Finances publiques
MÉMOIRE
28 min

Un coup de barre nécessaire malgré la tourmente

Consultations prébudgétaires 2025-2026 du ministère des Finances du Québec

Rapport
Communiqué de presse
28 février 2025

À propos

À propos de l’Institut du Québec

L’Institut du Québec est un organisme à but non lucratif qui axe ses recherches et ses études sur les enjeux socioéconomiques auxquels le Québec fait face. Il vise à fournir aux autorités publiques et au secteur privé les outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées, et ainsi contribuer à bâtir une société plus dynamique, compétitive et prospère.

Ce mémoire a été préparé par Alain Dubuc, Emna Braham et Simon Savard.

Un coup de barre nécessaire

La guerre commerciale dans laquelle le Canada et le Québec sont plongés malgré eux imposera probablement la mise en place d’initiatives gouvernementales qui nécessiteront des dépenses additionnelles, ou qu’elle entraînera des répercussions économiques affectant les revenus de l’État. Bien qu’il soit impossible, pour l’instant, de mesurer l’impact d’un choc dont on ne connaît pas encore la nature, cela pourrait forcer le gouvernement du Québec à reporter le moment prévu du retour à l’équilibre budgétaire.

Mais cette crise appréhendée ne change rien au défi considérable qui attendait le gouvernement du Québec avant les menaces d’outre-frontière, particulièrement en ce qui a trait au contrôle des dépenses. Sans se lancer dans un débat sémantique sur le terme approprié pour décrire les efforts qui seront requis, le gouvernement, pour atteindre ses propres objectifs, devra ralentir le rythme de croissance de ses dépenses pour le ramener à un niveau qu’aucun gouvernement du Québec n’a dû imposer depuis le tournant du siècle.

Ce défi du retour à l’équilibre budgétaire, sera d’autant plus exigeant que le gouvernement devra le relever au moment même où se multiplient les cas de lacunes dans la prestation des services publics et où les pressions des citoyens se multiplient pour exiger un réinvestissement dans les missions de l’État.

Un tel contrôle des finances publiques, avec ses inévitables répercussions, exige donc une prise de conscience collective des enjeux. C’est dans cette optique que nous proposons ce mémoire, qui se veut une contribution au dialogue essentiel pour bâtir le consensus social indispensable au succès de cette transformation majeure de nos finances publiques.

Il faut maintenir les garde-fous budgétaires

Avant d’aller plus loin, il faut se poser la question suivante : est-il absolument nécessaire de viser l’équilibre des finances publiques ? Certains gouvernements n’en font pas un objectif, comme l’actuel gouvernement fédéral. Nous croyons cependant que cette discipline est nécessaire.

Pour éviter d’alourdir une dette déjà importante

Pour garantir la soutenabilité des finances publiques, soit de pouvoir fournir les services aux citoyens aujourd’hui tout en assurant une équité entre les générations, le Québec s’est doté, en 1996, d’un cadre législatif unique au Canada avec la Loi sur l’équilibre budgétaire, qui interdit les déficits budgétaires, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme des récessions. En 2006 s’est ajoutée la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, qui impose l’affectation d’une partie des revenus du gouvernement au remboursement de la dette.

L’instauration de ce cadre législatif s’expliquait alors par l’ampleur de la dette du Québec et sa propension à présenter des budgets inscrits à l’encre rouge. Si la situation financière du Québec s’est grandement améliorée depuis, le risque qu’engendre un niveau d’endettement élevé est encore bien réel.

Plus la dette est élevée, plus les dépenses requises pour le service de la dette accapareront une part importante des dépenses publiques, privant ainsi l’État de ressources pour ses missions essentielles. Rappelons que le Québec demeure, après Terre-Neuve-et-Labrador, la province la plus endettée au Canada, et à ce poids déjà lourd s’ajoute une dette moins visible : les 37,1 G$ qui seront nécessaires pour remettre ses infrastructures – routes, écoles – dans un état acceptable.

