Environnement
RAPPORT
66 min

La Loi sur la réduction de linflation des États-Unis

Des impacts pour l’économie verte du Québec

Rapport
9 mars 2023

En bref

Selon les études économiques et politiques que nous avons consultées, l’IRA pourrait changer le contexte concurrentiel dans les secteurs de l’énergie renouvelable, des véhicules électriques et des batteries et ainsi, nécessiter un changement de positionnement du Québec. En stimulant la demande et en privilégiant les partenaires commerciaux nord-américains, l’IRA pourrait également créer des opportunités d’affaires pour les entreprises québécoises, notamment dans le secteur des minéraux critiques.

40Md
Avec des investissements de près de 40 milliards de dollars par année dans l’économie verte d’ici 2032, l’Inflation Reduction Act (IRA) adopté en août 2021 aux États-Unis pourrait avoir un impact sur l’économie québécois.

À la lumière de cette analyse, un constat s’impose : le gouvernement du Québec aura tout intérêt à revoir ses programmes et ses politiques afin d’investir le plus judicieusement et stratégiquement possible dans ce contexte de changement. Certaines options pourraient être moins rentables qu’anticipées alors que de nouvelles opportunités se profilent déjà à l’horizon.

Introduction

En avril 2021, le président des États-Unis nouvellement élu, Joe Biden, convoquait 40 chefs d’État à un sommet sur les enjeux climatiques1. Cet événement devait marquer la volonté du pays de réintégrer l’Accord de Paris de 2015, afin de relever le défi climatique du XXIe siècle. Le geste le plus significatif de l’administration Biden à cette occasion fut d’émettre de nouvelles contributions nationales (Nationally Determined Contributions—NDC) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui se sont traduites par une volonté de réduire de 50-52 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au niveau de 2005. Il était alors évident que des choix de politiques publiques en découleraient.

Dans les 12 derniers mois, un ensemble de lois ont ainsi été adoptées par nos voisins du Sud. Selon plusieurs, celles-ci reflètent non seulement le nouvel engagement climatique des États-Unis, mais redéfinissent fondamentalement la politique industrielle du pays. Trois lois, toutes adoptées dans la brève période de novembre 2021 à août 2022, véhiculent cette nouvelle vision mise de l’avant par l’administration Biden, soit :

  • La Loi sur les emplois et l’investissement en infrastructure (Infrastructure Investment and Jobs Act – IIJA);

  • La loi CHIPS de 2022 (CHIPS and Science Act of 2022 – CHIPS);

  • La Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act –IRA).

Ces trois lois interagissent sur plusieurs plans pour former, en fin de compte, une stratégie d’intervention massive des États-Unis à l’égard des infrastructures, des progrès et du rapatriement technologiques ainsi que des enjeux climatiques.

Les États-Unis étant le premier partenaire commercial du Québec, il est légitime de prévoir que ces lois et politiques entraîneront des répercussions importantes sur l’économie québécoise. L’objectif de cette note d’analyse consiste donc à anticiper les conséquences de l’IRA, et surtout, les risques et les opportunités qu’elle pose pour ce qu’il est convenu d’appeler l’économie verte du Québec2. Pour y arriver, nous effectuons une revue des analyses économiques et politiques réalisées à ce jour au sujet de l’IRA, et nous en synthétisons les risques et les opportunités pour les chaînes de valeur touchées au Québec.

Ce document présente ensuite le cadre d’analyse utilisé, puis le contexte dans lequel les risques et les opportunités pourraient se manifester (sections 2 à 4). C’est à la section 5 que l’on aborde davantage ces derniers, en discutant particulièrement du marché des énergies renouvelables, des minéraux critiques et stratégiques, de la filière batterie et des véhicules électriques ainsi que des défis liés à la main-d’œuvre. Enfin, la conclusion synthétise l’ensemble des constats et des réflexions de cette note.

1 Leaders Summit on Climate, disponible ici.
2 Définition retenue de l’économie verte : « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources ». Sources : Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (disponible ici) et Institut de la statistique du Québec (disponible ici).

Cadre d'analyse

Une question d’offre et de demande

Le cadre d’analyse retenu s’inspire des principes de base de l’économie. Dans cette perspective, les politiques publiques concernant la transition énergétique pour faire face aux changements climatiques interviennent à la fois sur l’offre et la demande. Du côté de l’offre, on peut retenir les interventions des gouvernements pour inciter les entreprises à participer pleinement et de façon concurrentielle aux changements requis par la transition. Les interventions à ce titre relèvent parfois autant de la politique industrielle que de la politique climatique ou environnementale. Du côté de la demande, les interventions ciblent plutôt le soutien aux consommateurs afin qu’ils réussissent à opérer les changements souhaités dans leurs modes et leurs choix de consommation.

Toutes les politiques relatives à la transition agissent à la fois sur l’offre et la demande. Or, notre cadre d’analyse se concentre principalement sur les impacts concernant l’offre, soit les entreprises et la production. Dans le cas de l’IRA, il est clair que par cette loi, le gouvernement des États-Unis cherche à saisir et à maximiser la valeur ajoutée liée à la transition énergétique, et ainsi à accorder des avantages aux entreprises établies ou qui s’établiront en sol américain. Dans ce contexte, les avantages comparatifs des juridictions concernées et la compétitivité des entreprises provenant de celles-ci sont des facteurs déterminants de l’analyse.

Au cours des dernières années, le gouvernement du Québec a mis en place un ensemble de politiques publiques qui, pour faire face aux défis climatiques et à la transition énergétique, prévoient un soutien aux entreprises. L’encadré 1 donne un aperçu des politiques publiques en regard desquelles nous analysons l’avènement de l’IRA.

Encadré 1. Les politiques publiques du Québec particulièrement concernées par les interventions de l’IRA

Plan pour une économie verte 2030 (PEV). Le PEV constitue la politique-cadre de lutte et d’adaptation aux changements climatiques. Il vise une réduction des émissions de GES de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990, et mise fortement sur l’électrification des transports pour atteindre ce but.

Stratégie québécoise de développement de la filière batterie. Cette stratégie gouvernementale repose principalement sur trois actions prioritaires : 1) exploiter et transformer les minéraux pour fabriquer des composantes de batterie; 2) produire des véhicules commerciaux électriques; 3) développer le recyclage des batteries grâce aux technologies québécoises d’avant-garde.

Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques (PQVMCS). Dans le contexte d’une demande mondiale en forte croissance pour les minéraux critiques et stratégiques (MCS) au cours des années à venir, ce plan vise à positionner le Québec en favorisant l’exploration, la mise en valeur et l’exploitation des MCS, ainsi que leur recyclage et leur utilisation optimale.

Plan d’action pour la relance des exportations. Articulé autour de 10 actions clés, ce plan a pour principal objectif de hausser la valeur des exportations québécoises à 50 % du PIB3. Parmi plusieurs secteurs ciblés comme prioritaires, celui des technologies propres mérite une attention particulière.

Des façons différentes de financer les politiques de transition

Il faut préciser et garder à l’esprit que les approches d’intervention de l’IRA et celles du Québec sont fort différentes. Alors que les interventions prévues à l’IRA sont financées par des mesures budgétaires qui ne sont pas associées précisément à la transition énergétique et climatique (voir la section 3), celles du Plan pour une économie verte 2030 (PEV) reposent essentiellement sur les revenus générés par les transactions du marché du carbone au Québec (c.-à-d. la tarification du carbone issue du Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre).

3 À titre informatif, les exportations du Québec (178,2 G$) représentaient 43 % de son PIB réel (411,0 G$) en 2021. Afin d’atteindre 50 % du PIB réel, elles auraient dû atteindre 205,5 G$, soit 27,3 G$ de plus que le niveau de 2021.

Présentation générale de la Loi sur la réduction de l’inflation des États-Unis

À titre de loi intervenant dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, l’IRA a été accueillie favorablement par la communauté internationale sur cet aspect. Au préalable, les États-Unis avaient créé un réel enthousiasme en communiquant de nouvelles contributions nationales ambitieuses à la CCNUCC. L’avènement de l’IRA, 18 mois plus tard, l’a ravivé même si son impact sur la réduction des émissions de GES, à environ 40 % par rapport au niveau de 20054, n’atteint pas les contributions nationales annoncées précédemment (50-52 % par rapport aux émissions de 2005). Néanmoins, l’IRA représente l’engagement climatique le plus ferme de toute l’histoire des États-Unis, alors que ce pays se classe au deuxième rang de tous les émetteurs de GES au monde. Les investissements et les dépenses budgétaires qui y sont rattachés en témoignent d’eux-mêmes.

