT-IBM Watson AI Lab estime que très peu d’emplois seront entièrement remplacés par l’IA parce que bon nombre comportent des tâches que l’IA ne parviendra pas à automatiser. Par ailleurs, les auteurs desquels la présente étude s’est inspirée pour identifier les professions à haut risque d’automatisation ont récemment affirmé que l’automatisation par l’IA fait essentiellement face aux mêmes entraves que celles rencontrées par les précédentes technologies numériques.

Enfin, il est important de comprendre que l'IA automatise surtout des tâches spécifiques et non des emplois dans leur entièreté. L'impact de l'IA sur les emplois n'est donc pas une question de « tout ou rien », ce n'est pas parce qu'un emploi est touché par l'IA qu'il va nécessairement disparaître. En réalité, les nouvelles technologies réduisent progressivement le besoin en personnel pour certaines tâches au sein d'une profession. À titre d’exemple, bien que les caisses automatisées aient déjà remplacé plusieurs caissiers et caissières, les commerces proposent toujours les services d’au moins un intervenant pour résoudre les erreurs de la machine ou encore aider la clientèle à s’approprier les nouvelles façons de faire et faciliter la transition. Ainsi, même si elle permet d’automatiser la grande majorité des tâches de caissiers et caissières, la technologie n’a pas complètement éliminé cette profession. Elle a plutôt déplacé les besoins et appelle au développement d’autres compétences.

Un emploi ne se limite généralement pas à une seule tâche ou compétence, mais regroupe plutôt une variété d’activités différentes. En tenant compte de cette diversité de tâches au sein d'une même profession, des chercheurs ont constaté que l'impact de l'automatisation sur l'emploi serait environ quatre fois moins important que ce qui est généralement pressenti.

De plus, à mesure que l'IA évolue, elle transforme la nature du travail de façon inattendue. Si elle prend en charge de plus en plus de tâches analytiques, elle valorise paradoxalement d'autres compétences. Ainsi, dans le secteur des services, les qualités comme l'intuition et l'empathie deviennent de plus en plus importantes pour les employés.

Accompagner les travailleurs pour garantir des gains de productivité

Pour la grande majorité des travailleurs et travailleuses, les technologies numériques ne parviendront pas à entièrement automatiser leur emploi. Il y a donc fort à parier que la transformation la plus probable qu’entraînera l’IA sera de les aider à mieux accomplir leurs tâches. En d’autres termes, la technologie sert généralement davantage à améliorer la qualité des emplois qu’à les abolir.

Des politiques et des réglementations seront toutefois nécessaires pour orienter le développement d’une l'IA complémentaire, plutôt que de laisser les forces du marché dicter seules une trajectoire incertaine. Les entreprises et les universités auront-elles aussi le pouvoir et le rôle de participer à cette réorientation? Le tableau 3 résume les conditions à réunir par les décideurs pour que l’IA emprunte une voie souhaitable.

Tableau 3
Conditions clés pour voir une IA améliorant la productivité se concrétiser

Sources : Institut du Québec et FMI, Artificial intelligence – What AI means for economics, disponible ici

Certaines entreprises ont déjà fait le saut

Bien qu’au Canada, encore très peu d’entreprises misent sur l’IA pour produire des biens ou fournir des services, le Québec semble vouloir devenir un chef de file en la matière (graphique 11), avec pour précurseurs les secteurs des technologies et des services professionnels. Ainsi, les entreprises québécoises figurent au deuxième rang canadien lorsque questionnées sur leurs intentions d’adopter des applications d’intelligence artificielle au cours de la prochaine année. À ce chapitre, spécifions toutefois que selon une étude de la BDC, bon nombre d’entreprises canadiennes utiliseraient déjà des outils axés sur l’IA, mais sans forcément le savoir. La raison principale faisant obstacle à l’adoption de l’IA dans les entreprises québécoises serait le manque d’identification des besoins opérationnels auxquels l’IA répondrait.

Graphique 11
Entreprises prévoyant utiliser l'IA pour produire des biens ou fournir des services au cours des 12 prochains moins

Source : Statistique Canada, tableau 33-10-0878-01

La grande majorité (73 %) des entreprises canadiennes qui ne prévoient pas utiliser l’IA au cours de la prochaine année croient que cette technologie n’est pas pertinente pour les biens qu’elles produisent ou les services qu’elles offrent. Un résultat qui va, toutefois, à l’encontre de la littérature scientifique ou des prévisions des experts en IA.