En outre, le degré d’endettement affecte la cote de crédit et les conditions d’emprunt. Le Québec dispose pour l’instant de conditions avantageuses grâce à sa discipline budgétaire, mais son degré élevé d’endettement le rend vulnérable à des évaluations négatives s’il s’écarte de sa tradition de rigueur.

Pour être capable de faire face aux crises économiques

Il y a des circonstances où une augmentation de la dette est appropriée, par exemple lorsqu’un gouvernement doit faire face à des crises – récessions, pandémies, etc.

C’est dans cet esprit que la Loi sur l’équilibre budgétaire a été suspendue pendant la pandémie. Elle a ensuite été rétablie et modernisée en décembre 2023. Cette nouvelle mouture permet désormais au gouvernement, dans certaines circonstances, comme « une détérioration importante des conditions économiques », d’abandonner son plan initial de retour à l’équilibre et de le remplacer par un nouveau plan. Elle impose donc, pour l’instant, au ministre des Finances de présenter, dans le budget de 2025, un plan de retour à l’équilibre qui doit se réaliser sur une période maximale de cinq ans, soit d’ici 2029-2030.

Si une récession se profilait sur les radars avec l’instauration d’importants tarifs douaniers, par exemple, Québec pourrait repousser son obligation de rééquilibrer le budget.

Cette flexibilité est nécessaire pour permettre à un gouvernement de soutenir les entreprises et les ménages en temps de crise. Mais elle rend d’autant plus cruciale la nécessité d’une certaine discipline budgétaire lorsque l’économie va bon train, comme cela aurait pu être fait en 2022 et en 2023. Le déficit projeté de 11 G$ pour l’année 2024-2025 limite la marge de manœuvre du gouvernement pour faire face à une guerre commerciale.

Pour ne pas refiler la facture aux générations futures

Une autre considération justifie les efforts pour contrôler la dette et chercher à la réduire, soit le principe de l’équité entre les générations. La dette que l’on engendre aujourd’hui devra être supportée par les générations qui nous suivent. Ce partage intergénérationnel est approprié pour des investissements dont les bénéfices se feront sentir pendant des décennies (infrastructures, investissements dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques). Mais la création de déficits pour financer des dépenses courantes forcera les générations futures à payer pour des services dont elles n’ont pas profité (santé).

Parce que ce cadre contraignant a fait ses preuves

Le respect du cadre dont s’est doté le Québec ne doit pas être un dogme, d’autant que les lois budgétaires québécoises, uniques au Canada, imposent des contraintes particulièrement exigeantes, avec la double obligation d’éliminer le déficit et de réduire la dette. D’autres juridictions se dotent de balises moins contraignantes pour assurer une discipline budgétaire, par exemple l’établissement d’un plafond pour le déficit ou pour la dette, exprimés en pourcentage du PIB.

Le retour à l’équilibre imposé par la loi doit se faire de façon responsable pour éviter des chocs qui compromettraient la capacité du gouvernement du Québec de s’acquitter de ses missions. Mais les lois québécoises se sont avérées des garde-fous importants qui ont, jusqu’à maintenant, permis au Québec de grandement améliorer sa situation financière tout en soutenant son économie et en maintenant son filet de sécurité sociale. Ces balises ont aussi permis de protéger les gouvernements contre eux-mêmes, et de les aider à résister aux pressions pour satisfaire des besoins présents en hypothéquant l’avenir. Bref, ces lois ont bien servi le Québec.

Des signaux préoccupants

Le retour à l’équilibre s’annonce difficile, car les finances publiques du Québec, tout comme celles des autres provinces et des pays industrialisés, ont été gravement touchées par la pandémie et ses répercussions. Si les revenus de l’État ont été touchés au moment même de la pandémie quand l’activité a été mise sur pause, c’est du côté des dépenses que les impacts ont été les plus marqués, et surtout, les plus durables.

