Environnement
RAPPORT
81 min

Création de richesse et décarbonation au Québec

Comment se détacher du peloton ?

Rapport
19 juin 2025

En bref

Concilier création de richesse et décarbonation : un défi stratégique pour le Québec

  • L’atteinte des cibles de décarbonation tout en stimulant la croissance économique représente un défi majeur pour le Québec, particulièrement pour ses secteurs industriels. Relever ce défi exige une approche stratégique éclairée, fondée sur une compréhension fine de la performance de chaque industrie, essentielle pour sa compétitivité future dans un contexte américain en pleine mutation.

  • Deux indicateurs clés permettent de guider cette stratégie : l'intensité carbone, qui mesure les émissions de gaz à effet de serre (GES) par unité de richesse produite (PIB), et le coût marginal de décarbonation, soit le coût pour réduire une tonne de GES supplémentaire.

  • L’intensité carbone dépend elle-même de deux leviers principaux : l’intensité énergétique (quantité d’énergie consommée par unité de PIB) et le coefficient d’émission (quantité de GES émise par unité d’énergie). Une analyse approfondie de ces composantes est essentielle pour cibler les stratégies de décarbonation les plus efficaces par industrie et éclairer les politiques publiques, notamment industrielles.

Des potentiels et des coûts de décarbonation très variables selon les industries

  • Le coût marginal de décarbonation varie considérablement, allant de moins de 5 $/tonne (ex: fabrication de papier) à plus de 300 $/tonne (ex: construction), influençant directement l'efficacité des incitatifs comme la tarification carbone.

  • Une relation inverse existe généralement : les industries à forte intensité carbone ont souvent des coûts marginaux de décarbonation plus faibles. Cette corrélation s’explique surtout par le fait que les secteurs très intenses en carbone sont fréquemment aussi de grands consommateurs d’énergie, ce qui leur offre un potentiel important de réductions d’émissions à coût relativement faible par le biais de l’efficacité énergétique. Elles représentent donc des cibles prioritaires, par opposition aux industries dont les émissions proviennent majoritairement des procédés, qui requièrent des solutions plus coûteuses.

  • À l’inverse, les industries dont les émissions sont intrinsèquement liées aux procédés industriels (ex: ciment, aluminium), même si leur intensité carbone globale est parfois plus faible, font face à des coûts marginaux de décarbonation élevés. Réduire leurs émissions exige des investissements technologiques majeurs, des innovations de rupture et une transformation des processus de production.

Trois leviers d'action à adapter selon les profils industriels

  • Efficacité énergétique : Levier généralement le plus abordable, il est prioritaire pour les secteurs où l'intensité énergétique s'est détériorée (ex: première transformation des métaux, fabrication de papier). Des gains substantiels et souvent rentables sont requis pour atteindre les objectifs climatiques.

  • Transition énergétique : Essentielle pour les secteurs dont le coefficient d'émission est difficile à améliorer (ex: agriculture, élevage, construction, transport par camion), nécessitant le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables. Pour l'agriculture et l'élevage, une transformation des pratiques est aussi indispensable.

  • Transformation des procédés : Généralement la plus complexe et onéreuse, elle est incontournable pour les industries où les émissions proviennent majoritairement des processus de production (ex: aluminium, ciment, cultures agricoles, élevage). Des solutions complexes, coûteuses et innovantes sont nécessaires, impliquant une révision des modèles d’affaires.

Le rôle primordial des politiques publiques et des incitatifs

  • La tarification actuelle du carbone au Québec (SPEDE) semble insuffisante pour inciter les industries à coûts marginaux élevés à adopter les technologies nécessaires. Une augmentation graduelle, alignée sur les objectifs climatiques, paraît nécessaire.

  • L'efficacité de la tarification carbone dépend du coût marginal propre à chaque industrie. Lorsque le prix du carbone est inférieur au coût marginal, l'incitatif est limité. Un alignement progressif avec le coût social du carbone pourrait maximiser les bénéfices climatiques et économiques.

  • Les mécanismes de tarification carbone doivent impérativement être soutenus par des politiques complémentaires adaptées : subventions ciblées, normes de performance, programmes de soutien à l’innovation technologique.

Recommandations pour accélérer la décarbonation et la création de richesse

  • Analyser et hiérarchiser : Renforcer les analyses par secteur pour prioriser les actions selon l'intensité carbone et le coût marginal de décarbonation.

  • Accélérer la transition et l'innovation : Favoriser les collaborations entre gouvernements, entreprises et chercheurs pour accélérer la transition énergétique et l'innovation technologique.

  • Soutenir la tarification carbone : Appuyer les mécanismes de tarification par des politiques adaptées (subventions, normes).

  • Investir dans les données : Constituer des bases de données cohérentes et harmonisées pour mieux orienter les politiques publiques.

  • Adopter des approches sur mesure : Développer des stratégies spécifiques pour les industries à émissions de procédés, en misant sur la transformation et les innovations de rupture.

À propos

Soutenu financièrement par le Fonds d’action et de sensibilisation pour le climat d’Environnement et Changement climatique Canada, l’Institut du Québec a entrepris, en collaboration avec Delorme Lajoie Consultation et Dunsky Énergie + Climat, un vaste projet visant à développer et à diffuser de l’information socioéconomique nouvelle et opérationnelle afin de favoriser les trajectoires vers la carboneutralité. Ces travaux ont pour objectif d’appuyer les parties prenantes dans la définition et la révision des politiques publiques qui influencent ces trajectoires.

Ce vaste projet s’articule autour de trois axes dont chacun s’adresse à un groupe particulier. Le premier axe, qui interpelle plus spécifiquement les entreprises et les différentes industries, propose des avenues pour concilier les objectifs de création de richesse et de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le présent rapport s’inscrit dans cet axe. Consacré aux gouvernements, le deuxième axe se penche sur la façon dont le concept du coût social du carbone peut être intégré aux politiques publiques. Enfin, le troisième axe du projet destiné aux individus et ménages vise à trouver les meilleures avenues pour soutenir leurs efforts de réduction des émissions de GES en fonction de leur réalité socioéconomique.

Tout au long du projet, l’équipe de recherche est accompagnée par un comité consultatif multidisciplinaire.

Paul Lanoie - Ancien commissaire au développement durable du Québec du Vérificateur général du Québec et professeur-chercheur à la retraite de HEC Montréal

Olivie Bahn - Professeur titulaire, directeur du Groupe d'études et de recherche en analyse des décisions (GERAD), HEC Montréal

Jean-François Léonard - Représentant, Réseau Environnement

Mustapha Ouyed - Vice-président du conseil d'administration, Conseil patronal de l'environnement du Québec

Pierre-Olivier Pineau - Professeur titulaire, titulaire de la Chaire de gestion en énergie, HEC Montréal

Charles Séguin - Professeur agrégé, UQAM

Andrea Vallejos - Coordonnatrice en modélisation énergétique, ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie du Québec

Johanne Whitmore - Chercheuse principale, Chaire de gestion en énergie, HEC Montréal

Introduction

Décarbonation : les défis de politiques publiques

Depuis quinze ans, les gouvernements successifs du Québec se sont donnés des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le plus récent projet, le Plan pour une économie verte 2030, vise une réduction globale de 37,5 % des émissions de GES au Québec d’ici 2030 et l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050.

En parallèle, le Québec cherche à accroître son niveau de vie et à réduire l’écart de richesse qui le sépare de l’Ontario et du reste du Canada.

Certaines initiatives peuvent concilier ces deux ambitieux objectifs, notamment des projets où les impératifs de la décarbonation créent des opportunités créatrices de richesse. Mais dans bien des cas, les efforts de réduction des GES, qu’ils s’effectuent par le biais de l’électrification, la taxation du carbone, la décarbonation du transport, la transformation des procédés industriels, engendreront des coûts importants qui pourront restreindre le potentiel de croissance.

Concilier des objectifs contradictoires

Dans un tel contexte, le défi des politiques publiques consistera donc à concilier ces objectifs souvent contradictoires et à effectuer des choix éclairés qui permettront d’atteindre un certain équilibre entre les politiques environnementales, les politiques énergétiques et les politiques économiques, notamment par leur volet de politiques industrielles.

Depuis la pandémie, et avant que la guerre commerciale n’éclate, un grand nombre d’États à travers le monde ont ainsi redéfini leur politique industrielle. L’adoption de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis en 2021 a lancé la vague de renouvellement de ces politiques, lesquelles se concentrent souvent sur des enjeux de lutte aux changements climatiques et de transition énergétique. Les institutions internationales suivent également de près ce qui est désormais convenu d’appeler les « politiques industrielles vertes ». L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) mène des travaux sur les caractéristiques souhaitables de telles politiques. De son côté, le Fonds monétaire international (FMI) porte une attention particulière à la vague protectionniste accompagnant ces politiques et aux distorsions qu’elles provoquent au commerce international.

Dans un contexte où les États se livrent une chaude lutte pour attirer les investissements nécessaires à la transition, il importe que le Québec réussisse à se positionner de façon avantageuse. Le gouvernement québécois a d’ailleurs avancé certaines pièces sur cet échiquier qui lui permettrait de concilier les objectifs économiques et environnementaux. Pensons, par exemple, à sa stratégie de développement de la filière batterie, son plan pour la valorisation des métaux critiques, sans oublier le plan stratégique d’Hydro-Québec.

Sans les outils d’analyse et les indicateurs stratégiques appropriés, il sera toutefois difficile de mettre en œuvre ces stratégies, et de faire les arbitrages difficiles qu’elles imposeront. Le premier rapport publié dans le cadre de ce projet a proposé un outil permettant d’intégrer ces diverses dimensions : l’intensité carbone. Cet indicateur, soit le ratio des tonnes de CO2 sur la valeur du PIB, permet à la fois de tenir compte de la croissance économique et de la lutte aux changements climatiques.

Une approche novatrice pour une politique industrielle à repenser

L’approche proposée dans ce premier rapport était novatrice en ce sens qu’il s’agit du seul véritable effort déployé à ce jour pour tracer les trajectoires de l’intensité carbone de l’économie québécoise et des industries qui la composent. L’intensité carbone avait déjà été mesurée à l’échelle canadienne, mais l’exercice n’avait encore jamais été mené pour le Québec (voir l’encadré 1). Connaître l’intensité carbone d’une économie répond à un réel besoin, d’autant plus que le Fonds monétaire international (FMI) a mis en valeur cet indicateur pour guider les gouvernements dans leurs politiques publiques portant à la fois sur la création de richesse et la décarbonation.