Cela dit, un grand nombre d’observateurs et d’analystes considèrent l’IRA autant, voire davantage comme une politique industrielle qu’une politique environnementale ou de transition énergétique. À cet effet, gardons à l’esprit qu’il s’agit, en somme, de la version allégée du projet de loi Build Back Better, la première tentative législative de l’administration Biden5. Celle-ci prévoyait initialement des investissements d’environ 800 G$ US, alors que l’IRA est assortie d’une enveloppe de 500 G$ US échelonnée sur 10 ans6. Cette nouvelle loi constitue tout de même le plus gros investissement dans la lutte contre les changements climatiques de l’histoire des États-Unis, ce thème accaparant près de 400 G$ US des 500 G$ US injectés.

Par ailleurs, le passage vers l’IRA a entraîné une conséquence majeure pour les partenaires de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM)7. En effet, alors que plusieurs dispositions d’origine réservaient l’exclusivité de l’approvisionnement à des entreprises sises aux États-Unis, l’IRA a élargi la portée à l’Amérique du Nord dans plusieurs cas.

Les principaux éléments qui composent l’IRA sont présentés dans les deux figures qui suivent. Tout d’abord, la figure 1 illustre la portée générale de l’IRA, à partir de ses principales composantes. Son financement sera assuré par cinq interventions principales :

  • La réforme des prix des médicaments sur ordonnance;

  • L’impôt minimum aux sociétés;

  • Le renforcement des capacités de perception de l’Internal Revenue Service;

  • La taxe sur le rachat d’actions par les sociétés ouvertes;

  • Certaines mesures d’écofiscalité, comme la tarification des émissions de méthane8.

En contrepartie, les dépenses et les investissements sont regroupés essentiellement dans deux grands thèmes, soit l’élargissement de l’accès aux soins de santé et le soutien financier à la transition énergétique pour atteindre les nouveaux engagements climatiques des États-Unis.

Figure 1
Les grands paramètres de la Loi sur la réduction de l’inflation (IRA) aux États-Unis (G$ US)
SOURCE: McKinsey & Cie. Adapté par l’IDQ.

La figure 2 permet de décomposer les dépenses et les investissements relatifs à l’énergie et au climat, soit l’équivalent de la zone chiffrée à 392 G$ US dans la figure 19. Elle nous apprend que les mesures fiscales, notamment les crédits d’impôt, représentent près des deux tiers de l’intervention gouvernementale, l’autre tiers se distribuant entre les subventions et les prêts qui seront gérés et octroyés par différents ministères et agences.

Par un mode d’intervention axé principalement sur les mesures fiscales, le gouvernement des États-Unis soutient davantage des technologies et des pratiques que des entreprises.

4 Rhodium Group, 2022, A Turning Point for US Climate Progress: Assessing the Climate and Clean Energy Provisions in the Inflation Reduction Act, disponible ici; REPEAT Project, 2022, Electricity Transmission is Key to Unlock the Full Potential of the Inflation Reduction Act, disponible ici.
5 Congressional Research Service, 2022, Tax Provisions in the Inflation Reduction Act of 2022 (H.R. 5376), disponible ici; Institut C.D Howe, 2022, Inflation Reduction Act of 2022—An Improvement on Build Back Better?, disponible ici.
6 Maison Blanche, 2022, BY THE NUMBERS: The Inflation Reduction Act, disponible ici.
7 L’ACEUM est entré en vigueur le 1er juillet 2020, en remplacement de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).
8 Cette tarification s’appliquera aux entités qui ne satisferont pas certaines normes d’émission, à hauteur de 900 $ US/tonne de méthane à partir de 2026 jusqu’à 1 500 $ US/tonne à partir de 2028.
9 Plusieurs valeurs ont circulé relativement à la composante Climat et énergie de l’IRA, mais le chiffre le plus souvent utilisé s’élève à 370 G$ US sur une période de 10 ans. Toutefois, différentes organisations ont effectué leurs propres évaluations qui les ont menées à des valeurs différentes en raison de certaines caractéristiques de l’IRA (retrait du plafonnement de certaines mesures, par exemple). Quoiqu’il en soit, l’estimation se chiffre toujours entre 370 et 400 G$ US sur 10 ans.

Figure 2
Décomposition de l’intervention Climat et énergie de la Loi sur la réduction de l’inflation (G$ US)
SOURCE : BlackRock, Adapté par l’IDQ

Afin de bien faire comprendre la portée de l’IRA, il est aussi nécessaire de mettre en parallèle ses niveaux d’intervention avec ceux du Plan pour une économie verte 2030 (PEV). À ce titre, les leviers financiers de l’IRA et du PEV sont fort différents. L’IRA est surtout financée par des mesures budgétaires qui ne sont pas associées spécifiquement à la transition énergétique et climatique, alors que c’est l’inverse pour le PEV, dont le financement relève majoritairement des revenus générés par le marché du carbone.

Cela dit, on remarque que les investissements totaux annuels moyens de l’IRA représentent 0,59 % du budget du gouvernement fédéral américain, tandis que ceux du PEV représentent 0,92 % du budget québécois (tableau 1). Le rapport reste semblable quand les deux politiques sont mises en parallèle avec la taille de leur économie respective. Par conséquent, force est de constater que bien que les deux politiques ne soient pas parfaitement comparables, les investissements publics du PEV et ceux de l’IRA sont du même ordre de grandeur, toute proportion gardée.

Tableau 1
Plan pour une économie verte 2030 et Inflation Reduction Act
(a) Institut de la statistique du Québec. 2022. Comptes économiques du Québec – 2e trimestre 2022. (b) U.S. Bureau of Economic Analysis, Gross Domestic Product [GDPA], publié par la Réserve fédérale de Saint-Louis, disponible ici. (c) Dépenses budgétaires 2022-2023. (d) U.S. Fiscal Data. U.S. Department of the Treasury, disponible ici.

Enfin, l’IRA met surtout l’accent sur des mesures d’encouragement, par les investissements publics, plutôt que sur des mesures de contrôle (comme la réglementation). Outre la mesure d’écofiscalité prévue par la tarification des émissions de méthane, la Loi permet surtout de déployer une vaste panoplie de mesures fiscales axées sur des crédits d’impôt. Sans les décrire toutes de façon exhaustive, l’annexe présente les plus pertinentes dans le cadre de cette analyse.

Piste de réflexion 1

Les politiques outre-frontière comme l’IRA aux États-Unis, à l’instar d’autres ailleurs dans le monde, jouent un rôle prépondérant dans le contexte de la transition énergétique. Il serait donc à propos que les ministères directement concernés au sein du gouvernement du Québec communiquent largement de quelle façon ce dernier compte intégrer ces politiques dans sa planification économique, énergétique et environnementale.

Considérations de commerce international et géopolitiques

Notre examen de l’IRA n’a pas pour principal objectif d’analyser en profondeur les enjeux de commerce international et géopolitiques. Toutefois, il est impératif de les examiner au moins sommairement, car ils risquent d’avoir un impact considérable sur l’économie québécoise.

Des réactions mitigées face à l’initiative des États-Unis

Comme mentionné précédemment, la communauté internationale a réservé un accueil favorable à l’engagement des États-Unis envers la lutte contre les changements climatiques. Elle est cependant beaucoup moins enthousiaste à l’égard des velléités protectionnistes de l’IRA, bien qu’elle soit généralement moins protectionniste que la tentative législative précédente. Les difficultés politiques de l’adoption du Build Back Better au Sénat américain auront donné l’opportunité aux représentants canadiens d’atténuer certaines conséquences négatives pour le Canada lors du passage vers l’IRA10. La transition entre le Build Back Better et l’IRA a permis de privilégier la portée nord-américaine, ce qui donne un net avantage aux partenaires de l’ACEUM, mais continue d’irriter les autres partenaires des États-Unis.