Des dépenses plus élevées depuis la pandémie

En 2018-2019, les dépenses de portefeuilles représentaient 22,3 % du PIB, tandis qu’en 2023-2024, dernière année confirmée des comptes publics, elles s’élevaient à 24,4 % du PIB, soit une différence de 2,1 points de pourcentage.

Si, en 2023-2024, la part des dépenses de portefeuilles dans le PIB était restée à son niveau de 2018-2019, cela représenterait environ 12 milliards de dollars en moins. Ces dépenses additionnelles ne s’expliquent pas seulement par les obligations pandémiques et postpandémiques, mais aussi par de nouvelles initiatives annoncées dans les budgets et les mises à jour budgétaires depuis 2022.

Ce choc est d’autant plus important que le retour à la normale, sur le plan économique, ne s’est pas accompagné d’une normalisation équivalente des finances publiques. Le niveau exceptionnel des dépenses engendré par la pandémie ne se résorbe pas pleinement de façon naturelle. Les prévisions du ministère des Finances dénotent l’existence d’un déficit structurel important qui, après les efforts de redressement prévus, s’établira à 3,2 G$ en 2028-2029, ce qui nous rappelle l’importance des efforts qui seront nécessaires.

Trois voyants au rouge

Si la situation budgétaire actuelle a été provoquée en très grande partie par les contrecoups engendrés par la COVID-19, certains éléments tiennent aussi à la gestion des finances publiques par le gouvernement du Québec. Trois éléments ont ainsi déclenché des voyants lumineux qui peuvent justifier une certaine inquiétude :

  • Une fragilité des prévisions budgétaires : Dans Le point sur la situation économique et financière du Québec, une mise à jour publiée au début novembre 2023, le ministère des Finances prévoyait que le déficit pour l’année suivante, soit 2024-2025, serait de 3 995 M$. Dans le discours du budget 2024-2025, déposé au début mars de 2024, soit trois mois plus tard, ce déficit était plutôt évalué à 10 998 M$. Une révision aussi importante des prévisions en aussi peu de temps suscite nécessairement des inquiétudes en ce qui a trait aux mécanismes de prévision.

  • Un déficit à un sommet : Cette explosion du déficit en 2024-2025, quand, en principe, le choc pandémique était derrière nous, a également suscité des interrogations. Ce déficit plus élevé tenait en partie à une baisse des revenus provenant d’Hydro-Québec plus faibles qu’anticipé et, surtout, par le coût des ententes avec les employés de l’État. Il n’en reste pas moins qu’il est le plus élevé depuis le tournant du siècle, et surpasse même celui de l’année de la pandémie, tant en termes absolus qu’en pourcentage du PIB. Pour trouver des comparables, il faut remonter au moment où le Québec ne disposait pas de lois pour imposer une discipline budgétaire, ce qui souligne à quel point les finances publiques se sont écartées de la trajectoire tracée par les gouvernements précédents.

  • Une explosion des dépenses : Dans sa mise à jour économique et financière de l’automne 2024, le gouvernement respecte sa prévision du déficit présentée dans le budget, à 10 998 M$, ce qu’il faut saluer. Cependant, si le gouvernement a pu respecter ses prévisions, c’est grâce à une augmentation des revenus qui a masqué un glissement du côté des dépenses. En effet, ces dernières ont dépassé de 3 G$ les prévisions initiales du budget, si bien que le rythme de croissance des dépenses de portefeuilles est passé de 4,6 % à 6,5 %, un niveau qui peut suggérer une difficulté à les maîtriser.

Un coup de barre qui dépassera tout ce que le Québec a connu

Un potentiel limité d’augmenter les revenus

Pour revenir à l’équilibre, plusieurs outils sont à la disposition du gouvernement. L’augmentation des revenus générée par la croissance économique est évidemment la voie privilégiée pour donner la marge de manœuvre souhaitée. Cependant, si le Québec, selon les prévisions de la mise à jour économique et financière, est sorti de la phase de ralentissement de 2023 et est entré dans une période de croissance, celle-ci, à 1,2 % en 2024 et à 1,5 % en 2025 en termes réels, ne peut pas être qualifiée d’exceptionnelle. Elle ne permettra donc pas de générer une croissance des revenus supérieure à la croissance naturelle des dépenses, à plus forte raison si une guerre commerciale se concrétise.