Tout porte donc à croire, qu’il reste encore plusieurs pas à franchir avant que les entreprises et les employés canadiens ne soient convaincues du plein potentiel de l’IA sur la hausse de leur productivité. Une conviction qui a, par ailleurs, un lien direct avec le développement des compétences : les deux tiers des entreprises québécoises reconnaissent devoir former leurs employés actuels à l’utilisation de l’IA afin de pouvoir intégrer cette technologie à leur production alors que plus de la moitié disent devoir mettre au point de nouveaux processus de travail.

Pratiques inspirantes en formation en requalification

Ce qu'il faut retenir

Contrairement aux autres technologies qui exigent souvent des connaissances techniques spécifiques, les plus récentes applications d'intelligence artificielle, par leur grande convivialité, en démocratise l’accès. Il suffit désormais d’échanger de vive voix avec un ordinateur pour qu’il exécute nos commandes.

Cette accessibilité ne réduit pas les besoins en formation, mais les réoriente. Ce qui importe désormais, c’est de former des experts pour créer des solutions logicielles d’IA, former les gestionnaires pour intégrer ces solutions dans leur organisation et accompagner les employés et employées plus vulnérables dans le développement de compétences transversales pour assurer leur adaptabilité professionnelle. Parmi les pratiques récemment mises en place au Canada par le Centre des Compétences futures – et dont quelques exemples sont présentés dans le présent rapport –, notons la création d'un centre de mentorat jumelant quelque 5 000 travailleuses et travailleurs de la santé à des experts en technologie afin de favoriser l’intégration de l'IA à leurs projets d'innovation, ou la requalification d’employés vulnérables du commerce de détail vers des postes en vente privilégiant l'interaction client ou encore des formations favorisant l’acquisition de compétences pour des postes en technologie numérique dans les PME.

La formation pour s’assurer de tirer pleinement profit de l’IA et de la résilience de la main-d’œuvre

De nombreuses applications permettent désormais d'interagir naturellement avec l'IA générative par la parole ou le texte, ce qui les rend beaucoup plus accessibles et conviviales que les technologies traditionnelles qui nécessitent plus souvent une expertise technique. Toutefois, cette facilité d'utilisation ne diminue pas pour autant l'importance de la formation, elle en change seulement la nature : il est certes essentiel de former des experts pour créer ces outils, mais l’on doit aussi former les gestionnaires afin d’en maximiser le potentiel sur le plan stratégique, et de favoriser l'adaptabilité professionnelle des employés les plus exposés aux changements.

Une main-d’œuvre formée peut davantage saisir les occasions d’emploi qui évoluent au fil du temps, parce que rehausser son niveau de compétences permet d’être plus résilient face aux transformations du marché du travail, notamment face aux avancées technologiques. La formation initiale a un rôle déterminant à jouer pour s’assurer que les jeunes diplômés détiennent les compétences recherchées par le marché du travail et qu’ils et elles puissent s’adapter si ces compétences venaient à changer.

Bien que les diplômées et diplômés postsecondaires demeurent aussi exposés à l’automatisation, ils sont mieux protégés que les autres. D’une part, la nature de leur travail est souvent plus difficile à être entièrement automatisée et d’autre part, ils sont aussi plus à même d’exercer un autre métier puisqu’ils possèdent davantage de compétences transversales.

Notons également que la main-d’œuvre plus qualifiée a davantage tendance à se former en cours de carrière. Or, c’est justement cette volonté de se requalifier tout au long de la vie active qui lui permet de s’adapter aux changements qui surviennent sur le marché de l’emploi et en contrepartie, aux organisations de mieux tirer profit des technologies et innovations émergentes. Ainsi, non seulement la formation accroît la mobilité de la main-d’œuvre mais elle devient plus que jamais un véritable outil de développement économique.