Ce premier rapport nous a appris qu’au cours des trente dernières années, la croissance du PIB et l’évolution des émissions de GES se sont dissociées au Québec. Autrement dit que la croissance économique de la province ne s’accompagne heureusement plus d’une croissance équivalente en émissions de GES. Ces deux indicateurs demeurent cependant encore trop liés : la croissance de l’économie ne s’accompagne pas d’une réduction satisfaisante des émissions GES pour atteindre les objectifs.

En fait, non seulement le niveau de croissance est insuffisant pour assurer le rattrapage souhaité de l’économie québécoise, mais la trajectoire actuelle de décarbonation ne mènera pas à l’atteinte des objectifs environnementaux que le gouvernement s’est fixés. Dans les faits, le Québec est en voie de réduire son intensité carbone de 16 % d’ici 2030, alors qu’il lui faut plutôt l’abaisser de 42 % pour atteindre sa cible.

Plus spécifiquement, ce premier rapport proposait une analyse de l’intensité carbone pour les principales industries émettrices de GES. Cet exercice a notamment permis d’identifier par le biais de trajectoires sectorielles, la faisabilité des objectifs visés par les politiques québécoises, de dégager les spécificités de certains secteurs industriels, et d’identifier ainsi des pistes d’action susceptibles de corriger la trajectoire actuelle.

Plus que jamais, le gouvernement du Québec intègre des critères extrafinanciers dans ses programmes et politiques, notamment dans sa stratégie des marchés publics, les programmes d’Investissement Québec ou encore dans les mécanismes d’octroi des blocs d’électricité par le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.

L’ensemble de ces programmes et politiques comportent une panoplie de critères qui visent non seulement l’atteinte de résultats économiques et financiers mais aussi à mieux considérer, sinon favoriser, les dimensions environnementales et sociales dans les projets et investissements. Cependant, sur le plan opérationnel, la conciliation d’une multitude de critères qui touchent différentes dimensions du développement durable pose des défis considérables.

Parmi ces défis : l’arbitrage nécessaire dans l’évaluation de critères qui entrent parfois en conflit. Par exemple, lorsqu’un projet associé à la filière batterie répond particulièrement bien aux critères économiques, mais sans améliorer significativement le bilan de la décarbonation du Québec. Il est alors difficile de pondérer adéquatement ces deux résultats.

Plusieurs industries pourraient être confrontées à cette situation dans le futur. Par conséquent, pour espérer atteindre à la fois les objectifs de création de richesse et de décarbonation que le gouvernement du Québec s’est fixés, il faut assurer un suivi attentif de l’intensité carbone par industrie. Le présent rapport approfondit cette approche, et ce, de deux façons.

À notre connaissance, l’intensité carbone n’est pas un indicateur comptant parmi les critères retenus dans les politiques et les programmes du gouvernement du Québec. Pourtant, cet outil pourrait s’avérer très efficace pour pondérer les différentes dimensions de la performance d’un projet donné. Ainsi, le gouvernement du Québec aurait la certitude qu’un projet contribue à décarboner l’économie québécoise tout en y ajoutant de la valeur lorsqu’il affiche une réduction des émissions de GES, tout en enregistrant une intensité carbone inférieure à la moyenne de son industrie.

Un cadre de référence nécessaire

Dans un premier temps, le présent rapport propose un cadre de référence identifiant plusieurs paramètres qui affecteront les politiques de décarbonation, et dont il faut tenir compte dans la prise de décision.

La réussite d’une stratégie de décarbonation repose sur plusieurs éléments essentiels. Tout d’abord, il est tout autant crucial de prendre en compte le coût social du carbone que le coût de ne pas décarboner, ces derniers formant le socle de toute démarche visant à réduire les émissions de GES. Cette approche doit également concilier les bénéfices collectifs de la décarbonation, tels qu’une meilleure qualité de vie et une réduction des impacts climatiques, avec les coûts privés soutenus par les entités émettrices, afin de garantir une transition équitable.

Par ailleurs, il est important de considérer la dynamique du coût marginal de décarbonation, qui tend à croître à mesure que le processus progresse, influençant ainsi les choix technologiques nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques. Cette analyse doit également distinguer les émissions liées à l'énergie de celles issues directement des procédés industriels, ces dernières requérant souvent des solutions technologiques entièrement différentes. À cela s’ajoute la relation inverse entre l’intensité carbone et le coût marginal de décarbonation. Observée dans les industries émettrices, cette relation permet de mieux cibler les priorités d’action. Enfin, la tarification carbone joue un rôle clé en tant qu’incitatif économique, encourageant les entreprises à adopter des pratiques et des technologies plus respectueuses de l’environnement.

Une palette de stratégies plutôt qu’une politique unique

Dans un deuxième temps, le présent rapport propose une analyse approfondie de ce nouvel outil qu’est l’intensité carbone, en décortiquant les deux déterminants qui composent cet indicateur.

Plus spécifiquement, on y explique que l’intensité carbone est le produit de deux variables : l’efficacité énergétique, soit la quantité d’énergie par unité de PIB, et le coefficient des émissions, soit la quantité de GES émise par unité d’énergie consommée. Cette décomposition permet d’isoler, pour la trajectoire de l’intensité carbone d’une industrie donnée, l’influence que peuvent avoir ses pratiques de consommation de celle provenant du contenu carbone des sources d’énergie utilisées.

Bien que cette analyse favorise une meilleure compréhension des facteurs qui contribuent à accroître l’intensité carbone d’une industrie donnée et d’identifier les meilleures façons de la réduire, elle permet surtout d’illustrer la grande diversité des problématiques propres à chaque secteur économique et à chaque entreprise, et de démontrer qu’en termes de décarbonation, il n’y a pas de solution unique. Pour être efficaces, les efforts de décarbonation doivent donc plutôt reposer sur une panoplie d’outils et sur une diversité de cheminements comme l’électrification, l’efficacité énergétique, la transformation des procédés ou encore l’innovation technologique, dont les effets respectifs sont en outre modulés en fonction des structures de coûts.

Cette grande hétérogénéité des situations et des trajectoires sera, par ailleurs, illustrée dans la troisième partie du présent rapport qui propose une analyse de l’intensité carbone par secteur économique et qui approfondit le diagnostic amorcé dans le premier rapport en examinant de façon détaillée l’évolution des composantes de l’intensité carbone, soit l’intensité énergétique et les coefficients d’émissions de GES.

Enfin, le profil de 11 industries fortes émettrices de GES permet d’apporter un éclairage nouveau sur les défis qui attendent chacune d’entre elles. À titre d’exemples, pensons à des gains d’efficacité énergétique à réaliser, des transitions énergétiques à entreprendre ou encore des modifications à apporter dans les procédés industriels. En mettant en relief leurs spécificités et la diversité des stratégies dont elles disposent, ces analyses permettent de mieux déterminer l’orientation que doit adopter chaque secteur économique au Québec.

Encadré 1 : D’autres mesures de l’intensité carbone

Plusieurs mesures et analyses de l’intensité carbone ont servi de référence aux auteurs de cette étude de l’Institut du Québec. Par exemple, Statistique Canada publie chaque année des données sur l’intensité directe et indirecte en énergieainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, ces données se limitent à une vision globale de la situation canadienne et sont basées sur le PIB nominal. Cela pose problème lorsqu’il s’agit d’analyser l’évolution de l’intensité carbone sur une longue période, car l’utilisation de valeurs nominales rend l’indicateur sensible aux fluctuations des prix. De son côté, l’Institut climatique du Canada propose également une évaluation de l’intensité des émissions, mais uniquement à l’échelle nationale et par secteur économique.

Sur le plan international, la firme PwC UK compare les pays sur la base de leur intensité carbone, en se limitant cependant aux émissions de GES associées à la consommation énergétique. Enfin, l’Agence internationale de l’énergie compile et publie ces mêmes données, mais en proposant en plus une approche sectorielle.

Pour mieux comprendre les coûts de la décarbonation

Ce qu'il faut retenir

  • Les coûts de la décarbonation sont déterminants pour la réussite de la transition climatique. Ils influencent les choix technologiques, les stratégies économiques et les investissements nécessaires pour réduire les émissions de GES.

  • Décarboner, c’est éviter des coûts sociaux majeurs à long terme. Même si ces coûts sont parfois difficiles à quantifier, ils justifient l’action dès aujourd’hui : il est moins coûteux d’agir maintenant que de réparer les dommages climatiques plus tard.

  • Il faut distinguer coûts privés (pour les entreprises) et impacts publics (pour la société). Certaines mesures de décarbonation peuvent même générer des bénéfices nets, surtout si une tarification carbone est en place.

  • Les coûts marginaux de décarbonation varient selon les secteurs. Les premières réductions sont moins coûteuses ; les suivantes exigent des efforts plus importants. Les secteurs les plus émetteurs offrent souvent les réductions les plus abordables.

  • Mieux comprendre ces coûts permet de cibler les efforts là où ils sont les plus efficaces et d’orienter les politiques publiques pour maximiser l’impact des actions climatiques.

Les coûts de la décarbonation comptent parmi les principaux facteurs déterminants la réussite des efforts visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces émissions sont responsables de l’aggravation des changements climatiques, lesquels engendrent des coûts économiques, sociaux et environnementaux significatifs. Cependant, la mise en œuvre de trajectoires pour atteindre les cibles de réduction des GES comporte également des coûts importants qui doivent être identifiés et analysés.

Ces coûts ont une influence directe sur les processus de décision, qu’il s’agisse de choix technologiques, de stratégies économiques à adopter ou encore d’investissements nécessaires pour accélérer la transition énergétique. Dans cette section, nous proposons une réflexion éclairée par la recherche sur les différents mécanismes par lesquels ces considérations de coûts affectent la trajectoire de décarbonation des industries, tout en explorant les implications pour les politiques climatiques et les outils d’incitation.