Le gouvernement peut également augmenter les ponctions fiscales. Bien que théoriquement possible, l’augmentation des impôts et des taxes n’est pas la voie privilégiée par le gouvernement actuel – et avec raison. Le Québec compte déjà un fardeau fiscal conséquent, et toute hausse supplémentaire risquerait d’entraîner des répercussions économiques négatives.

Québec s’est toutefois engagé dans des efforts pour augmenter ses revenus de façon indirecte, en amorçant un vaste processus de révision des dépenses fiscales, soit les diverses mesures qui permettent aux particuliers et aux entreprises de réduire leur note d’impôt. Une mesure issue de cet examen a d’ailleurs été annoncée lors de la dernière mise à jour économique et financière, soit l’augmentation de l’âge minimum pour l’accès au crédit d’impôt pour prolongation de carrière.

Ralentir (considérablement) la croissance des dépenses

Puisque c’est la forte hausse des dépenses qui a été à l’origine de l’explosion du déficit, la logique voudrait que, pour le contrôler, le gouvernement s’attaque en priorité aux causes de son augmentation, et donc que ce soit surtout le levier du contrôle des dépenses qui soit activé.

C’est d’ailleurs cette voie que le gouvernement entend emprunter, comme le montrent les données de la dernière mise à jour économique et financière. Celle-ci prévoit une croissance annuelle moyenne de 3,0 % des dépenses de portefeuilles sur la période quinquennale de 2024-2025 à 2028-2029. Cependant, cette moyenne annuelle sous-estime l’ampleur de la tâche, car elle englobe l’année 2024-2025, dont la croissance exceptionnelle et anormale atteint 6,5 %. Si nous regardons les quatre années suivantes, où devront porter les efforts de redressement, soit la période 2025-2026 à 2028-2029, le taux de croissance annuel moyen prévu se situe plutôt à 2,2 %.

Il faut insister sur le caractère extrêmement ambitieux d’un tel objectif. Sachant que le rythme d’inflation devrait, à long terme, s’établir à 2 %, le message implicite de cette mise à jour est que les dépenses de portefeuilles du Québec seront pratiquement nulles en termes réels. Ces prévisions annoncent en fait un quasi-gel des dépenses de portefeuilles pour les quatre prochaines années, soit de 2025 à 2028.

Ces cibles sont exigeantes, quelle que soit la manière dont on les regarde

Jamais un gouvernement du Québec ne s’est imposé un tel ralentissement de la croissance des dépenses. En effet, avec une croissance limitée à 2,1 % en 2029, ce rythme serait l’un des plus faibles observés au cours des 25 dernières années. Nous nous permettons d’illustrer, de façon graphique, les implications de ces objectifs, pour illustrer la difficulté de les atteindre et le caractère exceptionnel de la trajectoire proposée pour les dépenses.

Le graphique 1 montre la croissance des dépenses nominales de portefeuilles, soit les dépenses totales du gouvernement à l’exclusion du service de la dette. Le rythme de 2,2 % prévu dans les documents budgétaires pour la période 2025-2026 à 2028-2029 s’écarte des résultats des périodes antérieures et est même inférieur à ceux de la deuxième moitié des années 2010, marquée par les politiques de rigueur budgétaire. Pour toute cette période, à l’exception de la parenthèse postpandémique, l’inflation est restée à un niveau stable d’environ 2 %.