Parmi ceux-ci, on retrouve les signataires des autres accords de libre-échange (ALE) avec les États-Unis, soit une vingtaine de pays11. Par leur statut, ils tirent aussi avantage de certaines dispositions de l’IRA, mais dans une moindre mesure que les partenaires de l’ACEUM. Par exemple, l’IRA exige que les véhicules électriques (VE) soient assemblés aux États-Unis ou ailleurs en Amérique du Nord, et que les batteries intégrées dans ces véhicules soient fabriquées et approvisionnées en matières premières, dont les minéraux critiques, en provenance des États-Unis ou d’un de leurs partenaires d’un accord de libre-échange.

Ce contexte laisse donc croire que le Québec compte parmi les juridictions privilégiées. Toutefois, la prudence est de mise et il ne faut pas voir en l’IRA un laissez-passer vers les opportunités économiques générées par les investissements qu’elle permet. S’il est vrai que l’ACEUM procure un accès privilégié, beaucoup d’incertitude subsiste et les intervenants de l’économie québécoise doivent en être conscients afin de se positionner adéquatement.

Des contestations attendues au regard des règles de commerce international

L’apparition de conflits commerciaux entre les États-Unis et les États situés à l’extérieur de l’Amérique du Nord constitue la première incertitude qu’il faut appréhender. À cet effet, les experts juridiques du commerce international conviennent que l’IRA est de toute évidence illicite au regard de certains principes et de certaines règles convenues à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)12. Plus particulièrement, l’IRA va assurément à l’encontre de la règle du traitement national prévue à l’article III de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), puisque plusieurs de ses dispositions engendrent une discrimination entre les produits nationaux et étrangers et favorisent les produits d’origine états-unienne. L’IRA va aussi probablement à l’encontre de la règle du traitement de la nation la plus favorisée, car elle ne traite pas tous les produits étrangers de la même façon. Enfin, elle contrevient fort probablement à l’article 3 de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires, parce qu’elle prévoit l’octroi de subventions conditionnelles à l’utilisation de produits nationaux. Dans ce contexte, certains partenaires commerciaux des États-Unis, notamment l’Europe et la Corée du Sud, ont vivement manifesté leur objection aux dispositions de l’IRA qui privilégient les chaînes de valeurs nord-américaines, en plus d’avoir indiqué leur intention d’exercer des recours devant l’OMC sur cette base13.

Il est donc prévisible que des recours à l’OMC soient intentés, mais d’ici là, à l’intérieur même des frontières américaines, certains observateurs incitent le gouvernement à agir promptement. Alors que diverses organisations américaines prônent une approche plus protectionniste tout en s’ouvrant aux partenaires de l’ACEUM14, le Brookings Institute plaide en revanche pour que les États-Unis engagent des pourparlers avec l’Europe afin d’adopter un ALE15. Quoiqu’il en soit, le Fonds monétaire international (FMI), à l’instar de plusieurs experts canadiens, craint que les turbulences dans les négociations de commerce international engendrent une vague de protectionnisme économique16. Le FMI appréhende même que celle-ci vienne compromettre la transition énergétique souhaitée mondialement. Un exemple de cette préoccupation réside dans le litige en cours à l’OMC concernant les contraintes d’exportation du nickel par l’Indonésie, premier producteur mondial de ce minerai. Or, c’est peut-être la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a le plus concrétisé les appréhensions du FMI lors de son allocution au Forum économique mondial de Davos en janvier 202317. À cette occasion, elle a annoncé les contours de la réplique européenne à l’IRA américain, qui devait être précisée subséquemment.

Les éléments géopolitiques au centre des turbulences

Par ailleurs, l’un des buts des États-Unis avec l’adoption de l’IRA est clairement de nature géopolitique. En excluant explicitement les « entités étrangères préoccupantes » (foreign entity of concern) de certaines dispositions de la Loi, le gouvernement américain manifeste sa volonté de rapatrier au pays des pans entiers de la chaîne de valeur des énergies renouvelables, des véhicules électriques (VE) et des technologies propres. Toutefois, plusieurs observateurs doutent de la capacité des États-Unis, du moins à court terme, à s’approvisionner strictement auprès de pays « amis » avec lesquels ils ont déjà convenu un ALE18. En particulier, ces analyses mettent en lumière le fait que les États-Unis ont perdu beaucoup de terrain dans les deux dernières décennies au chapitre de la production et de la transformation des substances minérales. Le pays devra donc se tourner vers l’approvisionnement extérieur. Les 20 nations avec lesquelles il a conclu un ALE pourraient donc se trouver privilégiées, mais elles ne figurent pas toutes parmi les plus grands producteurs de minéraux critiques. Ainsi, dans le contexte de pressions exercées par les alliés des États-Unis, l’administration Biden commence à montrer certains signes d’assouplissement dans les dispositions de l’IRA19.

L’ensemble de ces facteurs jettent énormément d’incertitude sur l’offre et la demande qui seront engendrées par l’IRA pour les énergies renouvelables, les technologies propres et les matières premières. Si on peut envisager un positionnement avantageux du Québec pour l’instant, l’environnement concurrentiel est appelé à changer significativement dans l’avenir. À moyen et à long terme, afin de s’inscrire dans les chaînes de valeurs stimulées par l’IRA, le Québec pourrait devoir évoluer dans un contexte à la fois hautement compétitif et protectionniste.

Piste de réflexion 2

Dans ce contexte incertain, le milieu économique québécois bénéficierait d’une veille rigoureuse – et largement diffusée – sur les enjeux de commerce international et géopolitiques. Les secteurs de l’économie verte, dont la filière éolienne, les véhicules électriques commerciaux et spécialisés et la filière batterie, en ont particulièrement besoin. Les entreprises de ces secteurs seraient confortées par une diffusion ouverte de cette veille stratégique, qui est présumément déjà intégrée au Plan de relance des exportations du Québec.

10 Institut C.D Howe, 2022, Inflation Reduction Act of 2022—An Improvement on Build Back Better?, disponible ici; R.M. Sanders, 2022, Canada-U.S. Trade Disputes in Perspective: Challenges, not Crises. Thinking Canada, Vol. I, No IV, disponible ici.
11 Office of the United States Trade Representative, disponible ici.
12 G. Dufour, 22 novembre 2022, Témoin aux travaux du Comité permanent du commerce international, Répercussions commerciales potentielles de la loi « Inflation Reduction Act of 2022 » adoptée aux États-Unis sur certaines entreprises et certains travailleurs au Canada, disponible ici.
13 Reuters, 11 août 2022, EU, South Korea say U.S. plan for EV tax breaks may breach WTO rules, disponible ici; Bloomberg, 10 septembre 2022, EU Is Assessing If US Inflation Act in Breach of WTO Rules, disponible ici; Bloomberg, 15 septembre 2022, US Electric-Vehicle Tax Breaks Draw Ire From Allies EU, Korea, disponible ici.
14 Coalition for a Prosperous America, 2022, Inflation Reduction Act Knives The Multilateral Trading System. Here’s what USTR Needs To Do, disponible ici.
15 Brookings Institute, 2022, Biden could reduce inflation, mitigate a recession, and strengthen democracy with a new EU-US trade agreement, disponible ici.
16 J. Bordoff, 2022, The Inflation Reduction Act must spur virtuous competition, not vicious protectionism, Finance et développement, décembre 2022, Fonds monétaire international, disponible ici.
17 Forum économique mondial de Davos, 2023, Special Address by Ursula von der Leyen, President of the European Commission, disponible ici.
18 R. Blakemore et P. Ryan, 2022, The Inflation Reduction Act places a big bet on alternative mineral supply chains, Atlantic Council, disponible ici; M.D. Bazilian et G. Brew, 2022, The Inflation Reduction Act Is the Start of Reclaiming Critical Mineral Chains, Foreign Policy, disponible ici.
19 La Tribune, 10 décembre 2022, Inflation Reduction Act : Les États-Unis prêts à des ajustements, disponible ici.

Le gouvernement du Canada en plein ajustement de ses politiques

L’avènement de l’IRA a suscité des préoccupations importantes au Canada pour les parties intéressées. Qu’il s’agisse de citoyens, d’experts, de représentants de différentes industries ou de ceux des groupes de réflexion, ils ont notamment fait entendre leur voix lors des travaux du Comité permanent du commerce international à la Chambre des Communes. Ces travaux, tenus à la fin de l’année 2022, ont été réservés exclusivement à la question de l’IRA20 et plusieurs intervenants y ont demandé que le gouvernement du Canada agisse avec empressement. Certains tiennent notamment à sensibiliser le gouvernement aux enjeux de commerce international21, tandis que d’autres insistent pour qu’il ajuste son soutien de façon proportionnelle, pour le rendre concurrentiel face à l’aide américaine22.

