Rapport
Pourra-t-on réduire l’immigration temporaire ?
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Communiqué de presse
Un choc majeur qui a forcé les gouvernements à faire marche arrière
- D’un phénomène marginal, l’immigration temporaire est devenue le principal moteur de croissance de la population québécoise.
- Cette explosion est principalement due à des politiques gouvernementales qui ont assoupli les critères d’admission pour les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires, et qui n’ont pas endigué la hausse des demandeurs d’asile. La somme de ces mesures, prises sans vision d’ensemble, a mené à une situation que les gouvernements tentent actuellement de corriger.
- Les gouvernements fédéral et québécois ont annoncé leur intention de réduire le nombre d’immigrants temporaires et se sont donné des cibles. Pour Ottawa, ramener leur proportion à 5 % de la population d’ici 2027 et pour Québec, réduire de 50 % les permis émis par le gouvernement fédéral.
Pourquoi une réduction de l’immigration temporaire est-elle nécessaire ?
- Un ralentissement de l’immigration temporaire est nécessaire, tout d’abord parce que la hausse observée au cours des dernières années était exceptionnelle et a entraîné un « boom » démographique hors norme au Québec (2 %) et au Canada (2,9 %) en 2023, des taux de croissance de la population habituellement enregistrés dans les pays en développement.
- L’afflux important d’immigrants temporaires a conduit à une expansion rapide de la population active, qui a surpassé le rythme de création d’emplois. Ce sont les immigrants eux-mêmes, tant permanents que temporaires, qui en ont payé le prix. Ainsi, au Québec, le taux de chômage des personnes natives du Canada a très peu augmenté au cours de la dernière année pour atteindre un très faible 4,6 %, tandis que celui des immigrants permanents récents (11 %) et temporaires (12,5 %) s’est considérablement accru.
- Si historiquement, l’immigration permanente économique a contribué à la création de richesse au Québec, il n’est pas clair qu’un tel impact se reproduise avec l’immigration temporaire. Cette incertitude s’explique par la courte durée de leur séjour et le fait qu’une partie significative de ces immigrants n’ont pas été sélectionnés pour des motifs économiques, mais plutôt humanitaires. Enfin, la hausse de l’immigration temporaire a coïncidé avec un ralentissement économique, ce qui complexifie l’intégration au marché de l’emploi pour bon nombre d’entre eux.
- Plusieurs secteurs économiques dépendent aujourd’hui fortement de la main-d’œuvre immigrante temporaire pour maintenir leurs opérations. Cependant, le recours accru à l’immigration temporaire pour combler des postes difficiles à pourvoir à même les effectifs locaux pourrait freiner l’innovation et la productivité à long terme. Cette pratique risque de maintenir des activités à faible valeur ajoutée et de diviser le marché du travail entre « emplois de qualité pour les locaux » et « emplois moins attractifs pour les travailleurs temporaires ».
À qui la faute ?
- Contrairement à une idée répandue, au Québec, ce ne sont pas les demandes d’asile qui ont connu la plus forte hausse au cours des dernières années, mais les permis de
travail. Ces derniers ont contribué à la moitié de la croissance de l’immigration temporaire entre 2021 et 2024.
- Or, si la responsabilité des gouvernements est facile à établir pour ce qui en est des demandeurs d’asile (fédéral) et des étudiants étrangers (Québec), elle l’est beaucoup moins pour les permis de travail.
- Le gouvernement du Québec est responsable de l’ensemble des immigrants temporaires reçus dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), tout en exerçant une influence indirecte, mais significative sur le nombre de permis liés au Programme de mobilité internationale (PMI). Ce dernier inclut notamment le permis de travail postdiplôme, octroyé aux étudiants préalablement sélectionnés par Québec.
- La responsabilité semble donc être réellement partagée près de moitié moitié entre le fédéral et le provincial. Et si on veut attribuer la forte hausse des permis de travail à une certaine perte de contrôle, cette perte de contrôle relèverait plutôt des deux gouvernements.
Des cibles de réduction difficiles à atteindre
- Atteindre les objectifs de réduction fixés par les gouvernements fédéral et provincial nécessitera des ajustements importants. Par exemple, pour atteindre la cible fédérale de 5 % de la population, il faudrait faire passer au Québec le nombre de nouveaux permis émis de 269 000 en 2024 à 91 000 en 2027, soit trois fois moins.
- Ces objectifs sont d’autant plus ambitieux que le ralentissement économique observé au cours des années 2023 et 2024 n’a pas infléchi la croissance de l’immigration temporaire. Ainsi, le nombre de travailleurs recrutés à l’international, en 2024, par le biais du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) pour combler des postes vacants suit une trajectoire similaire à celle de 2023, et reste nettement supérieur aux années précédentes.
- L’atteinte de ces cibles provoquera une stagnation de la population au Québec, ce qui plombera la croissance économique des trois prochaines années.
Quels que soient les programmes d’immigration temporaire qui seront touchés, il y aura un prix à payer
- La réduction du nombre d’immigrants temporaires aura des conséquences directes chez les employeurs qui comptent sur ces travailleurs pour maintenir leurs opérations, les institutions d’enseignement qui misent sur cette clientèle pour accroître leurs revenus et conserver leurs programmes, les régions qui profitent de leur arrivée pour contrer le déclin démographique ou encore les citoyens eux-mêmes, qui bénéficient de leur présence en tant que consommateurs ou bénéficiaires de services publics ou de biens.
- Le dossier qui divise le plus Québec et Ottawa sur la réduction de l’immigration temporaire est celui des demandeurs d’asile. Cependant, avec des demandes qui prennent des années à être traitées, cette catégorie s’apparente davantage à une forme d’immigration permanente. Il serait donc difficile, voire problématique, de déplacer des personnes dans les faits déjà installées ici.
- Le resserrement du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) par Ottawa et Québec – qui vise à le ramener à sa vocation initiale de solution de dernier recours – est la voie à privilégier, bien que cette catégorie ne représente qu’une faible part des immigrants temporaires. Cependant, resserrer le programme avec des mesures ponctuelles risque de nécessiter de nouvelles interventions dans le futur. Il faudrait donc plutôt réhabiliter les processus reposant sur les études d’impact sur le marché du travail.
- Enfin, une véritable collaboration sera nécessaire entre Québec et Ottawa pour diminuer le nombre de permis octroyés par le Programme de mobilité internationale
(PMI), en raison des nombreuses interactions avec les autres programmes d’immigration temporaire et entre les deux gouvernements pour la délivrance de ces
permis.
Emna Braham,
Simon Savard,
Alain Dubuc