1- Le socle à ne pas oublier : le coût des changements climatiques

Les changements climatiques entraînent de nombreux dommages, dont plusieurs sont difficiles à traduire en termes économiques. Cette complexité ne rend toutefois pas leur évaluation impossible. À titre d’exemple, l’Institut climatique du Canada offre aux décideurs et à la société civile une série de rapports de recherche et d’analyses visant à éclairer ces enjeux. Par ailleurs, l’Institut du Québec a récemment publié un rapport intitulé Mettre un prix sur la pollution pour mieux décider : Comment intégrer un coût social du carbone aux politiques québécoises. Ce rapport explore de façon détaillée le concept du coût social du carbone, une approche permettant de quantifier les multiples dommages causés par les changements climatiques en termes économiques. Cette méthodologie constitue un outil essentiel pour guider les politiques publiques et justifier les efforts de décarbonation à l’échelle mondiale.

Sur le plan international, le coût des dommages climatiques se retrouve au cœur de la justification économique pour s’engager dans la voie de la décarbonation. Cette justification repose sur l’idée, soutenue par la science, que les coûts actuels pour décarboner sont moindres que ceux engendrés dans le futur par l’inaction et que les retards à intervenir risquent d’avoir des effets irréversibles qu’un ajustement a posteriori des politiques ne pourra compenser. Évidemment, une bonne dose d’incertitude entoure cette justification. Toutefois, les travaux de bon nombre d’experts tendent à convaincre de plus en plus d’États de s’engager sur la route de la carboneutralité. D’autant plus que l’amélioration des connaissances amoindrit l’incertitude. D’ailleurs, plusieurs grandes institutions financières et organismes internalisent de plus en plus ces coûts.

Bien qu’il soit parfois difficile d’établir un parallèle direct entre ces coûts sociaux, – généralement intangibles et qui s’inscrivent souvent dans un horizon temporel lointain – et les coûts de la décarbonation, – avec leurs effets immédiats et concrets sur les finances publiques, les comportements, les dépenses des industries et les entreprises –, il est primordial de garder à l’esprit que le poids de ces coûts sociaux constitue le socle des politiques de décarbonation.

2- Distinguer les coûts et les bénéfices privés des impacts publics

Il importe de bien distinguer la nature des coûts et des bénéfices qui sont à l’étude. Dans le contexte du coût social du carbone, le cadre d’analyse est de portée publique puisque le concept inclut le coût de tous les dommages subis par la société à la suite de l’émission d’une tonne de GES additionnelle. Cette description intègre donc autant les dommages sur l’environnement que sur la santé publique ou encore les activités des entreprises. On retient davantage cette notion publique dans le contexte d’une analyse de type coûts-bénéfices. Dans le cas des coûts de décarbonation cependant, le cadre d’analyse est plutôt privé, c’est-à-dire que l’analyste se concentre sur le coût pour les entreprises d’adopter des pratiques ou des technologies destinées à la décarbonation.

Dans certaines analyses, les coûts de la décarbonation affichent des valeurs négatives, ce qui correspond dans les faits à des bénéfices financiers nets. Ce phénomène survient lorsqu'une mesure de décarbonation génère, sur l'ensemble de sa durée de vie, des économies (par exemple, en carburant ou en entretien) qui sont supérieures à son coût d'investissement initial. Dans un tel cas, le projet est rentable du seul point de vue de l'entreprise qui l'adopte, avant même de considérer les bénéfices pour la collectivité. Au Québec, certaines études ont mené à des conclusions où la décarbonation procure de tels bénéfices ou, en d’autres mots, à des valeurs négatives du coût marginal de décarbonation.

Par exemple, une étude réalisée par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal a analysé les coûts et bénéfices potentiels d’un transfert modal du transport routier lourd vers le ferroviaire. Ce projet a permis d’évaluer les coûts marginaux de décarbonation en s’appuyant sur différentes technologies (voir graphique 1). Certaines des technologies étudiées présentent des coûts marginaux négatifs, ce qui signifie qu’elles génèrent non seulement une réduction des émissions de GES, mais qu’elles offrent également des bénéfices économiques nets. En d’autres termes, ces technologies permettent de réaliser des économies globales lorsqu’on prend en compte à la fois leurs coûts d’adoption et d’implantation pour les entreprises, ainsi que les bénéfices collectifs qu’elles engendrent, comme une diminution des coûts sociaux et environnementaux liés aux émissions de GES.

Graphique 1

L’utilisation de valeurs négatives pour représenter les coûts marginaux de décarbonation peut prêter à confusion. Ces valeurs pourraient laisser croire que les technologies ou pratiques de décarbonation sont toujours rentables pour les entreprises qui les adoptent. Cependant, ce n’est généralement pas le cas, sauf si une tarification du carbone est en place pour augmenter le coût de l’émission d’une tonne de GES. Sans cette tarification, les économies potentielles ne suffisent souvent pas à compenser les coûts initiaux d’adoption et d’implantation de ces technologies.

3- La croissance des coûts marginaux de la décarbonation

Les coûts de décarbonation sont souvent présentés en termes de coûts marginaux, soit la réduction des émissions de GES pour les entreprises qui adoptent les technologies qui le permettent. Le coût marginal porte alors sur le coût de réduire une tonne additionnelle de carbone. Ce concept permet de capter le fait que les coûts de la décarbonation ne sont pas constants. Ainsi, le coût pour réduire les premières tonnes de GES n’est pas égal à celui pour diminuer les dernières tonnes. Les coûts s’accroîtront avec le temps car les entreprises opteront d’abord pour les mesures les plus accessibles et les moins coûteuses afin d’obtenir rapidement des résultats et devront ensuite progressivement recourir à des interventions plus onéreuses, si elles n’ont pas atteint leurs objectifs. Une dynamique observée dans d’autres sphères de l’activité économique, comme les finances publiques où pour réduire un déficit, les gouvernements cibleront d’abord les dépenses les plus faciles à réduire. À titre d’exemple, dans le domaine de l’énergie, Hydro-Québec privilégiera les projets de centrales hydroélectriques dont le coût du mégawatt est le plus faible.

La modulation du coût marginal de décarbonation est un des plus importants facteurs dans le choix des technologies à adopter. Dans un rapport produit pour le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), Dunsky Énergie + Climat a bien illustré ce profil des coûts marginaux de la décarbonation au Québec. On y constate que bien qu’actuellement coûteuses, certaines technologies seront tout de même nécessaires pour accomplir l’ensemble de la réduction des émissions de GES que le Québec envisage. L’implantation de ces technologies plus coûteuses pourra être remise à plus tard en souhaitant que leurs coûts s’atténuent avec le temps. Cette stratégie comporte deux avantages. Elle permet dans un premier temps de réduire à moindre coût une quantité importante d’émissions à court et à moyen terme. Puis, de miser sur les avancées technologiques pour s’attaquer plus tard aux émissions les plus difficiles et les plus onéreuses à éliminer.

Pour déterminer le plus justement possible le profil des coûts marginaux de décarbonation, les experts utilisent des outils de modélisation qui permettent de prédire deux éléments essentiels à l’évaluation. D’abord, la consommation des différentes formes d’énergie est modélisée en fonction de plusieurs facteurs qui l’influencent. Par ailleurs, les analystes prédisent au mieux la séquence de l’avènement des différentes technologies ainsi que leur ratio coût-efficacité.

4- La prise en compte des coûts implicites

Les chercheurs Gamtessa et Çule ont pour leur part évalué le coût marginal de décarbonation sur la base des industries. Leur analyse a couvert 30 industries et exploitait les données portant sur la période s’échelonnant de 2009 à 2015. Leur approche se fondait sur l’utilisation des coûts implicites. L’évaluation de ces coûts retient pour hypothèse que la réduction des émissions de GES peut engendrer une baisse de l’activité économique concernée.

Par exemple, dans le cas d’une cimenterie, cette entreprise devrait diminuer sa production de ciment pour réussir à réduire les émissions de GES qu’elle engendre. Le coût implicite de cette baisse d’activité équivaut au bénéfice perdu, aussi appelé coût d’opportunité.

Les chercheurs ont mesuré le coût marginal de décarbonation pour chacune des 30 industries qu’ils ont étudiées. Selon l’industrie, la valeur du coût marginal oscille autour de 130 $/tonne, mais une grande variabilité est observée. Par exemple, le coût de décarbonation se chiffre à moins de 5 $/tonne pour l’industrie de la fabrication du papier alors qu’il s’élève à plus de 300 $/tonne pour celle de la construction (graphique 2).

5- Les liens entre le coût marginal et l’intensité

Par ailleurs, les chercheurs Gamtessa et Çule ont aussi observé une relation inverse entre l’intensité carbone des industries et leur coût marginal de décarbonation. Les auteurs indiquent que les industries à la plus faible intensité carbone sont confrontées à des coûts marginaux de décarbonation plus élevés. L’industrie de la construction constitue un exemple probant de ce constat : comme elle émet relativement peu de GES, ses dépenses en capital pour des technologies de décarbonation (qui sont élevées), sont distribuées sur un petit nombre de tonnes de GES à réduire. Résultat : le coût marginal de décarbonation s’en trouve alors plus élevé.

Cette relation inverse entre l’intensité carbone et le coût marginal de décarbonation s’observe lorsque l’on met en parallèle l’évaluation de Gamtessa et Çule avec les mesures d’intensité carbone par industrie obtenues dans le premier rapport de ce projet de recherche (graphique 2). En reprenant l’exemple de l’industrie de la construction, son coût marginal de décarbonation est le plus élevé parmi les industries sélectionnées (311 $/tonne de CO2 réduite). Pourtant, au Québec, le secteur de la construction est l’un des plus faibles en intensité carbone dans toute l’économie (55 tonnes de CO2 par million de dollars de PIB).

Graphique 2
Graphique 3

Analyse sectorielle

Ce qu'il faut retenir

  • Un diagnostic sectoriel révèle que 11 industries sont responsables de la grande majorité des émissions industrielles du Québec, mais leur performance en matière de décarbonation varie considérablement.

  • Trois profils d’évolution ressortent : certaines industries réduisent à la fois leurs émissions et leur intensité carbone, d’autres progressent trop lentement, et quelques-unes voient même leur intensité carbone augmenter.

  • L’analyse distingue deux leviers principaux : l’efficacité énergétique (consommer moins d’énergie par unité de production) et le coefficient d’émissions (choix des sources d’énergie).

  • Les limites de données, notamment la distinction entre émissions énergétiques et de procédés, rappellent l’importance de raffiner les outils d’analyse pour un suivi plus précis.

  • Ce diagnostic aide à cibler les efforts et à adapter les stratégies de décarbonation selon la réalité propre à chaque secteur.