Dans cet environnement en pleine mouvance, plusieurs décisions annoncées à l’automne 2022 donnent à penser que le gouvernement du Canada entend se positionner sur deux fronts : d’abord s’orienter favorablement par rapport à la volonté américaine sur des enjeux géopolitiques tout en protégeant ses propres intérêts, et ensuite concurrencer les mesures de soutien de l’IRA, autant que faire se peut, afin d’éviter la migration des investissements vers les États-Unis.

Affirmer les alliances en place

Concernant les mesures qui visent à s’aligner avec la volonté américaine, il faut souligner que, dès le mois d’octobre, des rencontres politiques entre les décideurs du Canada et des États-Unis ont eu lieu23. Celles-ci ont mené à une série d’annonces du gouvernement du Canada sur des investissements étrangers dans des secteurs stratégiques24. L’une de celles-ci excluait expressément certains investisseurs chinois dans des actifs canadiens relatifs aux minéraux critiques. De telles décisions peuvent avoir pour intention de positionner stratégiquement le Canada comme partenaire privilégié de l’ACEUM.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral a agi sur les plans économique et financier lors de l’Énoncé économique de l’automne 202225, alors que le ministère des Finances a annoncé et fait le point sur différentes mesures. Au sujet des investissements dans les énergies renouvelables et les technologies propres, quatre mesures sont à souligner :

  1. D’abord, le Fonds de croissance du Canada (FCC) vise à mettre en place des partenariats d’investissement favorisant le partage de risques et, par conséquent, l’attraction de capitaux privés. Il ne s’agit pas d’un fonds de capital de risque pour le démarrage d’entreprises, mais plutôt d’une approche de soutien financier pour la mise à l’échelle commerciale de solutions mises de l’avant par les entreprises canadiennes;

  2. La deuxième mesure a trait aux activités de recherche et de développement. À cet effet, le gouvernement a annoncé la création de l’Agence canadienne d’innovation et d’investissement (ACII), qui devrait bénéficier d’une enveloppe de 1 G$ sur cinq ans, mais dont les détails sont attendus au budget 2023-2024 (tout comme ceux relatifs au FCC);

  3. En parallèle, l’Énoncé a aussi mis de l’avant deux crédits d’impôt à l’investissement. Le premier peut aller jusqu’à 30 % et sera en vigueur jusqu’en 2032, pour être ensuite retiré progressivement jusqu’à 2035. Il cible une gamme élargie de technologies et de marchés, dont l’électricité renouvelable, le matériel de chauffage à faibles émissions de carbone et les véhicules industriels zéro émission;

  4. Le second crédit d’impôt à l’investissement, en vigueur jusqu’à 2030 et pouvant atteindre 40 %, concerne la production d’hydrogène vert, avec la particularité d’imiter l’IRA en modulant le niveau du crédit selon l’intensité carbone de l’hydrogène produit.

On constate que les mesures annoncées jusqu’à présent se concentrent surtout sur les aides à l’investissement. Or, en fin d’année 2022, certaines informations ont circulé selon lesquelles le gouvernement du Canada s’inspirerait davantage de l’intervention américaine, et ce, en créant des mesures de soutien à la production26. Reste maintenant à voir, probablement lors du budget 2023-2024, la part de ces mesures qui seront de nature fiscale et/ou financière.

L’ensemble de ces informations montrent que le gouvernement canadien semble déterminé à maintenir son positionnement stratégique dans la transition énergétique. À cet effet, la firme BloombergNEF a récemment classé le Canada au deuxième rang mondial en cette matière27, ce qui remet en perspective la perception voulant que le pays soit en train de prendre un retard irrécupérable. Cela dit, des questions difficiles seront à considérer dans un proche avenir au sein de la fédération canadienne. Par exemple, les éléments relatifs à la tarification du carbone commencent à faire débat entre le Québec et le reste du Canada28. Pour ajouter à la complexité de la chose, cette tarification prend un caractère concurrentiel à l’échelle internationale, alors que plusieurs États et régions du monde, notamment l’Europe, commencent à élaborer des mécanismes d’ajustement aux frontières de la tarification carbone29.

Piste de réflexion 3

Avec l’ampleur des enjeux de commerce international et géopolitiques, les acteurs québécois de l’économie verte auront besoin d’information stratégique à cet égard. Il sera également important que les politiques publiques du Québec et celles du Canada soient bien coordonnées, et que cette coordination soit bien communiquée. En ce sens, le gouvernement du Québec doit être proactif et éviter d’être à la merci des événements.

20 Comité permanent du commerce international, 2022, Répercussions commerciales potentielles de la loi Inflation Reduction Act of 2022 adoptée aux États-Unis sur certaines entreprises et certains travailleurs au Canada, disponible ici.
21 G. Dufour, op. cit.
22 Financial Post, 22 novembre 2022, Canada’s auto, steel and manufacturing sectors sound alarm over U.S. inflation act, disponible ici.
23 Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDEC), 2022, Compte rendu conjoint : Le ministre Champagne rencontre la secrétaire au Commerce des États-Unis, Gina Raimondo, disponible ici.
24 McCarthy Tétrault, 2022, Le gouvernement du Canada ordonne des dessaisissements dans le secteur des minéraux critiques, disponible ici.
25 Ministère des Finances du Canada, 2022, Énoncé économique de l’automne de 2022, disponible ici.
26 Radio-Canada, 10 décembre 2022, Filière électrique : Ottawa prêt pour une guerre de subventions contre les États-Unis, disponible ici.
27 Financial Post, 22 novembre 2022, Canada vaults to second spot ahead of the U.S. in global EV battery-supply chain ranking, disponible ici.
28 La Presse, 13 décembre 2022, Avant de tuer le marché du carbone, disponible ici.
29 Ministère des Finances du Canada, Explorer les ajustements à la frontière pour le carbone pour le Canada, disponible ici.

Risques et opportunités à surveiller pour l’économie verte du Québec

Notre examen des risques et des opportunités que présente l’IRA pour l’économie verte du Québec nous mène à attirer l’attention des décideurs sur quatre enjeux principaux. Ceux-ci portent principalement sur le marché des énergies renouvelables en Amérique du Nord, le secteur des minéraux critiques et stratégiques, la filière batterie et l’industrie des véhicules électriques, de même que l’enjeu de la main-d’œuvre dans les industries concernées. Les sections qui suivent font parfois référence à des mesures précises prévues dans l’IRA et le lecteur peut référer au tableau présenté dans l’annexe pour approfondir sa compréhension.

6.1. Marché des énergies renouvelables : transformations profondes en vue

Un marché en transformation avant l’IRA

Avant même que l’IRA soit adoptée, le marché des énergies renouvelables était en pleine effervescence. C’est ce que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) constatait déjà, mais ses analyses et ses prévisions sur l’énergie renouvelable, publiées à la fin de 2022, ont permis de prendre la pleine mesure de l’IRA et des autres politiques du genre à l’échelle internationale30. De l’aveu même de l’Agence, il s’agit de la réévaluation des prévisions la plus significative qu’elle a dû faire sur ce segment de marché de tout temps. Parmi ses principaux constats, l’AIE prévoit une hausse de la puissance produite de 2 400 gigawatts (GW) à l’échelle mondiale pour la période allant de 2022 à 2027. À titre comparatif, cela représente 60 fois la puissance électrique de pointe actuelle au Québec, c’est-à-dire 40,5 GW selon Hydro-Québec31. Les prévisions de l’Agence, illustrées à la figure 3, font aussi ressortir que les énergies solaire et éolienne prendront le devant de la scène du développement des énergies renouvelables. Elles généreront 90 % des nouvelles capacités électriques pendant la période de prévisions.