Le graphique 2 prend en compte l’inflation et mesure l’évolution des dépenses réelles, exprimées en dollars de 2002. Il illustre deux dynamiques : d’abord, une tendance claire d’augmentation régulière des dépenses réelles du tournant du siècle jusqu’à ce jour, puis un aplatissement de la courbe à partir de 2025. En effet, la trajectoire des dépenses se modifiera dans les prochaines années pour devenir une ligne horizontale, ce qui décrit une période de gel des dépenses en termes réels, en rupture avec la tendance passée.

Graphique 1
Graphique 2

Une troisième façon d’illustrer ce processus consiste à observer le taux de croissance de ces dépenses réelles de portefeuilles, comme dans le graphique 3, à partir des données historiques des comptes publics. Le résultat montre deux pointes de hausses exceptionnelles, soit en 2009, au moment de la récession, et en 2019 et 2020, lors de la pandémie. On n’observe que deux années de baisse des dépenses de programme en termes réels. Une seule résulte d’un coup de frein sur les dépenses, soit 2015-2016, l’année où les dépenses de portefeuilles ont augmenté le moins rapidement. L’autre année négative est 2023-2024, non pas en raison d’un coup de barre, mais plutôt d’une correction après l’explosion des dépenses pendant la pandémie.

Graphique 3

Ce graphique illustre clairement le caractère exceptionnel de la trajectoire prévue dans la dernière mise à jour économique et financière, avec quatre années successives de croissance des dépenses réelles nulle, négative ou très faible, auxquelles s’ajoutera peut-être une cinquième année de même nature lorsque le gouvernement, dans son budget du printemps prochain, élargira son horizon de planification à 2029-2030, l’année prévue du retour à l’équilibre. Dans le passé, les efforts pour réduire de façon marquée le rythme de croissance des dépenses réelles ont été de courte durée, soit d’au maximum deux ans, et suivis d’un redressement marqué.

Beaucoup plus que de la saine gestion

Même avec un taux de croissance des dépenses aussi faible, le Québec aura encore, au sens de la Loi, et donc après versement au Fonds des générations, un déficit à résorber de 3,2 G$ en 2029-2030 et ne serait pas en passe d’atteindre l’équilibre budgétaire dans les délais prescrits.

Des dépenses principalement en salaires

En outre, ralentir à ce point la croissance des dépenses, et les geler en termes réels, sera un objectif d’autant plus difficile à atteindre que 48 % des dépenses de portefeuilles sont consacrées à la rémunération (salaires et avantages sociaux). Cette proportion grimpe même à 82 % dans le secteur de l’éducation, et à 67 % dans celui de la santé et des services sociaux – les deux plus importants postes budgétaires du gouvernement. Ces dépenses, qu’elles soient liées aux nouvelles embauches ou aux hausses de salaire, sont difficilement compressibles à court terme, d’autant que les signaux provenant de ces deux secteurs névralgiques pointent davantage vers l’existence d’une pénurie de personnel que vers la surabondance d’effectifs.

Ce redressement est d’autant plus difficile que les besoins en main-d’œuvre ne semblent pas encore pleinement comblés, comme le montre l’important nombre de postes vacants dans le secteur de la santé.

Des compressions qui seront de plus en plus difficiles

Plus on avance dans le temps, plus les solutions à la réduction de la croissance des dépenses risquent d’être difficiles. On doit tenir compte du fait que chaque phase de rigueur budgétaire exigera des solutions dont la mise en œuvre sera de plus en plus exigeante, parce que les avenues plus simples d’élimination des dépenses auront déjà été explorées.

Enfin, le gouvernement devra composer avec les pressions considérables de la société – contribuables, organismes, entreprises –, tant pour répondre à de nouvelles priorités que pour maintenir ou améliorer un niveau de services souvent perçu comme insuffisant face aux besoins. Cela s’observe notamment dans le cas des deux grands réseaux qui comptaient pour 65 % des dépenses de portefeuilles, soit la santé et l’éducation. Alors que le premier doit composer avec des problèmes d’accès, le deuxième fait face à des pénuries de personnel et une détérioration des équipements.