Favoriser la formation tout au long de la vie active

Le Québec compte un riche écosystème de développement des compétences, avec de nombreux programmes pour le financer et le promouvoir. Ainsi, il existe non seulement plusieurs mesures visant à favoriser la formation et l’accompagnement des personnes sans emploi, mais aussi pour les employeurs, de former leur main-d’œuvre selon leurs priorités. Toutefois, le Québec propose malheureusement peu de mesures pour favoriser et financer la formation de travailleurs qui souhaitent suivre une formation continue autre que celles offertes par leur employeur (graphique 13). Et comme l’automatisation risque d’entraîner la réorientation d’une partie de la main-d’œuvre vers d’autres professions, elle appelle à une plus grande prise en main des travailleurs et travailleuses face au développement de leurs compétences.

Graphique 13
Survol des principaux programmes de développement des compétences offerts au Québec

Source : Institut du Québec

Le Centre des Compétences futures a, pour sa part, soutenu plusieurs initiatives de formation desquelles certains facteurs de succès ont pu être identifiés, notamment pour aider la main-d’œuvre à tirer pleinement profit de l’IA, ou encore à se requalifier lorsqu’elle est confrontée aux risques d’automatisation. Précisons toutefois que bon nombre de ces initiatives n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation formelle parce qu’elles sont toujours en cours.

Pratiques inspirantes pour aider la main-d’œuvre à pleinement tirer profit de l’IA

Exemple 1 : Accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle dans les soins de santé
Portée du projet : ensemble du territoire canadien (1 520 000$)

Le contexte

Les décisions cliniques qui s’appuient sur l’IA se multiplient dans le domaine de la médecine et des soins cliniques tant en dermatologie, radiologie, pathologie qu’en gestion de la santé et du suivi des symptômes. Les bonnes pratiques de l’IA en santé peuvent néanmoins demeurer longtemps incomprises dans certains établissements de santé où les professionnels ont encore peu été formés à l’utilisation efficace et sécuritaire de cette technologie. L’appréhension que ces travailleurs et travailleuses portent à l’égard de la technologie n’est pas seulement liée à son impact sur leur emploi, mais aussi à la qualité des soins offerts aux patients. Pour contourner cet obstacle, il faudra donc d’abord persuader le personnel qu’une panoplie d'outils techniques sera désormais mise à leur disposition pour améliorer le jugement clinique et, en fin de compte, obtenir de meilleurs résultats pour les patients.

L’initiative en bref

Le Centre des compétences futures a récemment financé une formation de mise à niveau pour les travailleurs et travailleuses de la santé. Leur stratégie : miser sur l’hypothèse que les travailleurs qui possèdent des compétences en littératie de l'IA seront plus susceptibles d'adhérer aux changements technologiques, suscitant ainsi une culture d'adoption plus dynamique au sein des établissements. Avec pour finalité que ces changements organisationnels facilitent l'adoption numérique.

Dans sa mise en œuvre, le projet intègre une composante éducative visant à faire évoluer tant la culture professionnelle des travailleurs de la santé que leurs compétences. Pour ce faire, un centre de mentorat et de coaching a été mis en place. Quelque 5 000 travailleuses et travailleurs de la santé partout au pays ont ainsi été jumelés à des experts en technologie pour explorer le potentiel de l'IA dans leurs projets d'innovation en soins de santé et atténuer ainsi leurs appréhensions. Un plan de formation et un parcours de mentorat ont aussi été développés pour chaque jumelage dans le but de rendre les professionnels de la santé autonomes et favoriser la prise en main rapide des transformations initiées par l'IA dans leurs organisations. Ces plans visent notamment à atténuer les incertitudes que les praticiens portent sur la façon dont l'IA peut transformer les professions en santé et améliorer les soins aux patients.

Ce projet comporte également une formation sur l’IA destinée aux dirigeants en soins de santé afin d’en accélérer le déploiement. Cette formation vise à faciliter une transformation organisationnelle harmonieuse qui intègre plusieurs dimensions clés : l'équité, la gouvernance des données, la transparence dans l'utilisation de l'IA, l'accompagnement du changement et l'innovation technologique.

L’évaluation

Le projet est toujours en cours.