Graphique 3
Les énergies solaire et éolienne connaîtront les plus fortes croissances de capacité et de puissance entre 2022 et 2027
Capacité installé cumulée par technologie, 2010-2017. SOURCE : Agence internationale de l'énergie, adapté par l'IDQ

L’IRA accentue les transformations

L’AIE affirme que l’IRA compte parmi les politiques publiques qui stimuleront le plus l’offre d’énergies renouvelables à l’échelle internationale, tout comme le plan REPowerEU de la Commission européenne, le 14e Plan quinquennal sur les énergies renouvelables en Chine et les politiques publiques de l’Inde. Lorsque l’on examine les autres projections portant sur les États-Unis, les constats vont dans la même direction que ceux de l’AIE. Bien que l’IRA soit en plein déploiement et qu’il est encore difficile d’en prévoir les répercussions économiques avec précision, plusieurs estimations d’organisations reconnues portent à croire que les énergies renouvelables des filières éolienne et solaire seront fortement stimulées.

Par exemple, les firmes Wood Mackenzie et Rystad Energy prédisent généralement que l’IRA contribuera à faire augmenter la capacité des filières éolienne et solaire de quelque 40 % lors de la prochaine décennie32. ICF International prévoit pour sa part que les baisses du coût d’exploitation des énergies renouvelables seront très importantes à l’horizon de 2030 aux États-Unis (figure 4)33. Dans les filières éolienne et solaire, les réductions atteindraient entre 20 % et 50 %, selon différents scénarios d’analyse. La panoplie d’aides de l’IRA, sous l’effet conjoint des crédits d’impôt à l’investissement et à la production, contribuera à réduire les prix de marché tout en augmentant la production.

Graphique 4
Évolution du coût pondéré de l’énergie dans différentes filières de production à l’horizon 2030 aux États-Unis
SOURCE : ICF International, adapté par l'IDQ

La baisse du coût des énergies éolienne et solaire se répercutera sur d’autres segments

Les énergies renouvelables étant un intrant de production de l’hydrogène vert, on s’attend à ce que la baisse du prix des énergies éolienne et solaire aux États-Unis mène à la réduction du coût de production du combustible. ICF International évalue que l’hydrogène vert pourrait être produit à moins de 3 $ US/kg en 2030, une perspective qui le rendrait concurrentiel avec le gaz naturel. Le groupe Rhodium va encore plus loin en envisageant des coûts variant entre 0,39 $ US/kg et 1,92 $ US/kg grâce à l’IRA (figure 5)34. Si ces prévisions s’avèrent, l’environnement concurrentiel deviendra extrêmement difficile pour le Québec, dont les coûts de production de l’hydrogène vert sont évalués entre 2,00 $ CA/kg et 6,00 $ CA/kg, selon une étude de Polytechnique Montréal publiée en 202035. Cette contrainte s’ajoute au défi existant de l’efficacité énergétique associée à la production d’hydrogène vert à partir d’électricité propre, qui rendait plusieurs spécialistes perplexes quant au potentiel de développement de cette filière avant même l’avènement de l’IRA.

Graphique 5
Perspectives de réduction du coût d’exploitation de l’hydrogène vert aux États-Unis sous l’effet de l’IRA ($ US/kg hydrogène)
SOURCE : Rhodium Group, adapté par l'IDQ

Les transformations sur le marché des énergies renouvelables feront aussi sentir leurs effets sur les prix de détail de l’électricité vendue aux États-Unis. En ce sens, le groupe Resources for the Future (RFF) a étudié les variations prévues d’ici 203236. En considérant l’effet de l’IRA, RFF établit qu’une baisse significative des prix est à prévoir au cours de la prochaine décennie, soit entre 5,2 % et 6,7 % (figure 6).

Graphique 6
Incidence de l’IRA sur le prix de détail de l’électricité aux États-Unis au cours de la prochaine décennie ($ US/kWh)
SOURCE : Resources for the Future, adapté par l’IDQ.

Ces niveaux de réduction peuvent paraître modestes lorsqu’on les envisage sur une décennie. Toutefois, dans la perspective où le coût de l’électricité produite au Québec serait appelé à croître plutôt qu’à diminuer, selon les projections d’Hydro-Québec37, les baisses de coût des énergies éolienne et solaire prennent une tout autre dimension. La vigilance est donc de mise concernant la capacité concurrentielle de l’électricité du Québec. Le positionnement stratégique de celle-ci dans les chaînes de valeur sera déterminant.

Des effets indirects difficiles à anticiper

D’autres effets et interactions sont à prévoir, bien qu’il soit encore difficile d’en mesurer l’ampleur. Par exemple, la mesure Advanced Manufacturing Production Tax Credit (AMPTC)38 fournira un crédit d’impôt pour un vaste éventail d’investissements dont certains, qui auraient eu le potentiel de se produire au Québec initialement, pourraient être affectés. Qu’il s’agisse de la production de composantes d’éolienne ou de batteries, l’IRA aura immanquablement un pouvoir d’attraction sur les investissements. Différentes conséquences sont possibles, notamment sur la compétitivité des entreprises établies au Québec.

Les appels d’offres publics basés sur des critères d’approvisionnement local et régional seront également affectés39 si les critères d’approvisionnement au Québec ne réussissent pas à rivaliser avec les incitatifs de l’IRA. Cela dit, il faut anticiper en retour que l’IRA engendrera des effets bénéfiques pour les entreprises qui sont bien inscrites dans les chaînes de valeur. On peut penser ici à l’effet de diffusion des technologies innovantes que l’IRA fera naître et qui se propagera dans les chaînes concernées. Par exemple, une entreprise établie au Québec et déjà positionnée dans la chaîne de valeur nord-américaine d’une industrie concernée pourrait avoir l’opportunité d’intégrer dans son modèle d’affaires et ses activités une ou plusieurs technologies qui auront été subventionnées grâce à l’IRA.

Piste de réflexion 4

Dans la perspective des effets que l’IRA entraînera sur le marché des énergies renouvelables en Amérique du Nord, une attention particulière sera requise concernant la capacité concurrentielle de l’électricité produite au Québec en regard des coûts d’exploitation décroissants qui surviendraient dans le marché des énergies éolienne et solaire aux États-Unis.

Piste de réflexion 5

Le potentiel de production québécois de l’hydrogène vert risque d’être affaibli substantiellement sur le marché, en considérant les perspectives de réduction des coûts de production aux États-Unis.

Piste de réflexion 6

Certaines filières, comme la production de composantes de batteries ou d’éoliennes, bénéficieront de crédits d’impôt très importants aux États-Unis et cela risque d’affecter la compétitivité des entreprises établies au Québec, de même que les possibilités qu’elles soient favorisées par les appels d’offres publics.

Piste de réflexion 7

Il faut prévoir que l’IRA sera un important vecteur de diffusion des technologies innovantes et dans ces circonstances, il en découlera des opportunités pour les entreprises québécoises, particulièrement celles déjà bien installées dans les chaînes de valeur des industries concernées (ex. : composantes d’éoliennes).

6.2. Minéraux critiques et stratégiques : un avant et un après IRA

Dans le contexte de la transition énergétique, l’exploitation et la gestion des minéraux critiques et stratégiques (MCS) sont des enjeux cruciaux, car il s’agit d’une matière première névralgique. Dans le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025 (PQVMCS)40, on définit les MCS comme étant « ceux qui revêtent aujourd’hui une importance économique pour des secteurs clés de notre économie, qui présentent un risque élevé en matière d’approvisionnement et qui n’ont pas de substituts offerts commercialement ». Le gouvernement du Canada, pour sa part, souligne qu’il n’existe pas de définition reconnue à l’échelle internationale pour les minéraux critiques, mais indique tout de même que ceux-ci présentent généralement les caractéristiques suivantes41 :

  • Ils ont peu de substituts, voire aucun;

  • Ils sont stratégiques et disponibles en quantité limitée;

  • Ils sont particulièrement concentrés sur le plan de l’extraction et, de surcroît, sur le lieu de traitement.

Une demande en hausse

De façon plus pratique, les MCS prennent toute leur importance économique et stratégique par la place qu’ils occupent dans la fabrication d’une foule de produits dont la demande est appelée à croître très fortement sous l’impulsion de la transition énergétique. En Amérique du Nord, l’IRA va accélérer le phénomène grâce à plusieurs aides mises en place (voir l’annexe), et ce, qu’il s’agisse de la fabrication des composantes d’éoliennes ou de batteries pour les véhicules électriques. Surtout, la moitié du crédit d’impôt admissible à l’achat d’un véhicule électrique, hybride ou à hydrogène est conditionnelle à ce que les minéraux critiques proviennent des États-Unis ou d’un partenaire d’un accord de libre-échange. Ce crédit s’élève à 40 % à l’heure actuelle, et augmentera graduellement jusqu’à 80 % à partir de 2027 (voir l’annexe)42. Cette demande additionnelle s’ajoutera à celle, déjà forte, d’autres industries qui ne sont pas associées à la transition énergétique (ex. : technologies médicales).