Dans le premier rapport publié dans le cadre de ce projet de recherche, 11 industries avaient été sélectionnées pour fins d’analyse. Au total, ces industries étaient responsables de 76 % des émissions de GES et représentaient un tiers du PIB des entreprises du Québec.

Cette première analyse avait permis de classer ces 11 industries en trois catégories selon leur profil de décarbonation et de croissance économique observé entre 2009 et 2021.

Ces trois catégories regroupaient les industries selon les critères suivants :

  1. Baisse de l’intensité carbone – Croissance économique et réduction des émissions de GES

  2. Baisse de l’intensité carbone – Croissance économique supérieure à l’augmentation des émissions de GES

  3. Augmentation de l’intensité carbone

Les deux premières catégories présentent une baisse de l’intensité carbone. Dans la première, la baisse de l’intensité carbone est attribuable à une diminution des émissions de GES. Dans la deuxième, une hausse des émissions de GES est observée, mais comme cette dernière est moindre que celle du PIB, une baisse de l’intensité carbone a tout de même pu être réalisée. Cette distinction, très importante, permet d’éviter ce qui a été qualifié d’effet-rebond dans certaines études antérieures. Ainsi, tous les calculs relatifs aux trajectoires futures d’intensité carbone, effectués tant dans le présent rapport que dans le précédent, comportent pour contrainte les cibles de réduction des émissions contenues dans le Plan pour une économie verte 2030. Par conséquent, les valeurs d’intensité carbone projetées en 2030 ne reposent jamais sur une hausse des émissions de GES au cours de la période de projection.

Aller plus loin dans le diagnostic de l’intensité carbone

Le diagnostic effectué dans le cadre de la première analyse se limitait à examiner la contribution de chaque industrie aux objectifs généraux, en fonction de la trajectoire passée de leur intensité carbone. En résumé, ce rapport révélait que mises à part les industries du commerce de gros, de la fabrication en général et, de la fabrication de produits en bois, les secteurs d’activité québécois affichent des performances insuffisantes à l’atteinte simultanée des objectifs économiques et environnementaux.

Le présent rapport propose une analyse plus approfondie de la situation avec de nouveaux résultats qui permettent de déterminer quels changements chacune des industries doit apporter afin que sa propre trajectoire sectorielle d’intensité carbone soit compatible avec les objectifs visés par les politiques publiques.

En utilisant l’équation de Kaya (annexe 1), soit l’approche retenue pour réaliser le diagnostic de la trajectoire d’intensité carbone des industries sélectionnées, et en isolant les niveaux de population et de richesse, les auteurs ont pu distinguer les deux grandes composantes de l’intensité carbone : l’intensité énergétique et le coefficient d’émissions (figure 1). Il faut toutefois noter que ce cadre s'applique surtout aux émissions liées à l'énergie ; les émissions de procédé (ex: ciment, aluminium), qui sont inhérentes au processus de production lui-même, représentent un défi distinct qui vient influencer le calcul du coefficient d'émissions.

Figure 1
Les composantes de l’intensité carbone en isolant les effets « population » et « niveau de richesse »

L’intensité énergétique d’une industrie représente la quantité d’énergie consommée par rapport à son PIB. Il s’agit d’un ratio exprimé en térajoules par million de dollars de PIB (TJ /M$). Une baisse du ratio signifie que l’efficacité énergétique s’améliore.

L’indicateur « coefficient d’émissions » mesure, quant à lui, la quantité d’émissions de GES par unité d’énergie consommée. Ce ratio s’exprime en millions de tonnes de CO2 par pétajoule d’énergie (Mt/PJ). Comme plusieurs industries s’approvisionnent à différentes sources d’énergie (électricité, gaz naturel, mazout, etc.), le coefficient d’émissions dans la présente étude correspond à une pondération des coefficients d’émissions des différentes sources énergétiques que chacune d’entre elles consomme.

Pour résumer, l’intensité énergétique représente la quantité d’énergie consommée à un niveau donné de production alors que le coefficient des émissions correspond au contenu carbone de l’énergie consommée. À la lumière de ces informations, une industrie pourra donc réduire son intensité carbone, soit en réduisant sa consommation d’énergie, en s’approvisionnant à des sources d’énergie plus sobres en carbone ou encore en combinant les deux approches.

Les limites de l’analyse : des données dont la disponibilité et la cohérence constituent un frein

Les valeurs des coefficients d’émissions présentées dans ce rapport comportent une limite notable : elles regroupent à la fois les émissions de GES issues des procédés industriels et celles liées à la consommation énergétique, sans permettre de distinguer précisément la contribution respective de chaque source. Cette limitation affecte particulièrement certaines industries, comme les cultures agricoles et l’élevage, où les principales émissions proviennent des pratiques agricoles (ex. : gestion des sols, fermentation entérique), ainsi que la première transformation des métaux et la fabrication de ciment et de produits en béton, où la majorité des émissions est liée aux procédés industriels spécifiques (ex. : électrolyse, calcination). Selon l’Inventaire officiel canadien des gaz à effet de serre, ces procédés représentent une part importante des émissions totales pour ces secteurs. Il est donc important de tenir compte de cette limite lors de l’interprétation des résultats.

Plus spécifiquement, la trajectoire d’intensité carbone des 11 industries présentées dans le premier rapport reposait sur des données d’émissions de GES contenues dans les Comptes de flux physiques (CFP) produits par Statistique Canada. Les CFP comportent également des données sur la consommation d’énergie par industrie, mais à l’échelle canadienne seulement. La consommation d’énergie à l’échelle provinciale, par industrie et par source énergétique, est plutôt disponible dans la Base de données nationale sur la consommation d’énergie de Ressources naturelles Canada. À ce jour, seules les données tirées de cette banque permettent de calculer l’intensité énergétique et le coefficient d’émissions par industrie à l’échelle des provinces.

La nécessité de faire appel à différentes sources de données impose certaines contraintes qui influencent l’analyse

  • Ainsi, pour certaines industries, des différences en matière de quantité d’émissions de GES totales ont pu être observées entre les données présentées dans le premier rapport de ce projet de recherche et la présente étude qui lui fait suite. Cette situation s’applique principalement aux industries des cultures agricoles et élevage, de la construction ainsi qu’aux trois sous-secteurs de la fabrication, soit la fabrication de produits en bois, la fabrication de papier et l’extraction minière et l’exploitation en carrière. Elles s’expliquent par des approches méthodologiques différentes pour mesurer les émissions d’une source de données à l’autre.

  • Il convient de clarifier la portée des données utilisées. La Base de données nationale sur la consommation d’énergie (BNCE) compile les émissions de GES uniquement par source d’énergie ; les émissions provenant des procédés industriels n'y sont donc pas incluses. Résultat : les coefficients d’émissions calculés dans ce rapport reflètent exclusivement l’intensité carbone du bouquet énergétique d'une industrie, mais pas son empreinte carbone totale. Pour les secteurs où les émissions de procédé sont importantes, cette approche mène à une sous-estimation de leur intensité carbone réelle. Cette limite méthodologique est mise en perspective pour chacun des profils sectoriels présentés.

  • Notons également que pour deux sous-secteurs de l’industrie de la fabrication – fabrication de produits en bois et fabrication de matériel de – l’analyse du profil de l’industrie présentée repose sur le profil de la fabrication en général. Les données disponibles à l’échelle du Québec ne permettant pas d’évaluer l’intensité énergétique et le coefficient d’émissions de ces deux sous-secteurs.

Le tableau 1 présente une synthèse des résultats pour chacune des 11 industries sélectionnées, soit la valeur du PIB, des émissions de GES, de l’intensité carbone, de la consommation d’énergie ainsi que de l’intensité énergétique et du coefficient d’émissions observés en 2021. Cette synthèse se veut davantage informative puisque c’est surtout l’évolution de chaque indicateur au fil du temps qui compte. Plus spécifiquement, l’analyse de cette évolution permet d’identifier les leviers qui favorisent la décarbonation. Selon l’industrie, certaines doivent améliorer leur efficacité énergétique – c’est-à-dire favoriser une baisse de leur intensité énergétique – alors que d’autres doivent opérer une réduction de leur coefficient d’émissions en substituant la consommation d’énergie fossile par de l’énergie renouvelable.

Tableau 1
Portrait sectoriel des émissions de GES, de la consommation d’énergie, de l’intensité énergétique et du coefficient d’émissions en 2021

Ces résultats mettent en évidence une nuance importante. Si les efforts d'efficacité énergétique sont généralement justifiés par des gains de compétitivité économique, leur contribution aux objectifs climatiques varie selon le profil de l'industrie. Lorsqu’un secteur utilise déjà une grande quantité d’énergie renouvelable et affiche donc un faible coefficient d’émissions, l'impact de chaque unité d'énergie économisée sur la réduction des GES est plus modeste. Dans un tel cas, l'argument économique devient le principal, sinon l'unique, levier pour prioriser ces investissements, tandis que le bénéfice climatique direct est secondaire.

En revanche, si une industrie consomme relativement peu d’énergie mais qu’il s’agit d’énergie fossile, elle peut être compétitive grâce à une faible intensité énergétique, tout en ayant une empreinte carbone élevée. Dans ce cas, le levier de l’efficacité énergétique offre un potentiel de réduction limité, tant sur le plan économique (les économies étant calculées sur une faible consommation) que climatique. Par conséquent, la voie de décarbonation la plus pertinente pour elle ne réside pas dans la réduction de sa consommation, mais bien dans la transition énergétique vers des sources plus propres, qui devient alors le principal levier d'action pour réduire significativement ses émissions.

À chaque industrie ses technologies de décarbonation

Les profils sectoriels présentés au chapitre suivant permettent d’apporter un certain éclairage sur les défis qui attendent chacune des industries au Québec. Qu’il s’agisse de gains d’efficacité énergétique à réaliser, de transition énergétique à entreprendre ou encore de modifications à effectuer dans les procédés industriels, cette analyse permet de mieux déterminer l’orientation que chaque secteur économique doit adopter.

Il est recommandé aux intervenants de chaque industrie de s’inspirer des références (voir annexe) citées dans le premier rapport de cette série. Ces dernières leur procureront une information très riche, autant sur les procédures que sur les solutions et les technologies de décarbonation .