Exemple 2 : Renforcer les compétences en camionnage en misant sur les technologies innovantes
Portée du projet : Nouveau-Brunswick (780 000$)

Le contexte

Depuis plusieurs années déjà, le secteur du camionnage fait face à une pénurie de conducteurs. Selon le Centre des Compétences futures, presque 50 % des travailleuses et travailleurs plus âgés et expérimentés de ce secteur détiennent un faible niveau de compétences technologiques et informatiques et résistent à l’adoption des technologies. Certains camionneurs choisissent même de prendre leur retraite plutôt que d’avoir à développer des compétences informatiques ou à se mettre à niveau. Des solutions innovantes sont donc nécessaires pour attirer de nouveaux travailleurs et travailleuses, retenir la main-d'œuvre existante et améliorer la productivité des entreprises de camionnage confrontées à des pénuries de main-d’œuvre persistantes.

L’initiative en bref

Le Centre des Compétences futures a financé un projet pilote qui mise sur la réalité virtuelle pour offrir une formation visant à améliorer les compétences des routiers professionnels expérimentés et en former de nouveaux. Plus spécifiquement, l'objectif premier de ce projet consistait à évaluer l'efficacité d’un simulateur de réalité virtuelle portatif pour améliorer les compétences des conducteurs par le biais d’évaluations routières avant et après la formation. En second plan, le projet visait à explorer l’adoption de cette technologie prometteuse par les entreprises de camionnage.

L’évaluation

La simulation par réalité virtuelle s'est révélée particulièrement efficace pour former les jeunes conducteurs et les nouveaux arrivants qui ont des compétences linguistiques plus limitées : les premiers devenant vite à l'aise avec ce format similaire aux jeux vidéo et les seconds pouvant expérimenter la conduite en territoire canadien sans courir de risques. Les entreprises participantes ont indiqué vouloir continuer à utiliser le simulateur de réalité virtuelle portatif comme outil de formation, reconnaissant son utilité pour évaluer les compétences et développer des formations.

Des problèmes de mal des transports ont toutefois été observés chez les participants, particulièrement chez les conducteurs plus âgés, moins familiers aux environnements immersifs. La pandémie de COVID-19 a aussi fortement perturbé le projet initial, réduisant significativement la taille de l'échantillon et rendant notamment impossible la réalisation d’une étude longitudinale sur le transfert des apprentissages.

Exemple 3 : Des données aux décisions : formation en IA et certification professionnelle
Portée du projet : ensemble du territoire canadien (1 055 000$)

Le contexte

De nombreuses grandes et moyennes entreprises canadiennes envisagent d’investir dans l’IA pour accroître leur productivité, améliorer leur expérience client ou encore réduire leurs coûts d’exploitation. Toutefois, les élans de bon nombre d’entre elles sont freinées par un certain manque de confort et de familiarité envers la technologie.

L’initiative en bref

Pour relever ces défis, le Centre des Compétences futures a créé un partenariat avec l'Université de Montréal et le groupe IVADO afin d’offrir un programme en ligne de courte durée sur l’intégration de l’IA par les organisations. Cette formation s’adresse aux professionnels en milieu de carrière et aux dirigeants.

Le projet comporte quatre volets :

  1. Une autoévaluation pour que les professionnels puissent mesurer leurs compétences en IA, cerner leurs lacunes et déterminer quels sont les besoins de leur organisation pour choisir la gamme de cours à offrir.

  2. Le parcours de formation comporte des cours de base sur les étapes à franchir pour adopter l’IA dans une organisation et d’autres formations spécialisées pour répondre à des besoins plus spécifiques.

  3. Pour chacun des cours, les professionnels peuvent se soumettre à une évaluation. S’ils réussissent, ils obtiendront une certification professionnelle de l’IVADO et de l’Université de Montréal.

  4. Un mécanisme d’analyse sur les leçons apprises par les professionnels et sur la méthode d’évaluation dans son ensemble doit être mis en place afin de valider la pertinence et l’efficacité de ce projet.

L’évaluation

Le projet est toujours en cours.