Dans une étude menée en 2021, soit avant l’adoption de l’IRA, l’Agence internationale de l’énergie a fait le point sur la situation en exposant des constats d’un grand intérêt. Dans un scénario d’analyse où l’Accord de Paris serait respecté pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, l’Agence prévoit que d’ici 2040, la transition énergétique sera à l’origine de la croissance de la demande pour les MCS dans une large proportion. À ce moment, comparativement à 2020, elle aura multiplié la demande pour le lithium par plus de 40 fois, et celle du cobalt, du graphite et du nickel de 20 à 25 fois (figure 7). Déjà en 2021, l’AIE estimait que les énergies renouvelables et les technologies propres accaparaient la majorité de la demande pour le lithium, au-delà des biens de consommation électroniques.

Graphique 7
Accroissement de la demande d’ici 2040 pour certains minéraux critiques expliqué par l’expansion des technologies propres et des énergies renouvelables
SOURCE : Agence internationale de l’énergie, adapté par l’IDQ

La demande pour les MCS ira donc en s’accroissant et dans ce contexte, il faut prévoir des hausses notables du prix des substances minérales. Cela est d’autant plus vrai que les coûts d’exploitation associés à l’exploration et à l’extraction de la substance augmenteront du fait de l’efficacité d’extraction décroissante ou du plus grand éloignement des sites miniers43.

Une offre contrainte

Par ailleurs, les États-Unis sont largement déficitaires sur le plan domestique concernant l’approvisionnement en MCS. Dans son plus récent bilan annuel, la U.S. Geological Survey relevait que la consommation américaine dépend à 100 % des importations pour 14 des 35 MCS, et à plus de 50 % pour 15 autres. De plus, selon la firme McKinsey & Cie, quatre MCS seront davantage l’objet de déséquilibre entre l’offre et la demande, au point de compromettre le rythme de la transition. Ces substances, que sont le cobalt, le cuivre, le nickel et le lithium44, se retrouvent toutes dans la liste du Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques (PQVMCS). Rappelons que parmi les partenaires des États-Unis liés par des accords de libre-échange existants, tous ne sont pas des fournisseurs importants de MCS. Entre autres, l’Indonésie et la République du Congo ne s’y trouvent pas, alors qu’ils sont respectivement les plus grands producteurs de nickel et de cobalt au monde.

Pour le Québec, un risque à transformer en opportunité

Pour faire face à cette conjoncture qui sera accentuée par l’IRA, le Québec dispose de bons outils de planification, soit le PQVMCS et le bilan des réalisations qui l’accompagnent. Il faut d’emblée saluer l’initiative du gouvernement du Québec à cet effet, car il a été parmi les premiers en Amérique du Nord à se doter d’un plan et d’y accoler un bilan périodique45. Le PQVMCS comprend, en principe, tous les éléments de planification nécessaires, à savoir la recherche et le développement, l’acquisition de connaissances géologiques, l’observation des principes de développement durable, la prospérité économique des régions et le souci de développer et de maintenir au Québec la valeur ajoutée associée à l’exploitation des MCS.

L’une des premières actions découlant de ce plan a été l’acquisition de la connaissance requise sur la chaîne de valeur des MCS. À cet effet, le gouvernement a fait réaliser une étude détaillée par PwC, qui a été publiée au cours des derniers mois46. En plus d’évaluer les retombées économiques attendues, cette étude comprend des recommandations importantes pour bien saisir les opportunités. Ces dernières ont cependant été émises avant l’avènement de l’IRA, de sorte qu’il y a lieu d’en reconsidérer certaines, tout comme certains éléments du PQVMCS.

L’une des recommandations de l’étude de PwC suggère d’atténuer certains freins induits par les processus réglementaires relatifs aux enjeux environnementaux et d’acceptabilité sociale. Ces observations sont fort justes, mais elles omettent un élément d’analyse qui prend une importance grandissante et qui est aussi omis dans le PQVMCS. En effet, au cours des derniers mois, plusieurs analyses sont apparues au sujet de l’influence qu’aura le système des critères ESG dans l’évaluation des entreprises et des projets du secteur des MCS47. Rappelons que le système ESG consiste en une approche d’évaluation des performances extrafinancières en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Une récente étude réalisée par le Peterson Institute for International Economics (PIIE) a bien mis en lumière l’interaction entre les performances ESG et le positionnement international des investissements dans les MCS48. Les critères ESG prendront une importance significative dans la sélection des projets, des sites et des entreprises par les investisseurs.

Présentement, les actions prévues dans le PQVMCS qui portent sur les enjeux environnementaux et sociaux semblent appropriées et démontrent que, comparativement à plusieurs autres États, le Québec intègre dans le développement les considérations de développement durable. D’un point de vue financier, cependant, le cadre normatif et réglementaire plus strict du Québec peut paraître contraignant comparativement aux opportunités qui se présentent ailleurs dans le monde. Le système d’évaluation ESG pourrait toutefois changer significativement cette dynamique et rendre les projets d’investissement plus attrayants au Québec qu’ils ne l’auraient été à une autre époque.

Dans ce contexte, il serait fortement stratégique que le PQVMCS soit mieux coordonné avec les cadres ESG du milieu de la finance durable. Cela devrait permettre, d’une part, d’adapter le cadre réglementaire québécois afin de gagner en efficacité, et d’autre part, de mieux préparer les entreprises en croissance à intégrer les critères de performance extrafinancière. À ce sujet, SWITCH et l’IDQ s’apprêtent à rendre publique une grille d’analyse en financement durable qui constituera un outil fort utile pour soutenir cette coordination49.

Piste de réflexion 8

Il serait stratégique d’adapter les composantes environnementales et sociales du Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques (PQVMCS) afin de coordonner ce dernier avec l’approche ESG de la finance durable. Dans le cadre de cet exercice, certaines contraintes pourraient se transformer en opportunités dans le contexte géopolitique et financier actuel.

Une veille active sur les marchés et les politiques

L’autre élément du plan québécois qui mérite une attention particulière porte sur la mise en valeur des avantages concurrentiels du Québec afin de maximiser la valeur ajoutée pouvant émaner des MCS. À cet effet, le bilan des réalisations publié en septembre 2022 indique que l’analyse des tendances du marché des filières de MCS a pris du retard. Il est primordial d’accélérer le pas en cette matière, et d’y inclure une veille des politiques, car l’avènement de l’IRA a changé fondamentalement des analyses qui étaient encore valables dans les derniers mois. L’une des conséquences possibles réside dans les aides de l’IRA, qui modifient les avantages concurrentiels du Québec, ce qui génère ensuite un impact sur les investissements publics dans les infrastructures et la logistique de transport. Ce dernier élément était d’ailleurs, à très juste titre, l’objet de l’une des cinq recommandations de PwC. Or, il se peut que la nouvelle dynamique de marché induite par l’IRA nécessite que le Québec repense ses priorités en matière d’investissements publics. Une veille agile sur les marchés et les politiques est donc requise, et celle-ci pourrait aussi se traduire par des ajustements nécessaires dans différentes politiques publiques.

Piste de réflexion 9

Il serait indiqué d’accélérer l’action consistant à « Analyser les tendances du marché des filières de MCS », prévue dans le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques (PQVMCS). Les résultats d’une veille accrue sur les marchés et les politiques pourraient aussi nécessiter l’adaptation de certaines politiques publiques.

Une meilleure veille de marché et une nouvelle analyse des avantages concurrentiels du Québec permettraient de traiter un autre enjeu crucial de la chaîne de valeur des MCS. Rappelons à ce sujet que l’offre de MCS provient de deux sources, soit l’exploitation minière et le recyclage des substances minérales tirées de produits arrivant en fin de vie utile. Dans le contexte de l’incertitude face aux enjeux de commerce international et géopolitiques et, par conséquent, la direction que prendront les capitaux dans les projets d’investissement miniers, il peut être judicieux d’accélérer le développement de l’industrie du recyclage. À ce chapitre, PwC recommande d’ailleurs de « mettre en place un contexte économique et réglementaire favorisant la réutilisation et le recyclage des minéraux » et l’Agence internationale de l’énergie abonde dans le même sens afin d’amener l’industrie du recyclage à l’échelle commerciale50.