Les demandes sont également pressantes pour s’attaquer à des problèmes qui ont atteint une ampleur nouvelle, comme l’itinérance, le vieillissement de la population, la crise du logement ou le financement des transports collectifs, pour ne nommer que ceux-là.

Les réformes en cours, notamment la création de Santé Québec, visent avant tout l’amélioration des services et de leur accessibilité. Si ces transformations pouvaient générer des économies, celles-ci ne se concrétiseraient qu’à moyen ou long terme. En effet, une réforme nécessite généralement des investissements initiaux – en ressources humaines, en technologie et en réorganisation – avant de produire des gains d’efficience.

Une confusion dans la présentation des données

Jusqu’ici, le discours gouvernemental ne met pas de l’avant l’ampleur du défi qui s’annonce. Ce faisant, la présentation des résultats financiers a commencé à se transformer.

Le Québec utilise deux mesures du déficit : le solde comptable (les revenus moins les dépenses) et le solde au sens de la Loi sur l’équilibre budgétaire, qui inclut les versements au Fonds des générations. Dans ses documents récents, le gouvernement met davantage l’accent sur le déficit comptable, qui est plus avantageux, car moins élevé, et relègue au second plan le déficit selon la loi.

Or, selon les projections, le Québec pourrait atteindre un surplus comptable tout en demeurant en déficit au sens de la loi (graphique 4). Si la définition comptable facilite les comparaisons interprovinciales, la définition légale reste indispensable pour évaluer les performances historiques et le respect des obligations légales. Changer de définition pour améliorer l’apparence des résultats risque de créer de la confusion et d’affaiblir l’engagement envers l’équilibre budgétaire.

Graphique 4

Distinguer la crise budgétaire de la crise commerciale

Le ministre des Finances devra relever un autre défi dans le déploiement de sa stratégie budgétaire : distinguer les impacts de la crise commerciale avec les États-Unis des enjeux liés à la gestion des finances publiques. L’imposition de tarifs ou d’autres mesures prises par les États-Unis aura des impacts économiques qui affecteront les résultats financiers et pourraient forcer le gouvernement du Québec à reporter le moment du retour à l’équilibre budgétaire.

Ce report ne devrait toutefois pas dévier le gouvernement de ses efforts de redressement déjà prévus, car ceux-ci reposent sur une réduction de la croissance des dépenses de portefeuilles. La plupart de ces dépenses ne seront pas affectées de façon importante par le conflit commercial appréhendé, par exemple celles liées à la santé, à l’éducation, aux affaires municipales, à la justice, etc.

La clarté dans la présentation des données sera également essentielle pour tenir compte du contexte particulier dans lequel sera élaboré le prochain budget, qui sera potentiellement touché par les contrecoups d’une crise commerciale. Ce choc pourrait affecter l’équilibre budgétaire. Il sera essentiel de distinguer soigneusement les impacts attribuables à cette guerre commerciale, soit sur les revenus, soit sur les dépenses, pour que celle-ci ne serve pas d’argument pour repousser ou réduire les efforts de redressement déjà prévus et qui reposent largement sur la réduction de la croissance des dépenses de portefeuilles.

Il est également possible qu’après analyse, on en vienne à conclure que le ralentissement du taux de croissance des dépenses, nécessaire pour assurer le retour à l’équilibre (indépendamment des impacts de la guerre commerciale), ne puisse être atteint sans entraîner des impacts négatifs indésirables sur les missions de l’État. Ainsi, une approche plus graduelle, avec des échéances plus lointaines, pourrait être préférable.

Le Québec pourrait également choisir de redéfinir ses cibles de performance budgétaire de manière moins restrictive. Cependant, une telle éventualité – qui représenterait un changement significatif des politiques publiques québécoises et nécessiterait une modification de la loi – exigerait un débat public mené dans un esprit de transparence et fondé sur des données probantes.