Exemple 4 : Développement des compétences dans les PME pour une adaptation plus rapide aux changements du marché du travail
Portée du projet : le Québec (100 000$)

Le contexte

Les PME québécoises font face à une importante pénurie de talents et éprouvent des difficultés à évaluer leurs besoins en formation et à accéder aux ressources appropriées. La situation est particulièrement préoccupante au Québec où le niveau de compétences de base est inférieur à la moyenne canadienne, l’investissement des entreprises en formation est parmi les moins élevés au pays et l’adaptation de la main-d'œuvre aux changements du marché du travail est problématique et ce, malgré plusieurs initiatives publiques visant à développer une culture de formation continue en entreprise.

L’initiative en bref

Le Centre des Compétences futures a accordé une subvention de démarrage à la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) afin de déployer une initiative nationale visant à :

  • Identifier les compétences de base requises au niveau régional;

  • Sensibiliser les entreprises à l'importance du développement des compétences;

  • Élaborer des plans de développement des compétences;

  • Collecter des données sur les besoins afin de guider les politiques publiques.

Le projet s'inspire du modèle de formation à double vocation implanté en Europe et sera déployé dans huit régions du Québec par le réseau de la FCCQ.

L’évaluation

Le projet est toujours en cours.

Pratiques inspirantes de formations visant à soutenir la main-d’œuvre confrontée aux risques d’automatisation

Exemple 5 : Requalification du personnel substitué par la technologie dans le commerce de détail
Portée du projet : l’Ontario (280 000$)

Le contexte

Plusieurs emplois sont à risque d’être automatisés dans le commerce de détail alors que la popularité croissante du commerce en ligne ralentit la demande en magasin. Résultat : les travailleuses et travailleurs de ce secteur n’ont pas toujours d'options claires pour effectuer une transition vers un métier moins à risque d’automatisation sans devoir amorcer une nouvelle formation qui pourrait s’échelonner sur plusieurs années.

L’initiative en bref

Le Centre des Compétences futures a financé un projet destiné à développer un programme de formation des compétences à deux volets pour les travailleuses et travailleurs du commerce de détail :

  1. La requalification vers des postes en vente qui privilégie un échange en personne avec les clients;

  2. L’acquisition de compétences pour occuper des postes dans des PME du secteur des technologies et du numérique, notamment celles qui évoluent dans le commerce en ligne.

Le projet a permis de créer des modèles de formation adaptés aux besoins des employés du commerce de détail. Ces formations offrent aux participants la possibilité d'apprendre tout en étant rémunérés sur leur lieu de travail. L'analyse des meilleures pratiques internationales et la collaboration étroite avec des partenaires du secteur, comme le Conseil canadien du commerce de détail, ont permis d'identifier les éléments essentiels pour garantir la réussite de ces formations.

L’évaluation

Le projet a généré 108 concepts à intégrer aux programmes de formation élaborés grâce à la collaboration de 18 contributeurs provenant de 13 organisations différentes. En raison des contraintes budgétaires et temporelles, il n'y a pas eu d'appel à participation ouvert, limitant potentiellement la diversité des perspectives. Les données et recherches initiales étant limitées, le projet a pivoté vers une programmation d'intervention à court terme, plutôt qu'une programmation d'impact à plus long terme avec des données primaires plus complètes.

Exemple 6 : Faire face au défi de la transformation numérique dans le secteur des assurances : femmes au travail
Portée du projet : le Québec (1 010 000$)

Le contexte

Les postes exigeant un bas niveau de scolarité – principalement occupés par des femmes –, sont particulièrement affectés par l’automatisation des tâches et la restructuration des emplois qu’entraînent l’adoption de nouvelles technologies numériques comme l’IA. Parmi les emplois les plus susceptibles d’être touchés par cette transformation numérique, notons : les techniciennes en assurance, les représentantes du service à la clientèle, les adjointes administratives, les représentantes du personnel et les techniciennes comptables. Bon nombre de ces postes se trouvent dans le secteur de l’assurance et sont en très forte concentration dans la région de Chaudière-Appalaches.

L’initiative en bref

Dans ce contexte, un consortium de chercheurs de l’Université Laval et leurs partenaires ont lancé un projet visant à analyser les besoins en matière de développement des compétences pour ces travailleuses, leurs organisations et le secteur de l’assurance, afin de diagnostiquer les changements actuels et éventuels dans cette industrie, créer des voies de formation et offrir un soutien de carrière aux travailleuses qui risquent d’être confrontées à des emplois à risque d’automatisation.