Enfin, il serait aussi pertinent de jeter un œil sur le tableau 2 avant d’approfondir davantage le diagnostic dans les sections suivantes. Ce dernier propose un aperçu général des combinaisons potentielles entre les technologies de décarbonation et les industries sélectionnées pour l’analyse.

Tableau 2
Combinaisons des technologies de décarbonation relatives aux industries sélectionnées

Ce qu'il faut retenir

  • Chaque profil sectoriel brosse un portrait clair et comparable des onze principales industries émettrices du Québec, en mettant en lumière leur poids économique, leurs émissions de GES, leur intensité carbone et leur consommation d’énergie.

  • L’analyse combine des indicateurs économiques, environnementaux et énergétiques afin de mieux comprendre la dynamique propre à chaque secteur et d’identifier les leviers d’action prioritaires.

  • Pour chaque industrie, la présentation structurée des constats, des pistes d’action et des technologies de décarbonation permet de cibler rapidement les défis et solutions les plus prometteurs pour accélérer la transition.

  • Cette approche facilite la comparaison entre secteurs et outille les décideurs pour prioriser les efforts là où ils auront le plus d’impact sur la réduction des émissions de GES et la création de richesse.

fiches sectorielles

Toutes les fiches sectorielles présentées dans les pages qui suivent ont la même structure, comme illustré dans l’image ci-dessous.

Dans le bandeau, au haut de chaque fiche, on trouve le nom, le numéro de l’industrie SCIAN (Système de classification des industries de l’Amérique du Nord), une brève description de celle-ci, ainsi que le portrait de l’industrie en matière d’émissions de GES, de valeur du PIB réel, de l’intensité carbone et du nombre d’emplois, et ce, en nombres absolus et en pourcentage de l’ensemble des industries.

Deux graphiques suivent en dessous. Celui de gauche présente la trajectoire passée de l’intensité carbone de l’industrie, ainsi que deux trajectoires futures potentielles. Celle identifiée par un pointillé bleu illustre la trajectoire actuelle, soit la tendance 2009-2021. La trajectoire identifiée par un pointillé vert illustre plutôt la trajectoire souhaitée afin d’être cohérente avec l’objectif du PEV en 2030.

La trajectoire passée est ensuite décomposée dans le graphique de droite, qui illustre l’évolution des émissions de GES et du PIB pour la période de 2009 à 2021.

La fiche se conclut par les principaux constats à tirer sur la trajectoire passée de l’intensité carbone de l’industrie, ainsi que ses trajectoires potentielles futures. De plus, pour la plupart des industries, des références sont fournies pour accompagner les parties prenantes et leur procurer des repères. Les références internationales doivent être adaptées au contexte québécois. Quant aux références québécoises, elles doivent aussi être adaptées selon la nature de l’entreprise ou du projet auquel on souhaite l’appliquer. Dans tous les cas, le jugement des experts est toujours requis. Soulignons enfin que pour quatre industries, il n’a pas été possible de fournir des références adéquates. Cela concerne les industries de la fabrication de produits en bois, la fabrication de matériel de transport, le commerce de gros et le transport commercial de personnes.

Fiche sectorielle 1

Constats

  • Au Québec, l’évolution de l’intensité carbone de l’industrie du commerce de gros est exemplaire. Si cette tendance se maintient, l’intensité carbone de ce secteur sera inférieure de 27 % à la trajectoire permettant de rencontrer l’objectif visé par le Plan pour une économie verte pour 2030 (graphique 1.A). Ce résultat est le fruit d’une réduction des émissions de GES de 20 % entre 2009 et 2021 et d’une augmentation du PIB de plus de 40 % au cours de cette même période (graphique 1.B), ce qui a permis une réduction de 20 % des émissions de GES.

  • On note également que l’intensité carbone dans ce secteur au Québec se démarque par une stabilité du coefficient d’émissions et une absence de changement notable dans les sources d’énergie utilisées (graphique 1.C). En revanche, on observe une amélioration très importante de l’intensité énergétique, avec une baisse de 45 %. Le phénomène se traduit par un gain impressionnant de l’efficacité énergétique dans les bâtiments. Ainsi, bien que la surface de plancher se soit accrue de 13 % entre 2009 et 2021, la consommation énergétique a chuté de plus de 20 %.

  • L’empreinte de cette industrie s’explique principalement par le secteur des bâtiments commerciaux dont la consommation énergétique est en grande partie attribuable aux charges thermiques, notamment le chauffage et la climatisation.

  • Le graphique 1.D montre que la surface de plancher qui s’est accrue depuis 2009, a été accompagnée d’une réduction de l’intensité énergétique. Comme les sources énergétiques sont demeurées les mêmes au cours de cette période, il apparaît que la réduction des émissions serait principalement due à des gains d’efficacité énergétique plutôt qu’à l’électrification.

  • Enfin, il est important de noter que les activités comptabilisées dans ces tableaux n’incluent que les émissions liées à la manutention des biens, et non celles associées à leur fabrication ou encore à leur utilisation. La hausse du PIB observée dans ce secteur serait donc la résultante d’une augmentation de l’activité – et potentiellement des émissions de GES – dans le secteur de la fabrication (tous secteurs) et ce, tant au Québec qu’ailleurs.

Pistes d'action

  • Les charges thermiques, notamment le chauffage et la climatisation, sont relativement simples à optimiser grâce à des mesures d’efficacité énergétique, et à décarboner complètement en utilisant des thermopompes, bien adaptées à ces besoins de chauffage.

  • Le secteur du commerce de gros devrait continuer à croître dans les prochaines années. Pour réduire ses émissions de GES, il devra améliorer son intensité énergétique, notamment en substituant les combustibles fossiles par des sources d’énergie renouvelable. L’électrification des systèmes de chauffage, par exemple grâce à l’acquisition de thermopompes, constituera une étape clé pour réduire son coefficient d’émissions.

Technologies de décarbonisation

  • Technologies d’efficacité énergétique

  • Électrification de l'équipement

  • Utilisation de technologies de gestion des stocks intelligentes

Fiche sectorielle 2

Constats

  • Bien qu’encourageante, la trajectoire de l’intensité carbone de l’industrie de la fabrication demeure insuffisante. Si la tendance observée entre 2009 et 2021 se maintient, l’intensité carbone de ce secteur sera 70 % supérieure au niveau permettant de rencontrer l’objectif visé par le Plan pour une économie verte en 2030 (graphique 2.A).

  • Entre 2009 et 2021, le PIB du secteur manufacturier québécois s’est accru de 9 %, alors que ses émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 3 %, se traduisant par une réduction notable de son intensité carbone (graphique 2.B).

  • Puisqu’au Québec, ce secteur est responsable, à lui seul, de près de la moitié (42 %) des émissions de GES de l’ensemble des industries, il lui faudra accentuer ses efforts de décarbonation.

  • Au cours de la période 2009-2021, l’intensité énergétique de ce secteur s’est légèrement accrue (2 %). C’est donc principalement la baisse de son coefficient d’émissions (-13 %) qui a permis d’abaisser son intensité carbone, tout comme ses émissions de GES en valeur absolue (graphique 2.C).

  • Bien que ce secteur soit déjà aux deux tiers électrifié, la transition qu’il a effectuée vers des carburants moins polluants a permis d’abaisser son coefficient d’émissions. On observe notamment une transition du mazout vers le gaz naturel, et du gaz naturel vers l’électricité.

Pistes d'action

  • Le secteur de la fabrication se compose de plusieurs sous-secteurs qui peuvent être très différents les uns des autres et ainsi, présenter des trajectoires et des potentiels de décarbonation bien distincts. D’ailleurs, la référence aux coûts marginaux de décarbonation par industrie citée précédemment (Gamtessa et Çule, 2023) illustre bien cette hétérogénéité.

  • Pour réduire davantage ses émissions de GES, le secteur de la fabrication devra intensifier ses efforts en matière d’efficacité énergétique tout en poursuivant sa transition vers des carburants propres. Cependant, bien qu’elle engendre d’importantes retombées économiques, l'augmentation accrue de la fabrication de biens pose un défi pour la décarbonation.

  • Ce contraste doit être considéré sérieusement dans l'élaboration des politiques industrielles de la province. Cela est d’autant plus important qu’il est très difficile d’estimer avec justesse le bilan carbone du rapatriement des activités manufacturières menées dans un État tiers.

technologies de décarbonisation

  • Technologies d’efficacité énergétique

  • Électrification de l'équipement

  • Circularité, utilisation judicieuse des matériaux, recyclage et valorisation des déchets

Fiche sectorielle 3

Constats

  • Bien que l’intensité carbone du sous-secteur de la fabrication de produits en bois ait connu de fortes fluctuations entre 2009 et 2021 au Québec, des progrès forts encourageants ont tout de même été enregistrés au cours de cette période (graphique 3.A).

  • Si cette tendance se maintient, l’intensité carbone de ce sous-secteur pourrait être 34 % supérieure à la trajectoire permettant de rencontrer l’objectif visé par le Plan pour une économie verte pour l’horizon 2030 (graphique 2.A).

  • L’évolution de l’intensité carbone s’explique par une réduction de 21 % de ses émissions de GES alors que son PIB a connu une hausse de 22 % (graphique 3.B).

  • Comme précisé précédemment, les données de consommation énergétique pour le sous-secteur de la fabrication des produits en bois ne sont disponibles qu’à l’échelle canadienne. De plus, elles ne sont pas suffisamment détaillées pour définir des tendances de consommation par carburant, année après année.

  • Ces données permettent tout de même d’observer, pour les années où les données sont disponibles, une hausse de la consommation de la biomasse et une stabilité de la consommation électrique, ce qui se traduit par une réduction du coefficient d'émissions entre 2009 et 2021 (graphique 3.C).

  • Notons également qu’à l’échelle canadienne, la majeure partie (56 %) de la consommation énergétique de cette industrie pour l’année 2021 est attribuable aux résidus de bois, un sous-produit des activités de transformation.

Pistes d'actions

  • Pour réussir à réduire ses émissions de GES, le sous-secteur de la fabrication de produits en bois doit à la fois chercher à diminuer son intensité énergétique et son coefficient d’émissions.

  • Les composants structuraux en bois, de plus en plus utilisés pour remplacer ceux en acier, pourraient susciter une hausse de l'activité dans ce sous-secteur. Toutefois, les impacts énergétiques et environnementaux de la production de bois sont généralement bien inférieurs à ceux de la fabrication de l'acier. Il s’avère donc important de relativiser la hausse de l'empreinte carbone du secteur des produits en bois en tenant compte des bénéfices environnementaux globaux liés à cette substitution.