Un écart entre l'ampleur de la tâche et les signaux politiques

Nous croyons avoir montré que le défi que devra relever le gouvernement dans son prochain budget sera particulièrement exigeant. Il demandera un coup de barre que l’on pourrait qualifier d’ambitieux.

Des messages difficiles à concilier

Bien que le gouvernement se soit engagé à maintes reprises à revenir à l’équilibre, les signaux émis jusqu’à présent ne reflètent pas pleinement la gravité des enjeux ni l’ampleur des efforts requis. Une lecture attentive de la mise à jour de l’automne 2024, par exemple, révèle que ce document ne fait aucune allusion à la difficulté de la situation financière actuelle, à l’ampleur du défi que représentera un redressement ou aux conséquences possibles de certaines mesures qui pourraient être nécessaires.

Au-delà des chiffres, le retour à l’équilibre budgétaire est aussi un exercice politique. Les mesures de rigueur affectent les missions de l’État et suscitent des résistances. La gestion politique de ces contraintes sera déterminante pour le succès des efforts de redressement.

De l’importance d’être clair sur l’effort à fournir

Le gouvernement déploie actuellement des mesures de contrôle budgétaire par le biais de décisions administratives peu publicisées – l’ajustement de 1,5 G$ à Santé Québec et la réorganisation des classes de francisation en sont les exemples les plus visibles. Ces changements se révèlent aux citoyens au fur et à mesure de leur mise en œuvre sur le terrain.

L’approche confie aux réseaux (CISSS, CIUSSS, centres de services scolaires) la délicate mission d’équilibrer leurs budgets tout en préservant les services. Il s’agit d’un défi de taille qui transforme déjà le fonctionnement de ces établissements. Déjà, ces exigences indiquent que les redressements exigés ne peuvent pas être décrits comme un simple effort de discipline, comme le suggère le ministre des Finances. Ce sera encore moins le cas avec la trajectoire des dépenses que le gouvernement prévoit d’imposer à partir du prochain exercice fiscal.

Il y a là un enjeu de transparence, en ce sens que le gouvernement du Québec semble s’être engagé dans un exercice de contrôle très serré de ses dépenses sans avoir clairement expliqué ses intentions et, surtout, sans avoir énoncé les principes, les priorités et les valeurs qui le guideraient dans cet effort, et encore moins les conséquences et les coûts de celui-ci. L’absence de débat public sur cet enjeu majeur risque de compromettre le succès des efforts et de priver le gouvernement de la légitimité dont il aura besoin s’il doit faire des choix difficiles.

La révision des programmes annoncée sur quatre à cinq ans est un pas dans la bonne direction, mais elle ne suffira pas. L’ampleur des enjeux et l’urgence d’agir appellent à engager dès maintenant un débat public sur ces transformations incontournables.

Notons enfin que les gouvernements qui ont dû faire de la rigueur budgétaire un axe important de leur projet se sont en général dotés d’une structure politique et d’une organisation qui favoriseraient cet effort, par exemple la prise en charge directe par le premier ministre lui-même de cette priorité, ou souvent, la complicité entre le premier ministre et son ministre des Finances.

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Conclusion

Le budget 2025 représente une occasion pour le Québec de définir une vision budgétaire cohérente et mobilisatrice. Les défis sont considérables, mais ils peuvent être relevés avec une approche intégrée, reposant sur un discours clair, une gouvernance alignée et une communication transparente.

En s’appuyant sur une vision stratégique et en engageant un dialogue constructif avec les citoyens, le Québec pourra non seulement rétablir ses finances publiques, mais également renforcer la confiance dans sa capacité à relever les défis économiques et sociaux. Une telle démarche permettra de concilier discipline budgétaire et maintien des services essentiels, tout en assurant la pérennité financière pour les générations à venir.

Mais ce retour à l’équilibre nécessitera avant tout un engagement clair à atteindre cet objectif et une communication précise de ce que cela signifie pour les citoyens : pas nécessairement une baisse des services, mais une nécessité de faire des choix sur les dépenses.