L’étude a donc pour but de :

  1. Évaluer la nature et l’étendue de la transformation numérique pour des postes occupés par des femmes et se retrouvant dans des catégories socioprofessionnelles à risque d’automatisation, et identifier les besoins des travailleuses ainsi que des employeurs;

  2. Développer des approches novatrices de gestion des compétences, de formation et de soutien, et des modèles de recyclage professionnel, de perfectionnement des compétences et de réorientation de carrière pour ces travailleuses;

  3. Évaluer l’efficacité de ces modèles de formation et de soutien, du point de vue des travailleuses et de leur employeur, dans une perspective d’amélioration continue.

L’évaluation

Le projet est toujours en cours.

Annexe

Afin d’évaluer la probabilité d'automatisation des emplois, les chercheurs Frey et Osborne (2013), qui ont élaboré la méthodologie sur laquelle repose la présente étude, ont d’abord examiné attentivement 70 professions, avec l'aide d'experts en apprentissage automatique. Pour chacune d’entre elles, ils ont posé une question fondamentale : considérant le possible accès aux mégadonnées, est-ce que les tâches de cette profession peuvent être suffisamment définies pour être accomplies par des machines ? Cette première évaluation a permis de produire une classification : soit la profession est automatisable dans un avenir prévisible, soit elle ne l’est pas.

Dans un second temps, les chercheurs ont utilisé la base de données ONET du U.S. Department of Labor pour déterminer à quel degré ces professions sollicitent différentes compétences. Cette base initiale a ensuite servi à entraîner un algorithme de classification probabiliste (Gaussian Process Classifier). Cet algorithme utilise neuf variables clés de la base de données ONET, qui mesurent trois types de compétences considérées comme des obstacles potentiels à l'automatisation : la perception et la manipulation, l'intelligence créative, et l'intelligence sociale. En s'appuyant sur les tendances identifiées dans les 70 professions annotées par les experts en apprentissage automatique, l'algorithme a appris à reconnaître les caractéristiques qui rendent un emploi plus ou moins automatisable. En étendant leur base de données à un total de 702 professions, l’algorithme est parvenu à estimer la probabilité qu’un emploi soit automatisé dans un avenir prévisible.

Dans la présente étude, l’Institut du Québec ne s’est intéressé qu’aux professions qui présentent une probabilité de plus de 70 % d’être automatisées selon la méthodologie développée par Frey et Osborne, une approche abondamment réutilisée à l’échelle internationale depuis. Notamment par l’OCDE dont les travaux ont également inspirés la présente étude. Pour aller plus loin, les chercheurs de l’OCDE se sont demandé, parmi les professions ayant de fortes chances d’être automatisées, lesquelles offrent peu d’opportunité aux travailleurs et travailleuses touchées de se rediriger, dans une transition dite « acceptable », vers un autre emploi.

Plus spécifiquement, pour qu’un changement de carrière soit considéré comme acceptable par l’OCDE, il doit demander :

  1. Tout au plus six mois de formation avant de pouvoir occuper un travail qui n’est pas à haut risque d’être automatisé;

  2. Une augmentation modeste des compétences en littératie et en numératie;

  3. Des similarités dans les compétences exigées (compétences en technologie ou compétences en gestion et en communication, par exemple).

  4. Au moins un domaine d’étude courant en commun avec l’emploi actuel.

  5. Une réduction du salaire inférieure à 10 %.

  6. Une surqualification limitée en matière de compétences en littératie et en numératie.

Les auteurs ont ainsi pu identifier 27 sous-groupes de professions vulnérables à l’automatisation dans la classification professionnelle internationale ISCO 2008. Le niveau de définition de ces professions est bien plus large que ce que permet d’analyser la Classification nationale des professions (CNP 2021) de Statistique Canada en utilisant les données du Recensement de 2021. Afin de pleinement tirer profit de la richesse de ces données, l’Institut du Québec a ensuite traduit ces professions vulnérables identifiées par l’OCDE en groupes de base des professions au sens du CNP 2021. Ainsi, 96 groupes de base des professions vulnérables à l’automatisation pour le Québec ont pu être identifiés. Cette identification des professions vulnérables a, par la suite, été corroborée par des travaux menés par le Conference Board du Canada qui utilisent la classification CNP 2011 désormais échue, mais similaire.