  • En matière de décarbonation, il existe très peu de données spécifiques au sous-secteur de la fabrication des produits en bois, au Québec comme ailleurs. Il est donc difficile d’orienter les décideurs vers des cibles à atteindre ou des solutions technologiques. Cependant, sur la base des données disponibles à l’échelle canadienne, le graphique 3.C laisse à penser que les solutions prioritaires se situent davantage du côté de la transition énergétique que de l’efficacité énergétique. Ainsi, bien que ce sous-secteur ait nettement réduit son intensité énergétique au cours des dernières années, sa performance semble plus mitigée en matière de coefficient d’émissions. Il serait donc sûrement avisé d’évaluer les gains réalisables à remplacer les énergies fossiles par davantage d’énergies renouvelables.

Technologies de décarbonisation

  • Technologies d’efficacité énergétique

  • Électrification de l'équipement

  • Circularité, utilisation judicieuse des matériaux, recyclage et valorisation des déchets

Fiche sectorielle 4

Constats

  • L’intensité carbone de l’industrie des cultures agricoles et de l’élevage a diminué entre 2009 et 2021, mais de manière insuffisante. Si cette tendance se maintient, son intensité carbone serait 46 % supérieure au niveau permettant de rencontrer l’objectif visé par le Plan pour une économie verte pour 2030 (graphique 4.A).

  • Bien que la situation ait progressé, l’intensité carbone de cette industrie demeure l’une des plus élevées au Québec. Cette amélioration s’explique principalement par une croissance du PIB (28 %) supérieure à celle des émissions de GES qui s’établit à 6 % (graphique 4.B).

  • De plus, bien que l'intensité énergétique dans cette industrie ait diminué de manière importante (-16 %), le phénomène n’est pas attribuable à une baisse de consommation d’énergie (graphique 4.C). Cette diminution de l’intensité énergétique s’explique plutôt par une croissance du PIB (28 %) supérieure à celle de la consommation d’énergie (8 %).

  • Le coefficient d’émissions n’a quant à lui presque pas diminué (-2 %) entre 2009 et 2021. Une situation attribuable surtout à une hausse des émissions de GES dans les pratiques agricoles – qui comptent pour plus des trois quarts des émissions de GES de cette industrie – plutôt qu’à la consommation énergétique.

  • Plus spécifiquement, c’est la gestion des sols agricoles, incluant la fertilisation, qui constitue la principale source d’émissions de GES et qui a contribué le plus fortement à les accroître (graphique 4.D). À l’origine de ce phénomène se trouvent les émissions de protoxyde d'azote, – un GES puissant –, qui prolifèrent avec le remplacement de cultures pérennes qui requièrent peu de fertilisants (p.ex. : foin) par des cultures annuelles fortes consommatrices d’engrais azotés (p. ex. : maïs-grain).

  • La fermentation entérique provenant de la digestion des ruminants et, principalement attribuable aux élevages bovins, constitue une autre source majeure d’émissions de GES dont le méthane. L'entreposage et la gestion des fumiers sont également des sources importantes d'émissions de gaz à effet de serre, en particulier de méthane et de protoxyde d'azote.

Pistes d'actions

  • Comme les émissions de GES sont principalement attribuables aux pratiques agricoles, c’est surtout la gestion des cultures qui permettra de les réduire, notamment par une meilleure gestion des sols agricoles.

  • Adopter de meilleures pratiques de gestion des fertilisants de ferme, notamment en matière de stockage et d’épandage des fumiers, pourra aussi contribuer à diminuer les émissions globales du secteur.

  • Le gouvernement du Québec a implanté en 2020 un Plan d’agriculture durable, une initiative visant à atténuer les pressions des activités agricoles sur l’environnement. Toutefois, la lutte et l’adaptation aux changements climatiques ne comptent pas expressément parmi les cinq objectifs du plan. Bien que ce plan gouvernemental vise à réduire de 15 % la fertilisation azotée sur les superficies en culture, – ce qui contribue assurément à la réduction des émissions de GES d’origine agricole –, il devrait aussi témoigner d’une volonté plus ferme et engagée envers la décarbonation de l’agriculture.

  • Comme il est difficile de fixer une cible quantitative pour cette industrie, il reviendra aux experts et aux intervenants de s’y pencher. Toutefois, signalons que la firme McKinsey a évoqué une cible de réduction de 0,5 % par année pour le secteur agricole afin de se conformer à l’esprit de l’Accord de Paris. Cette cible concorde par ailleurs avec la référence du Science Based Targets initiative (SBTi), qui évoque une réduction totale de 72 % d’ici 2050 comme cible de carboneutralité pour l’industrie agricole.

Technologies de décarbonisation

  • Gestion des sols

  • Gestion des élevages pour réduire les émissions de méthane

  • Usage accru de carburants et de combustibles renouvelables

Fiche sectorielle 5

Constats

  • Entre 2009 et 2021, l’intensité carbone dans l’industrie de la construction s’est accrue de 8 % selon les données de Ressources naturelles Canada (graphique 5.A). Cette tendance doit absolument s’inverser, car à défaut d’y arriver, l’intensité carbone de l’industrie de la construction au Québec excédera de 115 % la trajectoire permettant de rencontrer l’objectif visé par le Plan pour une économie verte pour 2030.

  • Une croissance des émissions de GES (42 %) supérieure à celle du PIB (32 %) explique cette tendance (graphique 5.B).

  • Bien que l’industrie de la construction ne figure pas parmi les plus grandes émettrices de GES au Québec; elle fait tout de même face à un défi de taille. À brève échéance, elle sera interpellée de toutes parts, en raison des grands chantiers d’infrastructures et projets énergétiques en vue, en plus de la demande très forte pour la construction résidentielle. Dans un tel contexte, une hausse de l’activité risque d’aggraver davantage la situation si elle ne parvient pas à réduire radicalement son intensité carbone.

  • La hausse de l’intensité carbone dans l’industrie de la construction s’explique surtout par une croissance de l’intensité énergétique, qui a progressé de 7 % entre 2009 et 2021 (graphique 5.C). De tous les secteurs économiques étudiés, cette industrie compte parmi celles qui affichent la plus forte intensité énergétique.

  • Ce secteur économique utilise principalement le diesel (64,5 %) et le gaz naturel (29,8 %) comme sources d’énergie, selon le graphique 5.D. Cette forte dépendance à ces combustibles fossiles complique la décarbonation de l’industrie, notamment en raison des besoins de mobilité liés aux chantiers de construction souvent situés hors réseau électrique, des préoccupations concernant la fiabilité des alternatives, ainsi que de la sensibilité aux coûts.

  • Notons également que son coefficient d’émissions ne s’est pas amélioré depuis 2009, en raison principalement des sources énergétiques utilisées (gaz naturel et diesel) et qui sont pratiquement demeurées les mêmes.

  • Enfin, notons que cette industrie est appelée à croître au cours des années à venir, notamment pour répondre à la demande de nouvelles infrastructures liées à la transition énergétique alimentée par des initiatives comme la Stratégie de développement éolien lancée l’an dernier par Hydro-Québec.

Pistes d'actions

  • Pour réduire ses émissions de GES, l’industrie de la construction devra adopter des technologies et des pratiques innovantes, telles que l'électrification des équipements, l'utilisation de matériaux de construction à faible empreinte carbone, et améliorer son efficacité énergétique sur les chantiers.

  • Il existe actuellement peu d’outils de références québécois relatifs aux cibles sectorielles et aux technologies de décarbonation pour cette industrie. À l’échelle internationale, les références portent surtout sur la catégorie « Bâtiments » et bien qu’elles puissent être exploitées par les intervenants du milieu – notamment la référence du SBTi – il faut garder à l’esprit que les protocoles et les procédures visent tant les sociétés immobilières que les institutions financières qui investissent dans ces projets. Ces références ne se limitent donc pas aux opérations associées aux activités de construction.

Technologies de décarbonisation

  • Combustibles alternatifs

  • Adoption de pratiques de construction à faibles émissions de carbone

  • Électrification des véhicules

Fiche sectorielle 6

Constats

  • Le sous-secteur de la première transformation des métaux comprend le raffinage du minerai de divers métaux tels que l’aluminium, l’acier et le titane. L’intensité carbone de ce sous-secteur connaît une baisse constante depuis le milieu des années 2010, après avoir enregistré une croissance soutenue lors des années précédentes (graphique 6.A). Toutefois, cette tendance est insuffisante car si elle se maintient, l’intensité carbone de ce sous-secteur excédera de 73 % le niveau permettant d’atteindre l’objectif visé par le Plan pour une économie verte en 2030.

  • Sur le plan historique, ce sous-secteur s’est à la fois distingué par son côté énergivore et fortement émetteur de GES. Sur l’ensemble de la période 2009-2021, la croissance de ses activités économiques (+12 %) a entraîné une hausse des émissions de GES de 7 % (graphique 6.B).

  • Depuis 2009, ce secteur a aussi connu une augmentation considérable de son intensité énergétique (graphique 6.C). Cette hausse s’explique par une croissance de la consommation d’énergie (+24 %) supérieure à celle du PIB de l’industrie (+12 %) Malheureusement, les données limitées de Ressources naturelles Canada ne permettent pas d’identifier la ou les sources d’énergie responsables de cette croissance en matière de consommation.

  • Comme la croissance de la consommation énergétique a été supérieure à la celle des émissions de GES (+24 % vs +7 %), cela s’est traduit par une réduction de 14 % du coefficient d’émissions. Il est donc raisonnable de présumer que la baisse de ce coefficient observé entre 2009 et 2021 résulte d’une plus grande consommation d’hydroélectricité pour chaque unité de PIB.

  • Bien que les émissions de CO2 de ce secteur proviennent de plusieurs sources, elles sont principalement attribuables à son procédé industriel. Dans la production d'aluminium, le processus d'électrolyse de la bauxite, utilisé pour fabriquer l'alumine, consomme une grande quantité d'énergie, tandis que la consommation des anodes génère des émissions de CO2 non énergétiques. De manière similaire, la production d'acier repose sur le processus de réduction du minerai de fer dans un haut fourneau, qui est à la fois énergivore et fortement émetteur de CO2. Ces émissions, directement liées au procédé industriel, sont difficiles à réduire sans un changement fondamental des technologies et des pratiques de production.