Même si les exigences réglementaires du Québec à l’endroit de l’industrie minière étaient adaptées sans forcément être atténuées, certaines échéances dans la réalisation des projets miniers seraient toujours en vigueur. À plus court terme, le développement d’une industrie du recyclage vigoureuse au Québec pourrait représenter une opportunité plus intéressante que l’option minière. L’étude du Peterson Institute for International Economics est d’ailleurs éclairante sur les perspectives de recyclage selon différentes substances (figure 8). On y indique que des proportions très importantes de la demande pour certains MCS devraient être comblées par la voie du recyclage. Selon les projections de Statista51, le marché mondial du recyclage de batteries devrait même quadrupler en peu de temps, soit au cours des quatre prochaines années (figure 9).

Tableau 2
Perspectives de la demande de certaines substances minérales qui pourrait être comblée par le recyclage
SOURCE : Peterson Institute for International Economics, adapté par l’IDQ
Graphique 8
Évolution du marché mondial du recyclage de batteries, 2023 à 2026 (G$ US)
SOURCE : Research and Markets et Statista, adapté par l’IDQ

Au Québec, une étude récente commandée par RECYC-QUÉBEC offre un précieux aperçu des volumes potentiels par substance minérale et selon différents horizons de temps, le tout sur la base des politiques existantes, dont le Plan pour une économie verte 203052. Bien que des filières importantes aient été exclues de l’étude (ex. : biens électroniques d’usage domestique), celle-ci offre tout de même aux intervenants des évaluations précises des volumes potentiels qui s’offriront au recyclage et à la revalorisation aux horizons de 2030 et de 2050.

Piste de réflexion 10

Le Québec doit accélérer les travaux pour développer la filière du recyclage de batteries. En plus de s’inscrire dans l’esprit de l’économie circulaire, une industrie québécoise du recyclage florissante procurerait une partie de l’approvisionnement en minéraux critiques et stratégiques ne pouvant être fournie par l’extraction minière à court terme.

Filière batterie et industrie des véhicules électriques

Où ira la capacité de production ?

Comme mentionné précédemment, les États-Unis cherchent à saisir et à maximiser la valeur ajoutée associée à la transition énergétique. Le Québec vise le même objectif dans le contexte de ses avantages concurrentiels. La Stratégie québécoise de développement de la filière batterie (SQDFB) résume l’ensemble de l’approche du gouvernement du Québec, et ce, à travers neuf étapes (figure 10). À l’heure actuelle, le Québec agit à toutes les étapes sauf à celle de la production, puisqu’il n’y a pas encore d’entreprise qui a annoncé sa venue pour la production de cellules de batterie (« cellulier »). L’avènement de l’IRA compromet les perspectives concernant les étapes de production de batteries et de fabrication de véhicules électriques.

Graphique 9
Les neuf étapes de l’écosystème du développement de la filière batterie
SOURCE : Stratégie québécoise de développement de la filière batterie

Avant même l’adoption de la loi américaine, les facteurs déterminant l’emplacement des usines de fabrication de véhicules électriques et de production de batteries ne jouaient pas tous en faveur du Québec. Selon une analyse de la Réserve fédérale de Chicago, les deux principaux éléments déterminants sont les économies d’échelle et la proximité avec les marchés de consommation, plutôt que les marchés d’approvisionnement des matières premières53. En ce sens, le développement des filières de la batterie et des véhicules électriques s’établirait principalement selon deux modèles : 1) conversion de certaines usines déjà présentes dans le « corridor de l’auto » et 2) construction de nouvelles usines dans les États américains où se situe la demande pour les véhicules électriques, notamment la Californie et le Texas.

Dans ce contexte, l’orientation prise par le Québec à l’endroit de la filière des véhicules électriques spécialisés (autobus, camions, motoneiges, etc.) est fort judicieuse. Cette avenue inclurait la venue d’un « cellulier » qui approvisionnerait cette filière, en plus, potentiellement, du marché américain. Or, certains écueils se présentent sur cette voie.

L’information stratégique au service de la compétitivité

D’entrée de jeu, il est important de souligner que le segment des véhicules électriques commerciaux, inclus dans les véhicules spécialisés mentionnés précédemment, restera ouvert à la concurrence internationale et ne bénéficiera pas d’une clause « Amérique du Nord » au sein de l’IRA54. Cela signifie donc que la filière québécoise, qui est en train de se développer, ne tirera pas parti de cet avantage dont jouira l’industrie des véhicules pour passagers, située principalement en Ontario.

Par ailleurs, certains sites web spécialisés dans les technologies propres mettent en doute le véritable potentiel de développement des filières batterie et véhicules spécialisés en sol canadien, en raison du repositionnement causé par l’IRA55. En fait, on souligne que le crédit d’impôt AMPTC (Advanced Manufacturing Production Tax Credit), évoqué précédemment, procure un soutien massif aux fabricants automobiles afin qu’ils établissent aux États-Unis leurs usines de production relatives à la filière batterie. Plus spécifiquement, les crédits d’impôt peuvent s’accumuler et atteindre 45 $ US/kWh, ce qui représenterait le tiers du coût de production de la batterie produite aux États-Unis actuellement. Cette mesure s’applique pour chaque véhicule produit, chaque année, jusqu’en 2032.

Évidemment, il reste encore beaucoup d’inconnues quant à l’application des mesures de l’IRA, bien que le gouvernement fédéral américain ait commencé à communiquer beaucoup plus de détails tout récemment56. Dans ce contexte incertain, la gestion de l’information est névralgique au sein de toute stratégie. Ainsi, il est opportun de rappeler qu’il importe que tous les acteurs de la chaîne de valeur disposent de l’information stratégique relative aux marchés et aux politiques. Par exemple, des rapports récents établissent la valeur de référence du coût de production des batteries à quelque 100 $ US/kWh afin de rivaliser avec la filière des véhicules à combustion57. Ces mêmes sources avancent qu’une tendance à la baisse suivrait les hausses de coût récentes qui étaient dues principalement à la hausse du prix des substances minérales. Or, pour tous les acteurs de la chaîne de valeur, il importe de disposer d’une analyse assez précise sur les tendances à anticiper à la suite des répercussions de l’IRA. C’est avec cette information qu’ils seront en mesure de mieux évaluer le potentiel concurrentiel du Québec.

L’analyse des tendances de marché prendra beaucoup d’importance avec l’avènement de l’IRA et dans le contexte des contingences géopolitiques et du commerce international. Jusqu’à présent, la plupart des observateurs recommandent une vision intégrée de la chaîne de valeur. C’est le cas au Québec, comme en témoignent l’étude de PwC évoquée précédemment, la vision mise de l’avant par Propulsion Québec58, ainsi que celle exprimée dans les politiques publiques québécoises (PQVMCS et SQDFB). Pour sa part, L’Accélérateur de transition insiste aussi sur une approche intégrée, mais en prônant un positionnement à certaines étapes de la chaîne de valeur plutôt que de la cibler intégralement59. Par exemple, on y recommande de porter une attention toute particulière à l’étape intermédiaire de la transformation des substances minérales en composantes de batterie. Le recyclage des batteries, dont nous avons discuté précédemment, offre un autre exemple à cet égard. Comme cette activité constitue une filière en soi, selon plusieurs experts, le Québec pourrait s’y concentrer, et ce, dans une perspective de rayonnement nord-américain.

Piste de réflexion 11

Il serait opportun que les acteurs de la chaîne de valeur de la filière batterie et des véhicules électriques révisent leurs stratégies dans le contexte des turbulences engendrées par l’IRA. En effet, il est possible que celles-ci fassent en sorte que les avantages concurrentiels ne soient pas maintenus dans toutes les étapes de la chaîne de valeur, mais seulement dans certaines. En ce sens, les acteurs du milieu financier québécois et ceux du Plan de relance des exportations du Québec peuvent jouer un rôle clé afin de bien orienter la chaîne de valeur.