Pour analyser les groupes démographiques les plus vulnérables à l’automatisation au Québec, l’Institut du Québec a croisé les données d’emploi par profession aux caractéristiques de la population active en utilisant les données publiques du Recensement de 2021. Enfin, pour brosser le portrait de l’emploi vulnérable par industrie puisqu’aucune donnée publique ne permet de faire cette analyse avec un tel degré de précision dans la définition des professions, les auteurs ont eu recours à une compilation spéciale des données du recensement.

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Conclusion

Environ 18 % de la main-d'œuvre québécoise, soit quelque 810 000 personnes, occupe ou recherche actuellement des emplois vulnérables à l'automatisation engendrée par l’intégration de technologies numériques comme l’IA. Autrement dit, ces personnes occupent des postes à haut risque d'automatisation sans possibilité de reconversion professionnelle rapide. Les impacts diffèrent grandement selon les industries, les professions et les groupes démographiques. En particulier, les jeunes de 15 à 24 ans et les travailleuses et travailleurs sans diplôme sont les plus à risque. De plus, le secteur de la fabrication compte le plus grand nombre de personnes vulnérables.

Précisons toutefois que l'automatisation prendra un certain temps à se déployer à l’échelle de tous les secteurs d’activité et organisations. Selon les prévisions de plusieurs experts, cette substitution de l’humain par la machine s’effectuera souvent par attrition, – soit lors de départs à la retraite, par exemple – et pourra d'abord contribuer à pourvoir des postes souvent vacants dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre.

Précisons également que le déploiement de l’IA peut prendre deux voies distinctes. Tout d’abord, l’IA complémentaire qui contribue à accroître la productivité de la main-d’œuvre en améliorant la qualité de leurs services ou en leur permettant de les livrer plus rapidement. Puis, l’IA de substitution que l’on adopte pour remplacer une main-d’œuvre qui effectuait ces tâches jusqu’alors. Si cette approche peut pallier certaines pénuries de main-d’œuvre, elle exige aussi une réflexion sur le plan sociétal. Notamment, pour offrir de nouvelles avenues aux travailleuses et travailleurs affectés par ces transformations majeures et favoriser le rehaussement de leurs compétences afin qu’ils et elles puissent accomplir des tâches plus productives.

Cette transition appelle à des actions concertées et stratégiques. Voici trois grands axes de recommandations pour maximiser les bénéfices de l’IA tout en minimisant ses impacts négatifs.

Pour s’assurer que l'IA contribue à accroître la productivité du Québec, les organisations devraient :

  • Accélérer leurs investissements dans les technologies numériques et l'IA, notamment pour pallier les pénuries de main-d’œuvre grâce à l’automatisation de certaines tâches et à la réallocation des employés vers des tâches plus gratifiantes et à plus forte valeur ajoutée;

  • Mettre en place une veille technologique structurée permettant d’anticiper les changements pour chaque secteur d’activité et leurs impacts sur les métiers;

  • Développer des programmes d'accompagnement au changement afin de faciliter l'adoption des nouvelles technologies par les employés;

  • Favoriser une culture d'apprentissage continu et d'innovation.

Pour renforcer la résilience des travailleuses et des travailleurs, les gouvernements et leurs partenaires du domaine de l’éducation et de la formation devraient :

  • Réfléchir autrement aux mesures d’aide à la formation afin de mieux prendre en compte les besoins de requalification des personnes à l’emploi (et non pas uniquement au chômage);

  • Développer une offre de formation continue agile et accessible, notamment pour les travailleurs et travailleuses en emploi;

  • Expérimenter de nouvelles approches pédagogiques qui combinent, à la fois, formation en situation de travail et développement des compétences transversales;

  • Mettre en place des mécanismes de reconnaissance des acquis pour faciliter les transitions professionnelles.

Pour mieux anticiper les besoins à venir, il faudrait intégrer systématiquement l'impact des nouvelles technologies dans les prévisions des besoins en main-d'œuvre, lesquelles servent notamment à planifier l'offre de formation professionnelle et collégiale et les politiques d'immigration.