  • En parallèle, la demande pour les métaux primaires n’a pas fini de s’accentuer. Et comme le cycle d’investissement est très long dans ce secteur, des décisions d’investissement prises aujourd’hui risquent d’avoir des répercussions pendant encore longtemps sur les émissions de GES.

Pistes d'actions

  • En misant sur l’hydroélectricité, l’industrie de l’aluminium du Québec bénéficie d’un avantage compétitif important. Selon le World Economic Forum, l’intensité carbone moyenne mondiale de l’aluminium se situe à 11,2 tonnes de CO2par tonne produite. En comparaison, cet indicateur est seulement de 2,0 tonnes de CO2 par tonne au Québec, d’après l’Association de l’aluminium du Canada, grâce à l’utilisation quasi exclusive d’hydroélectricité. En poursuivant ses efforts en matière d’efficacité énergétique et, surtout, en accélérant sa transition vers une technologie de production d'aluminium qui élimine les émissions de gaz à effet de serre du procédé de fusion (développée notamment par ELYSIS), ce sous-secteur pourrait non seulement maintenir son avantage concurrentiel, mais également le renforcer sur les marchés internationaux.

  • Les intervenants du secteur disposent d’outils de références techniques pouvant les soutenir dans ces changements. Dans son guide La décarbonation et l’atteinte de la carboneutralité en entreprise, le Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ) consacre un chapitre entier aux solutions de décarbonation pour le secteur de l’aluminium tout comme pour celui de la sidérurgie. Le Guide sur la décarbonation industrielle compétitive propose également de nombreuses solutions technologiques pour le secteur de la première transformation des métaux.

  • Enfin, le Science Based Targets Initiative (SBTi) offre des références approfondies et des standards établis pour toute entreprise souhaitant entreprendre une démarche de décarbonation, et ce, autant dans le secteur de l’aluminium que de l’acier.

Technologies de décarbonisation

  • Technologies d’efficacité énergétique

  • Le captage et le stockage du CO2

  • Procédés de production d'aluminium sans carbone (ex: technologie ELYSIS)

Fiche sectorielle 7

Constats

  • En dépit d’une hausse de l’intensité carbone observée dans le sous-secteur du transport par camion de marchandises depuis le milieu des années 2010, une décroissance (-11 %) de cette intensité a tout de même pu être observée entre 2009 et 2021, soit la période retenue pour les fins de la présente analyse (graphique 7.A).

  • Cependant, comme l’intensité carbone de ce sous-secteur demeure élevée (en valeur absolue), cette baisse s’avère insuffisante pour atteindre l’objectif fixé par le Plan pour une économie verte pour 2030. Si la tendance se maintient, l’intensité carbone de ce sous-secteur excéderait de 84 % cet objectif d’ici cinq ans.

  • Alors que ce sous-secteur enregistrait, entre 2009 et 2021, une croissance de son PIB comparable à l’ensemble de l’économie québécoise, soit 20 %, ses émissions de GES augmentaient de 6 % (graphique 7.B).

  • Le coefficient d’émissions est demeuré stable (+2 %) entre 2009 et 2021 (graphique 7.C). Une situation qui s’explique essentiellement par le choix de sources énergétiques qui est resté relativement le même au fil du temps, avec deux tiers de la consommation énergétique associés au diesel et l’autre tiers à l'essence automobile.

  • En revanche, l’intensité énergétique a suivi une tendance inverse au coefficient d’émissions puisqu’elle s’est considérablement améliorée, en diminuant de 13 %. Ce gain d’efficacité énergétique est attribuable à une consommation en carburant qui a décliné. La consommation d’énergie par kilomètre parcouru a nettement régressé sur l’ensemble de la période étudiée, mais particulièrement entre 2009 et 2016 (graphique 7.D). Toutefois, cette consommation a repris de plus belle depuis et cette situation est préoccupante.

Pistes d'action

  • La décarbonation du sous-secteur du transport par camion de marchandises est un sujet largement étudié. Plusieurs études, dont celle effectuée par la Chaire en gestion du secteur de l'énergie de HEC Montréal, ont exploré en détail les solutions potentielles pour y parvenir.

  • En matière d’efficacité énergétique, des équipements plus performants permettraient de réduire l'empreinte carbone, mais des solutions de rechange comme le transfert modal, offriraient des options dont l’impact serait plus significatif.

  • Au-delà des gains d’efficacité énergétique, ce sous-secteur pourrait tirer profit de l’électrification pour réduire ses émissions de GES et envisager une rentabilité à long terme. L’adoption de véhicules électriques ou hybrides, ainsi que l’utilisation de carburants alternatifs comme le biodiesel, représentent des voies prometteuses pour parvenir à une réduction substantielle des émissions. Cependant, la transition vers ces technologies nécessitera des investissements importants et une adaptation des infrastructures existantes.

Technologies de décarbonisation

  • Électrification des véhicules

  • Transfert modal

Fiche sectorielle 8

Constats

  • L’intensité carbone du sous-secteur de l’extraction minière et de l’exploitation en carrière connaît une croissance soutenue depuis 2009 (graphique 8.A). Cette hausse s’explique par une augmentation des émissions de GES qui a été largement supérieure à la croissance économique du secteur, soit 98 % comparativement à 73 % (graphique 8.B).

  • Après avoir enregistré de fortes fluctuations au cours des années 2010, l’intensité carbone de ce sous-secteur est nettement, et constamment, en hausse depuis 2017. Si la tendance 2009-2021 se maintient, l’intensité carbone de l’industrie minière au Québec sera 93 % supérieure à la trajectoire souhaitée pour atteindre l’objectif fixé par le Plan pour une économie verte en 2030.

  • En analysant l'évolution de la consommation de carburants par ce secteur, on observe que sa plus forte consommation de coke, de gaz de fours à coke et de charbon (graphique 8.C) depuis 2017 a engendré une hausse de ses émissions de GES et, par conséquent, de son coefficient d’émissions. Il n'est pas clair dans quelles installations cette consommation s’est produite, car typiquement le coke n'est utilisé que pour le raffinage des minerais. Un accès à des données plus granulaires sur la consommation d’énergie par secteur permettrait une analyse plus précise à ce chapitre.

  • Côté exploitation et transport, les activités de ce sous-secteur nécessitent l'utilisation de véhicules lourds, principalement alimentés au diesel. De plus, comme ses installations sont surtout situées en région éloignée et hors des réseaux électriques, elles dépendent souvent d’énergies fossiles. Et ce, sans parler de ses installations de transformation qui exigent une forte consommation en électricité, pour alimenter par exemple, les broyeurs de roches. Ce profil de consommation peut toutefois varier considérablement d’une mine à l’autre.

  • Au cours des prochaines années, ce secteur est appelé à poursuivre sa croissance pour plusieurs raisons. Notamment, pour répondre à la forte demande en ressources induite par la transition énergétique, telles que le cuivre, le lithium, les terres rares et le graphite, toutes présentes au Québec. À l’instar des secteurs stratégiques de la première transformation des métaux, des changements ciblés dans certaines activités responsables des hausses d'émissions de GES dans le sous-secteur de l’extraction minière et de l’exploitation en carrière pourraient contribuer à réduire les émissions globales. Cependant, pour maximiser ces réductions, il est essentiel de considérer l’ensemble des leviers de réduction viables dans ces activités, en tenant compte des spécificités de chaque site et des technologies disponibles.

Pistes d'actions

  • Chose certaine, ce sous-secteur ne pourra être décarboné de façon uniforme. Les activités étant trop hétérogènes, complexes et variables d’année en année.

  • La transition énergétique risque d’accélérer la demande pour certains matériaux critiques. La croissance de l’activité de ce sous-secteur doit donc être évaluée en fonction de son effet, positif ou négatif, sur l’économie globale du Québec.

  • Les intervenants de ce secteur disposent d’outils de références techniques détaillés pour en apprendre davantage sur les solutions de décarbonation. À cet effet, le Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ) consacre tout un chapitre à l’industrie minière dans son guide La décarbonation et l’atteinte de la carboneutralité en entreprise. Le Guide sur la décarbonation industrielle compétitive propose également de nombreuses solutions technologiques pour le secteur minier, et ce, pour différents horizons futurs.

Technologies de décarbonisation

  • Électrification des véhicules

  • Combustibles alternatifs

Fiche sectorielle 9

Constats

  • L’intensité carbone du sous-secteur de la fabrication de ciment et de produits en béton a connu de fortes fluctuations depuis 2009, et encore plus particulièrement depuis 2017 (graphique 9.A). Si la tendance observée entre 2009 et 2021 se maintient, l’intensité carbone de ce sous-secteur sera plus de deux fois supérieure à la trajectoire souhaitée pour atteindre l’objectif fixé par le Plan pour une économie verte (PEV) à l’horizon 2030.

  • Cependant, le secteur a tout de même réussi à réduire son intensité carbone de 23 % (graphique 9.A) entre 2019 et 2021. Si cette tendance se maintient tout en évitant un effet d’entraînement entre la croissance du PIB et les émissions de GES, son intensité carbone se rapprocherait du niveau souhaité pour atteindre l’objectif du PEV en 2030.

  • La tendance haussière de l’intensité carbone pour ce sous-secteur s’explique par une croissance des émissions de GES (81 %) plus élevée que de celle du PIB (46 %) entre 2009 et 2021 (graphique 9.B).

  • Au cours de cette même période, la quantité absolue des émissions de GES a augmenté de plus de 80 % (graphique 9.B) et la consommation énergétique a suivi une tendance qui s’en approchait (+68 %). Comme cette dernière a cru davantage que le PIB, l’intensité énergétique a, par conséquent, augmenté de 16 % (graphique 9.C) au même moment.

  • La hausse des émissions de GES supérieure à celle de la consommation d’énergie a eu pour résultat d’accroître le coefficient d'émissions de 7 % (graphique 9.C).

  • La hausse de l’activité dans ce sous-secteur s’explique principalement par l'ouverture d'une nouvelle cimenterie au Québec. Ce sous-secteur détient l’un des scores en intensité carbone les plus élevés de l’économie québécoise.

  • La fabrication de ciment exige le chauffage de matières premières à très haute température, provoquant une réaction chimique qui produit du CO2. Ce procédé est à la fois énergivore et émetteur de carbone. Comme illustré au graphique 9.D, la principale source d'émissions de CO2 de ce sous-secteur provient de la réaction chimique induite par la production de ciment.