Défi de la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs visés

Dans le contexte actuel de rareté de la main-d’œuvre, la transition énergétique requise pour faire face aux défis climatiques pose certaines difficultés. Plusieurs observateurs se demandent si elle ne viendra pas exacerber une situation déjà éprouvante pour plusieurs entreprises et organisations. Conscientes des questionnements du milieu, EnviroCompétences et Propulsion Québec ont chacune commandé des études sur cet enjeu60. Sans en détailler les résultats, signalons qu’elles sont parvenues à identifier les catégories d’emploi qui sont le plus à surveiller. On peut mentionner, par exemple, les professionnels des sciences physiques, des sciences de la vie, du génie civil, mécanique, électrique et chimique, ainsi que de l’informatique (CNP 21).

Dans le contexte où l’IRA pourrait modifier les priorités dont se dote la chaîne de valeur en matière de développement et de formation de la main-d’œuvre, il serait avisé d’examiner comment les conclusions de ces études pourraient être altérées. Il n’est pas attendu qu’elles soient modifiées en profondeur, mais il est quand même possible que les intervenants du milieu jugent opportun de revoir certaines stratégies afin de mieux apparier l’offre de main-d’œuvre aux besoins des entreprises. À cette fin, il est primordial que l’ensemble de la chaîne de valeur soit bien coordonnée.

Piste de réflexion 12

Dans le contexte de rareté de la main-d’œuvre et fort des études déjà réalisées pour les filières de la transition énergétique, les acteurs présents dans les chaînes de valeur concernées gagneraient à réviser leurs stratégies à l’aune des interventions de l’IRA et des impacts attendus sur les filières québécoises.

40 Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec (MERN), 2020, Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025, disponible ici.
41 Gouvernement du Canada, 2022, Stratégie Canadienne sur les minéraux critiques, disponible ici.
42 Cette mesure risque de faire l’objet d’une plainte devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC. On peut penser qu’elle est incompatible avec des dispositions de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires et avec l’article I du GATT qui énonce le principe du traitement de la nation la plus favorisée.
43 EY Canada, 2022, Défis liés à l’offre et à la demande de minéraux critiques auxquels font face les sociétés minières, disponible ici.
44 McKinsey and Company, 2022, Could supply-chain issues derail the energy transition?, disponible ici.
45 Le Critical Minerals Policy Tracker de l’AIE nous fait constater que le plan du Québec est dans une bonne position stratégique sur le plan international également.
46 PwC, 2022, Portrait des chaînes de valeur des minéraux critiques et stratégiques, disponible ici.
47 Wood Mackensie, 2022, Energy transition metals: the ESG dilemma, disponible ici; Benchmark Minerals, 2022, ESG of graphite: how do synthetic graphite and natural graphite compare?, disponible ici.
48 Peterson Institute for International Economics, 2022, Green energy depends on critical minerals. Who controls the supply chains?, disponible ici.
49 SWITCH-IDQ, op. cit.
50 AIE, 2021, op. cit.
51 Statista, 2023, Forecast market value of electric vehicle battery re-use and recycling worldwide from 2021 to 2026, disponible ici.
52 Stantec Experts-conseils ltée, 2022, Matériaux de la transition énergétique : État de la situation et pistes de solution. Étude réalisée à la demande de RECYC-QUÉBEC, disponible ici.
53 Federal Reserve Bank of Chicago, 2022, North America’s Rapidly Growing Electric Vehicle Market: Implications for the Geography of Automotive Production, disponible ici.
54 Congressional Research Service, 2022, Clean Vehicle Tax Credits in the Inflation Reduction Act of 2022, disponible ici.
55 CleanTechnica, 23 septembre 2022, The Really Big Battery Deal In The IRA That People Are Missing, disponible ici; Driving, 21 octobre 2022, Motor Mouth: The ‘EV frenzy’ of battery manufacturing is passing Canada by, disponible ici.
56 The White House, 2023, Building a Clean Energy Economy: a Guidebook to the Inflation Reduction Act’s Investments in Clean Energy and Climate Action, disponible ici.
57 McKinsey and Company, 2022, Capturing the battery value-chain opportunity, disponible ici; BloombergNEF, 2022, Increase in Battery Prices Could Affect EV Progress, disponible ici.
58 Propulsion Québec, 2019, Filière des batteries lithium-ion : développer un secteur porteur d’avenir pour l’économie du Québec, disponible ici.
59 L’Accélérateur de Transition, 2022, A Roadmap for Canada’s Battery Value Chain—Building a national strategy for critical minerals and green battery metals, disponible ici.
60 EnviroCompétences, 2023, Étude prospective de la main-d’œuvre et des emplois liés à la transition verte et aux changements climatiques, à paraître; Propulsion Québec, 2020, Horizon 2050 et besoins en main-d’œuvre et formation du secteur des transports électriques et intelligents au Québec, disponible ici.

Synthèse des pistes de réflexion et leur association avec les dimensions du développement durable

Tableau 3

Annexe

Tableau 4
Résumé des mesures d’investissement public et fiscales de l’Inflation Reduction Act touchant la transition énergétique et les changements climatiques

(a) Tous les montants sont en dollars américains. (b) Le résumé s’inspire de quatre textes d’analyse de l’IRA publiés par le cabinet Fasken en septembre 202261, ainsi que d’un sommaire des mesures de l’IRA publié par le Bipartisan Policy Center62. (c) United States Environmental Protection Agency (US-EPA). (d)Les aides prévues à l’IRA sont souvent soumises à certaines normes salariales. Voir la partie 1 de l’analyse de Fasken (2022) pour plus de détails. (e) Les aides prévues à l’IRA sont souvent modulées selon que les installations se trouvent ou non dans ce qui est qualifié de « communauté énergétique », soit « des communautés dans lesquelles il y a ou il a eu de l’emploi à un niveau significatif dans l’industrie des combustibles fossiles » (Fasken, 2022, partie 4).

61 Fasken, 2022, Adoption de l’Inflation Reduction Act, une loi américaine consacrant 370 milliards de dollars à l’énergie et à la lutte contre les changements climatiques (partie 1, partie 2, partie 3 et partie 4).
62 Bipartisan Policy Center, 2022, Inflation Reduction Act (Summary)—Energy and Climate Provisions, disponible ici.

Télécharger

Conclusion

Cette note d’analyse visait principalement à mettre en évidence les risques et les opportunités que présente la Loi sur la réduction de l’inflation aux États-Unis pour l’économie verte du Québec. Celle-ci engendrera certes des turbulences dans plusieurs domaines, mais une grande incertitude subsiste quant à leur ampleur et leur direction. L’incertitude découle surtout des réactions attendues à l’égard des règles du commerce international et du contexte géopolitique. Cela dit, on peut raisonnablement anticiper que certains marchés seront significativement touchés par l’IRA à l’échelle nord-américaine et, par conséquent, au Québec.

Les filières québécoises ne peuvent ignorer les changements appréhendés et elles s’adapteront d’autant mieux si elles peuvent adéquatement recueillir et gérer l’information relative au marché et aux politiques. Par exemple, si les projections réalisées et publiées récemment s’avéraient, les marchés des batteries pour véhicules électriques, des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert vivraient des transformations substantielles entraînant des conséquences importantes pour l’économie québécoise. Les répercussions pourraient aussi se faire sentir sur les finances publiques du gouvernement du Québec, selon sa façon d’ajuster les politiques publiques.

Dans cette perspective, nous offrons 12 pistes de réflexion qui sont le fruit de notre analyse et des constats qui l’accompagnent. Ces pistes ne constituent pas des recommandations quant aux actions que devraient entreprendre les parties prenantes, dont le gouvernement du Québec, dans l’immédiat. En fait, au cœur de celles-ci, il y a justement le souci que les intervenants concernés au Québec évitent d’agir de façon précipitée, et qu’ils prennent plutôt le temps nécessaire pour analyser la situation et réviser leurs stratégies, leurs plans d’action et leurs investissements en conséquence. Nous pensons que les avantages concurrentiels du Québec doivent être réévalués à la lumière du nouveau contexte de concurrence internationale provoqué par les politiques américaines, dont l’IRA, et en ce sens, nous espérons que les pistes de réflexion proposées profiteront à tous les intervenants de l’économie verte du Québec.