  • Les données sur la consommation énergétique et les émissions de ce sous-secteur manquent de transparence. En raison des dispositions de la Loi sur la statistique, les informations relatives à l’utilisation de plusieurs carburants clés ne sont que partiellement disponibles. Cette absence de données complètes avant 2019 limite la capacité d’analyse détaillée et le suivi précis de l’évolution des émissions de GES dans ce sous-secteur.

Pistes d'action

  • En raison de la nature même des activités du sous-secteur de la fabrication de ciment et de produits en béton, les principales solutions de décarbonation se trouvent autant du côté des procédés industriels que la consommation d’énergie.

  • Sur une base d’intensité carbone en mesures physiques, le World Economic Forum rapporte que le sous-secteur de la fabrication de ciment et de produits en béton génère actuellement à l’échelle mondiale 0,58 tonnes équivalent de CO2 par tonne de ciment (t CO2/t) et que l’objectif de carboneutralité à atteindre en 2050 s’élève à 0,09 t CO2/t, en passant par une cible intérimaire de 0,43 t CO2/t en 2030.

  • Au Québec, la décarbonation de ce sous-secteur représente un défi complexe en raison de la nature énergivore et forte en carbone du processus de production du ciment. Les importants capitaux qu’exige la construction de cimenteries et les cycles d'investissement très longs de ce secteur impliquent aussi que les choix faits aujourd'hui (ou dans les dernières années) auront un impact sur le bilan carbone du Québec pendant une période considérable.

technologies de décarbonisation

  • Combustibles alternatifs

  • Substitution du clinker

  • Le captage et le stockage du CO2

Fiche sectorielle 10

Constats

  • L’intensité carbone du sous-secteur de la fabrication de matériel de transport a enregistré de fortes fluctuations entre 2009 et 2021, mais à 29 t/M$, elle demeure tout de même faible par rapport aux autres industries (graphique 10.A).

  • Ces fluctuations observées au cours de cette période se sont traduites par une hausse des émissions de GES (27 %), qui a été deux fois plus importante que celle du PIB qui s’est établi à 13 % (graphique 10.B). Si la tendance de 2009-2021 se maintient, l’intensité carbone de ce sous-secteur sera plus de 50 % supérieure au niveau souhaité pour atteindre l’objectif fixé par le Plan pour une économie verte (PEV) en 2030.

  • Cela étant dit, ce sous-secteur enregistre une baisse soutenue de son intensité carbone depuis 2016, cette dernière ayant diminué du tiers entre 2016 et 2021. Si cette tendance se poursuit, son intensité carbone pourrait bien rencontrer l’objectif du PEV en 2030.

  • Malheureusement, faute de données, il est impossible d’effectuer un diagnostic plus poussé de l’intensité carbone de ce sous-secteur. À l’échelle du Québec, aucune donnée ne permettant de mesurer l’évolution de l’intensité énergétique et du coefficient d’émissions.

Pistes d'actions

  • Dans l’éventualité où le profil du sous-secteur de la fabrication de matériel de transport ressemble à celui de l’ensemble de l’industrie de la fabrication (graphique 2.C), on suppose que les efforts de décarbonation devraient d’abord passer par des gains d’efficacité énergétique.

  • Dans un tel contexte, les intervenants du milieu pourraient s’inspirer des solutions de décarbonation proposées dans les outils de références déjà cités dans le présent rapport. Concernant les solutions associées plus spécifiquement à l’efficacité énergétique, la Chaire en gestion de l’énergie de HEC Montréal a réalisé bon nombre de travaux sur le sujet en 2016, 2019 et ultérieurement.

Fiche sectorielle 11

Note : Les Comptes de flux physiques produits par Statistique Canada comptabilisent les émissions de GES attribuables à la combustion de la biomasse, en alignement avec les déclarations soumises à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Pour sa part, la Base de données nationale sur la consommation d’énergie de Ressources naturelles Canada les considère réabsorbées et ne les comptabilise donc pas. Dans la présente analyse, nous émettons l'hypothèse qu'elles sont réabsorbées pour rester en phase avec les stratégies de décarbonation des gouvernements québécois et canadien, tout en étant conscients de la complexité du sujet.

Constats

  • Le sous-secteur de la fabrication du papier compte parmi les industries qui affichent la plus forte intensité carbone au Québec, avec une augmentation constante entre 2009 et 2021 (graphique 11.A). Cette hausse s’explique principalement par une forte baisse des activités, avec une chute du PIB de -23 % alors que les émissions de GES ne diminuaient que de 9 % (graphique 11.B).

  • Si la tendance observée entre 2009-2021 se maintient, l’intensité carbone de ce secteur serait 83 % plus élevée que le niveau nécessaire pour atteindre l’objectif fixé par le Plan pour une économie verte (PEV) en 2030. Notons toutefois que ce sous-secteur a réussi à diminuer son intensité carbone de 11 % entre 2019 et 2021 et que si cette nouvelle tendance se maintenait, il se rapprocherait de la trajectoire du PEV en 2030.

  • La hausse de l’intensité carbone de ce secteur est entièrement attribuable à la croissance de son intensité énergétique : son coefficient d’émissions n’ayant aucunement changé entre 2009 et 2021 (graphique 11.C).

  • En examinant de plus près les sources d’énergie utilisées par ce sous-secteur (graphique 11.D), on remarque que la biomasse compte pour beaucoup. Cette dernière se présente sous forme de déchets ligneux et de liqueur noire produits par les processus de transformation de la pâte et du papier. Cependant, la biomasse n’est pas la seule responsable de cette grande demande énergétique. Des carburants fossiles sont aussi utilisés pour satisfaire l'excédent. Par le passé, le mazout comblait ces besoins en raison de son faible coût. Toutefois, entre 2000 et 2010, ce sous-secteur a remplacé en grande partie le mazout par le gaz naturel dans plusieurs de ses usines, une tendance qui se poursuit par ailleurs. À titre comparatif, le gaz naturel émet environ deux tiers des émissions par unité d'énergie que le mazout.

  • La combustion de la biomasse est souvent considérée comme étant carboneutre car le carbone émis est biogénique (et fait donc partie du cycle du carbone à court terme). Une interprétation que ne partage toutefois pas Statistique Canada, qui la comptabilise dans ses Comptes de flux physiques (CFP) comme faisant partie des émissions fossiles de carbone. Dans la présente analyse, la biomasse est considérée comme étant carboneutre, en toute conscience des nuances qui doivent être apportées en termes de solutions de décarbonation.

Pistes d'action

  • Depuis l’avènement de la numérisation, le sous-secteur des pâtes et papier subit des transformations majeures induites principalement par la demande en papier qui s’est effondrée, en lien direct avec la baisse de consommation.

  • Comme le problème dépasse largement les limites de ce sous-secteur, il apparaît donc nécessaire qu’une réflexion majeure soit menée par les intervenants de l’industrie forestière toute entière.

  • Cela étant dit, le sous-secteur de la fabrication de papier peut trouver une niche productive et rentable et dans cette perspective, un ensemble de solutions de décarbonation lui est offert.

  • À ce chapitre, les intervenants du milieu pourront se tourner vers des outils de références tels que La décarbonation et l’atteinte de la carboneutralité en entreprise et le Guide sur la décarbonation industrielle compétitive qui proposent des solutions concrètes et ce, autant en matière de réduction des émissions de GES que d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Annexe

Annexe 1
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Conclusion

Cette étude a approfondi l’analyse de l’intensité carbone pour onze industries québécoises, mettant en lumière l'importance cruciale de l'intensité énergétique et du coefficient d'émissions pour guider les stratégies de décarbonation. Le suivi de ces composantes est essentiel : les secteurs où l'intensité énergétique domine la trajectoire doivent prioriser l'efficacité, tandis que ceux où le coefficient d'émissions est prépondérant doivent miser sur la transition énergétique vers des sources renouvelables. Pour certaines industries, une coordination des deux approches s'impose.

Ces constats sont d'autant plus importants dans le contexte actuel, marqué par des tensions commerciales accrues et un virage vers des politiques industrielles plus protectionnistes aux États-Unis. Si le Plan pour une économie verte 2030 offre un cadre, le diagnostic présenté ici, notamment l’analyse du coût marginal de décarbonation, devient un outil encore plus stratégique. Il permet d'arbitrer plus finement entre les gains d'efficacité et la transition énergétique, dans une perspective non seulement climatique mais aussi de compétitivité nord-américaine.

Intégrer le coût marginal de décarbonation aux politiques publiques, en parallèle de la tarification carbone (SPEDE), est primordial. Le rapport souligne que les industries québécoises à forte intensité carbone ont souvent des coûts marginaux de réduction plus faibles, rendant la tarification carbone actuelle potentiellement suffisante comme incitatif. Cependant, face aux stratégies américaines qui pourraient subventionner certaines filières ou ériger des barrières, la compétitivité du Québec repose plus que jamais sur sa capacité à valoriser son énergie propre et à accélérer sa décarbonation là où c'est stratégiquement avantageux.

À ce chapitre, le profil énergétique unique du Québec, riche en hydroélectricité, présente un avantage comparatif potentiellement renforcé dans le contexte nord-américain actuel. Même si les prochaines étapes de décarbonation pourraient entraîner des coûts marginaux plus élevés que dans des économies plus carbonées, chaque effort supplémentaire permet au Québec de renforcer sa résilience économique et de se positionner avantageusement face à des concurrents potentiellement plus exposés aux énergies fossiles ou aux politiques climatiques fluctuantes. Accélérer le rythme de la décarbonation n'est donc pas un inconvénient, mais un levier compétitif pour se détacher du peloton et mieux s'insérer dans les chaînes de valeur nord-américaines axées sur la durabilité. L'économie québécoise serait alors bien mieux positionnée dans le modèle économique futur.

Enfin, naviguer dans cet environnement complexe exige plus que jamais des données fiables et cohérentes. L'analyse souligne l'urgence d'une meilleure intégration des données économiques et environnementales. Une collaboration accrue entre ministères, organismes et agences statistiques est nécessaire pour outiller les décideurs et permettre au Québec de consolider sa transition énergétique, de renforcer sa compétitivité et de s'affirmer comme un leader de la décarbonation, à l’échelle nord-américaine et au-delà, même face à un environnement externe incertain.